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Biomolécules : trois techniques à la pointe de la recherche

Comment suivre en temps réel la dynamique des biomolécules ?

Le 20 avril 2022 |
4 min. de lecture
Pascale Changenet
Pascale Changenet
directrice de recherche CNRS en biophysique à l’École polytechnique (IP Paris)
François Hache
François Hache
directeur de recherche au CNRS et professeur en physique à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • La formation des structures en hélice des protéines et de l’ADN met en jeu des mouvements pouvant être extrêmement brefs (i.e. 10 x 10-15secondes) à l’échelle de quelques atomes. Observer ces mouvements sur une échelle temporelle aussi courte reste un défi expérimental.
  • Les biomolécules sont des molécules chirales. Une molécule est chirale lorsqu’elle n’est pas superposable à son image dans un miroir et peut exister sous deux formes possibles.
  • La technique appelée « dichroïsme circulaire » permet de distinguer ces formes « chirales » — comme un code barre — et de suivre le film du changement de leurs conformations jusqu’à des temps extrêmement courts.
  • Comprendre la dynamique des interactions de certaines molécules ciblant l’ADN sur sa structure « chirale » est une voie à explorer pour alimenter de nouvelles pistes de recherches en pharmacologie ou en médecine.

C’est un prob­lème qui taraude les biol­o­gistes depuis plus de cinquante ans : com­ment se forme la struc­ture en hélice des pro­téines et de l’ADN ? Certes, il existe dif­férentes tech­niques expéri­men­tales per­me­t­tant de déter­min­er pré­cisé­ment la struc­ture tridi­men­sion­nelle des bio­molécules. Cepen­dant, mesur­er leurs dynamiques qui impliquent des mou­ve­ments sur des échelles de temps, allant de quelques dizaines de fem­tosec­on­des (i.e. 10 x 10-15 sec­on­des) à quelques sec­on­des, reste encore un défi expéri­men­tal. Ce domaine de recherche est exploré par une équipe de chercheurs français, dirigée par Pas­cale Changenet et François Hache au Lab­o­ra­toire d’optique et bio­sciences à l’École poly­tech­nique, en util­isant le dichroïsme cir­cu­laire résolu en temps.

Qu’est-ce que le dichroïsme circulaire ? 

Pas­cale Changenet. C’est une tech­nique qui repose sur la pro­priété des com­posés chi­raux, capa­bles d’absorber dif­férem­ment la lumière polar­isée qu’elle soit cir­cu­laire­ment droite ou cir­cu­laire­ment gauche. Un com­posé est chi­ral lorsqu’il n’est pas super­pos­able à son image dans un miroir. De tels objets peu­vent exis­ter sous deux formes que l’on appelle énan­tiomères dans le cas des molécules. La « chi­ral­ité » est une com­posante impor­tante du vivant que l’on retrou­ve partout à dif­férentes échelles. Nos mains sont des exem­ples d’objets chi­raux. Les pro­téines et l’ADN sont des assem­blages molécu­laires chi­raux con­sti­tués de briques élé­men­taires (les acides aminés et les nucléotides) elles-mêmes chi­rales pour la plu­part. En util­isant le dichroïsme cir­cu­laire, il est pos­si­ble de car­ac­téris­er leur arrange­ment spa­tial en hélice notam­ment lorsqu’elles sont à l’équilibre, en solution.

Toute­fois, le dichroïsme cir­cu­laire reste encore très peu dévelop­pé pour les mesures dynamiques (ou hors-équili­bre) en par­ti­c­uli­er aux temps ultra-brefs. Cela néces­site d’utiliser des lasers délivrant des impul­sions fem­tosec­on­des et ce qu’on appelle la tech­nique « pompe-sonde ». Une pre­mière impul­sion laser intense, la pompe, sert à « per­turber » les bio­molécules tan­dis qu’une sec­onde moins intense, la sonde, per­met d’observer la réponse du sys­tème à la per­tur­ba­tion lumineuse. C’est un peu comme le flash qui précède la prise de pho­tos quelques instants après. En con­trôlant le retard entre l’arrivée des impul­sions pompe et sonde dans les échan­til­lons, il est pos­si­ble de mesur­er l’enchaînement des événe­ments déclenchés par la pompe avec une réso­lu­tion tem­porelle lim­itée par la durée des impul­sions pompe et sonde. En plus, en con­trôlant très pré­cisé­ment la polar­i­sa­tion cir­cu­laire de la sonde à chaque retard pompe-sonde, nous pou­vons retrac­er le film du change­ment de la con­for­ma­tion des bio­molécules au cours du temps.

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Quels sont les avantages et les inconvénients du dichroïsme circulaire résolu en temps comparativement aux autres techniques ?

Le prin­ci­pal intérêt du dichroïsme cir­cu­laire est de pou­voir accéder à la dynamique con­for­ma­tion­nelle des bio­molécules jusqu’à des échelles de temps extrême­ment brèves, ce qui n’est, par exem­ple, pas pos­si­ble avec la réso­nance mag­né­tique nucléaire. Bien qu’il soit pos­si­ble aujourd’hui de faire des mesures de dif­frac­tion de rayons X résolues en temps avec une réso­lu­tion tem­porelle très courte, cela néces­site l’utilisation de grands instru­ments tels les syn­chro­trons ou les lasers à élec­trons libres (XFEL) très coû­teux et à accès limité.

Si le dichroïsme cir­cu­laire donne des infor­ma­tions toute­fois moins pré­cis­es sur la struc­ture des bio­molécules que la dif­frac­tion de rayons X, nos expéri­ences utilisent des sources laser com­mer­ciales et sont directe­ment réal­is­ables dans notre lab­o­ra­toire. Le principe de ces mesures est extrême­ment sim­ple. Toute­fois, elles néces­si­tent d’être capa­ble de détecter des vari­a­tions de sig­naux lumineux extrême­ment faibles de l’ordre de 1/10000, ce qui explique cer­taine­ment pourquoi encore très peu de gens l’utilisent, pour le moment. Avec les pro­grès con­stants dans le développe­ment des sources laser et des optiques, ces expéri­ences sont amenées à devenir de plus en plus accessibles.

François Hache. Notre équipe est pio­nnière dans le développe­ment des mesures de dichroïsme cir­cu­laire aux temps très brefs. L’avantage de ces mesures est qu’elles ne deman­dent pas de mod­i­fi­ca­tions spé­ci­fiques des échan­til­lons étudiés et néces­si­tent de toutes petites quan­tités de pro­téines ou d’ADN, com­parées aux mesures de dif­frac­tion de rayons X qui requièrent de cristallis­er les échan­til­lons et qui sont destructives.

Comment avez-vous accueilli les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle pour la prédiction de la conformation des biomolécules ?

PC. Ce sont des pro­grès con­sid­érables, il devient pos­si­ble de prédire de manière fiable la struc­ture tridi­men­sion­nelle des pro­téines à par­tir de leurs séquences, notam­ment avec le développe­ment récent de l’algorithme Alpha Fold 2. Cepen­dant, la fonc­tion des bio­molécules n’est pas seule­ment liée à leur struc­ture tridi­men­sion­nelle, elle l’est égale­ment à leurs change­ments dynamiques. Mesur­er et mod­élis­er ces dynamiques — s’étalant sur des échelles de temps de plusieurs ordres de grandeur — reste encore un enjeu majeur de la bio­physique moderne.

Quelles sont les potentielles applications cliniques qui pourraient découler de vos recherches ?

FH. Nos études se con­cen­trent sur les bio­molécules en solu­tion in vit­ro. Il est dif­fi­cile d’envisager des études de ce type dans les cel­lules, les tis­sus ou encore in vivo. Nos travaux ont, avant tout, pour but de com­pren­dre com­ment se for­ment les hélices dans les pro­téines ou l’ADN et d’en iden­ti­fi­er les fac­teurs d’environnement déter­mi­nants, comme la tem­péra­ture, le pH ou la nature des ions. Com­pren­dre les effets dynamiques de l’interaction de cer­taines molécules ciblant spé­ci­fique­ment l’ADN sur sa struc­ture « chi­rale » est une voie que nous explorons égale­ment pour ali­menter de nou­velles pistes de recherch­es en phar­ma­colo­gie ou en médecine.

Julien Hernandez

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