Quelles sont les conséquences du réchauffement climatique sur les arômes du vin ?
Alexandre Pons. Depuis les années 2000, on observe une évolution de l’arôme des raisins et des vins rouges en lien avec une modification du niveau de maturité. On dit des Bordeaux qu’ils n’ont jamais été aussi bons parce que leur qualité est beaucoup plus homogène. Mais force est de constater que les odeurs de fruits frais (fraise, cassis), qui contribuent à la singularité de ces vins, laissent place à des odeurs de fruits confiturés (pruneau) caractéristiques des vins issus de régions viticoles plus méridionales.
Philippe Darriet. On peut également souligner l’atténuation des caractères végétaux, comme les odeurs de cosses de pois ou de poivrons frais. Les vins du changement climatique font ressortir des arômes de fruits confiturés, mais aussi de fruits secs et de vieux bois. Il y a aussi une forme de lourdeur dans la perception, alors qu’historiquement les vins de Bordeaux étaient caractérisés par leur fraîcheur, y compris après plus de dix ans de conservation.
Pourquoi les vins se transforment-ils ainsi ?
AP. Le stress hydrique et le stress thermique induisent des mécanismes de défense chez la plante qui aboutissent à la dégradation biochimique des acides gras. Il en résulte la production de composés volatils odorants, le plus souvent des composés carbonylés, qui contribuent à créer ces odeurs de fruits confiturés que l’on retrouve dans la baie de raisin. À Bordeaux, on considère que c’est un défaut qui se retrouve également dans les vins rouges prématurément vieillis.
PD. Il faut 17 grammes de sucre pour produire un degré d’alcool. Des raisins plus riches en sucre donnent des vins plus riches en alcool, mais il faut quand même que le raisin soit mûr pour le récolter, ce qui limite les actions correctives liées aux vendanges précoces, notamment sur les cépages les plus sensibles comme le merlot.
Le potentiel de garde des vins est-il menacé ?
AP. C’est une grande question. Connaissant le potentiel d’adaptation de l’homme et des végétaux, si l’on ne fait rien, il est fort probable que l’aptitude à la conservation des vins de Bordeaux s’en trouve affectée. À ce stade, ce n’est pas un résultat de recherche avéré, mais plutôt l’agrégation de résultats de recherches préliminaires et le fruit d’une réflexion sur l’évolution des pratiques œnologiques et culturales. Ce qui fait qu’un vin est stable d’un point de vue microbiologique réside dans la présence d’alcool et d’acidité. En revanche, des mécanismes chimiques dont la plupart sont modulés par le niveau d’acidité du milieu vont modifier l’équilibre aromatique du vin au cours de sa conservation en bouteille. Or, le degré d’alcool a considérablement augmenté ces vingt dernières années et l’acidité est en baisse. Tout l’enjeu pour le vinificateur est donc de gérer la maturité des raisins, de limiter le degré d’alcool et d’utiliser des techniques pour préserver l’acidité.
Faut-il corriger cette évolution ?
AP. Il y a deux écoles sur cette question. Une première qui recherche des vins puissants et charpentés, et une deuxième qui estime que ces vins ne sont pas l’avenir de Bordeaux car leurs arômes sont trop lourds et qu’ils sont trop riches en alcool. Mais ce n’est pas parce que l’on a une augmentation des températures moyennes que l’on aura forcément des difficultés à moyen terme. L’enjeu est d’être capable de produire des vins qui dégagent de la fraîcheur avec des raisins qui sont beaucoup plus mûrs qu’il y a vingt ans.
Quels sont les leviers pour y parvenir ?
AP. Pendant les années 1980 et 1990 à Bordeaux, l’œnologie s’est appliquée à développer des outils pour faire mûrir les raisins. L’enjeu était de réduire le caractère végétal du vin. On a diminué les rendements, effeuillé les vignes pour avoir un meilleur ensoleillement des baies de raisin, diminué la charge (le nombre de grappes), densifié les plantations…
Il faut aujourd’hui prendre le contre-pied de ces pratiques culturales. On observe déjà des résultats quand on met cela en place. Mais on demande aux vignerons de faire l’inverse de ce que l’on leur a conseillé de faire durant près de 20 ans, donc cela prend du temps. Par ailleurs, on observe sur le terrain la volonté de certains viticulteurs de sélectionner des cépages plus en adéquation avec le climat local. Toutefois, ce serait une erreur d’implanter dans ce vignoble des cépages emblématiques d’autres grandes régions viticoles, quand bien même ils seraient plus en adéquation avec le climat local ! La région de Bordeaux est riche d’une tradition viticole séculaire fondée sur une grande diversité d’encépagement, aujourd’hui réduite à sa portion congrue (seuls 3 cépages rouges sont très majoritairement cultivés à Bordeaux). Les faire renaître pourrait contribuer à enrichir la palette gustative et aromatique des vins de Bordeaux tout en pérennisant la tradition d’une production de vin de qualité dans un contexte climatique changeant.
PD. L’alternative variétale est un mouvement de long terme dont l’histoire du vignoble de Bordeaux témoigne. Sans occulter les cépages extérieurs, une proportion accrue d’autres cépages de la famille des Carmenets est une solution adaptative. À cela, une sélection de choix de porte-greffes adaptés à des contraintes hydriques plus sévères pourraient également fonctionner. L’œnologie – par la mise en œuvre de pratiques visant à limiter l’évolution des vins – est aussi en mesure d’apporter des solutions correctives.