Les vaccins contre le coronavirus responsable du Covid-19 ont mis en lumière une molécule biologique qui porte de nombreux espoirs pour la prévention contre certaines maladies graves et pour l’industrie pharmaceutique. Mais l’histoire de cette découverte ne commence pas en 2020. « Les vaccins ARN messagers (ARNm) sont le fruit de 20 ans de recherches académiques », raconte Marc Graille spécialiste des ARN au sein du Laboratoire de biologie structurale de la cellule (CNRS/Ecole Polytechnique). Ces molécules existent naturellement chez toutes les espèces vivantes. « Elles transmettent l’information entre l’ADN et les protéines, les produits finaux qui assurent le fonctionnement de la cellule », précise le spécialiste. C’est donc parce qu’elles font le lien entre l’information génétique, enfermée dans le noyau, et le reste de la cellule que ces molécules sont « messagers ». Et comme elles commandent la fabrication des protéines, les molécules effectrices de la biologie, une famille qui intègre aussi bien les enzymes que les récepteurs, elles intéressent beaucoup le monde biomédical.
Une molécule fragile, mais prometteuse
« Les vaccins ARNm sont possibles grâce à deux principales découvertes. D’une part, la mise au point de systèmes d’encapsulation pour injecter des ARNm de synthèse dans les cellules. Et d’autre part, la transformation de composants des ARNm pour contrôler leur dégradation », explique Marc Graille. Car ces molécules, omniprésentes dans le monde vivant, sont rapidement dégradées par l’organisme. « Les ARNm endogènes [venant de l’intérieur] des mammifères présentent des petites modifications chimiques qui évitent qu’ils soient reconnus comme exogènes [venant de l’extérieur] par le système immunitaire et donc éliminés trop rapidement », explique le spécialiste.
Katalin Karikó et Drew Weissman, deux chercheurs de l’université de Pennsylvanie, ont découvert ce phénomène et proposé une stratégie pour modifier les ARNm de synthèse. Grâce à ces travaux, leur cote, dans les paris concernant les prochains prix Nobel de médecine, est très élevée. « Cette découverte a été décisive. Si la pandémie s’était déclarée 5 ans auparavant, nous aurions été incapable de produire des vaccins à ARNm aussi efficaces », précise Marc Graille.
Mais malgré ces transformations chimiques, les ARN restent des molécules fragiles. Cette propriété participe à leur intérêt biomédical. « C’est un peu fou d’essayer d’injecter des molécules aussi fragiles, reconnaît Marc Graille. Ces molécules ne s’accumulent pas et se dégradent naturellement entre quelques dizaines de minutes et deux jours selon l’ARNm », ajoute-t-il. Cette faible durée de vie dans l’organisme réduit le risque d’effets indésirables à long terme.
Des applications allant au-delà du Covid-19
Les ARNm sont donc lus dans la cellule pour former des protéines. Dans le cas des vaccins à ARNm, ce sont ces molécules codées dans la séquence d’ARNm qui produisent la réaction immunitaire responsable de la vaccination, c’est-à-dire de la reconnaissance et la mémorisation d’un marqueur du pathogène. Cette molécule intéresse la vaccinologie, car « l’immunogénicité est inhérente à l’ARNm lui-même », indique Chantal Pichon, la spécialiste française des ARNm thérapeutiques, chercheuse CNRS et professeure à l’Université d’Orléans. « Même en utilisant des bases modifiées découvertes par Katalin Karikó, l’ARNm synthétique ne ressemble pas tout à fait aux ARNm endogènes. Il garde un caractère immunostimulateur, ce qui permet de faire des vaccins sans avoir besoin d’adjuvant. » Ainsi la molécule d’ARNm stimule la réaction immunitaire au moment de l’injection, améliorant ainsi l’efficacité de la vaccination.
Chantal Pichon poursuit « la structure des ARNm est connue. Elle se présente sous forme d’unités dont la séquence peut être optimisée en fonction de l’application. Cette structure permet de faire facilement des constructions, un peu comme des briques de lego. Pour un domaine d’application donnée, une fois la structure de l’ARNm optimisée, on peut changer facilement la séquence codante en fonction de la protéine qu’on souhaite produire dans la cellule ». Cette molécule peut donc en théorie être utilisée pour de très nombreuses applications.
D’ailleurs, le virus responsable du Covid-19, le Sars-Cov2, n’était pas le premier pathogène pour lequel cette stratégie était envisagée. « La littérature regorge d’études précliniques testant des vaccins à ARNm contre la grippe, le chikungunya, Zika, Ebola ou le VIH, précise Chantal Pichon. Si le SARS-Cov2 a été le premier à aller jusqu’au bout, c’est parce que le contexte pandémique a favorisé le financement et les prises de risque en testant plusieurs candidats dans des phases de recherche clinique. Et plusieurs vaccins ARNm ont pu être développés en parallèle ».
La solution pour faire face aux variants ?
Dans le cas de la grippe, le vaccin à ARNm est imaginé pour deux stratégies : pour des vaccins saisonniers, c’est-à-dire des vaccins préparés chaque année pour cibler des souches supposées majoritaires dans l’épidémie hivernale suivante, ou pour un vaccin universel. « C’est le type de vaccins que nous avions eu à produire dans mon laboratoire, dans le cadre d’un projet européen. C’est une des pistes principales pour créer des vaccins ARNm contre des maladies virales en s’affranchissant des problèmes de variants, indique la spécialiste, c’est un challenge parce qu’il faut trouver un ARNm pour stimuler une réponse efficace quel que soit le variant viral ». D’autres développements s’intéressent aux systèmes d’encapsulation. Dans le futur, ils aideront au relargage lent des ARN afin de produire des effets à long terme. On peut également créer des systèmes avec le matériel nécessaire pour amplifier l’ARN. « C’est déjà possible dans les laboratoires de recherche », déclare Chantal Pichon. Il sera alors peut-être possible d’utiliser des ARN pour compenser des molécules faisant défaut afin de soigner des maladies liées au vieillissement ou des maladies génétiques. Pour ces dernières, « des essais cliniques sont en cours pour soigner l’ischémie myocardique (crise cardiaque) ou la mucoviscidose », précise-t-elle. Le futur biomédical de cette molécule semble bien assuré.