Quelles sont les nouvelles géographies du vin ?
La plantation de vignes en Angleterre, en Belgique ou aux Pays-Bas est une conséquence logique du changement climatique. L’Angleterre, par exemple, est en train de devenir un pays viticole mature. C’est un producteur sérieux, qui est aujourd’hui capable de produire des vins de qualité se vendant entre 25 à 30 euros la bouteille sur le marché intérieur.
Aujourd’hui, ces terroirs relativement nouveaux sont propices à la production de vins blancs et de vins effervescents car leur exigence climatique est plus faible que celle des rouges. Ces vins requièrent une acidité soutenue, des raisins peu sucrés et peuvent donc être produits sous des températures relativement fraîches. On observe cela depuis longtemps en Alsace et en Champagne, ou bien dans les nouveaux mondes des vignobles que sont la Nouvelle-Zélande et la Tasmanie, qui bénéficient des mêmes caractéristiques.
Quelle est l’influence du réchauffement climatique dans le développement de ces nouveaux terroirs ?
La vigne répond aux influences de la température, au rayonnement, ainsi qu’à la disponibilité en eau et en éléments minéraux. À chaque endroit, ces ressources localement disponibles sont différentes. L’abondance varie d’un endroit à l’autre, ce qui influence la physiologie de la vigne : rendement, vigueur, précocité, composition du raisin. Le climat joue ainsi un rôle important, car il détermine le régime des températures, l’abondance du rayonnement et la disponibilité en eau. Le climat est supposé être une caractéristique fixe de l’environnement naturel, au détail près qu’il fluctue légèrement tous les ans : c’est la notion de millésime. Mais avec l’évolution du climat, cette donnée fixe est devenue une donnée variable. Dans la communauté viticole, les premiers articles scientifiques parus sur le réchauffement climatique ont une vingtaine d’années car le réchauffement s’est accéléré dans les années 1980 et la prise de conscience a eu lieu dans les années 2000.
En quoi les conséquences du réchauffement climatique sont-elles différentes d’un terroir à un autre ?
Les vignobles deviennent plus chauds partout dans le monde, et le régime hydrique évolue. Mais au nord du 45ème parallèle (Bordeaux, Bologne), les précipitations ont tendance à augmenter alors qu’en dessous, elles ont tendance à diminuer. L’impact du réchauffement est différent selon les secteurs climatiques. Les régions septentrionales avaient des problèmes de déficit de maturité du raisin (arômes herbacés, trop forte acidité, déficit en sucre) qui peuvent être comblés. En revanche, des pays comme l’Espagne ou l’Italie sont plus impactés en termes de qualité ainsi qu’en termes de rendements. Ces régions auront plus de difficultés à s’adapter. Entre le 35ème parallèle (Tanger, Tunis) et le 50ème parallèle (Charleroi, Prague), les facteurs limitants pour produire du bon vin ne sont pas les mêmes.
Quelle est la situation au sud ?
On y observe un manque d’eau. Mais le problème de la sécheresse est d’abord un problème de rendements. Quand la vigne est bien conduite et plantée avec des cépages et porte-greffes résistants à la sécheresse, on peut faire de grands vins avec 300 ou 400 mm de précipitations par an. En revanche, pour assurer la rentabilité, il faut produire du vin de qualité vendu à un bon prix, mais aussi des rendements suffisants.
On observe une certaine confusion sur les effets de la température et du manque d’eau. On ne peut pas compenser l’excès de chaleur par l’irrigation ; et d’ailleurs la vigne est très bien adaptée à la sécheresse. Les producteurs de vins à Mendoza, en Argentine, apportent une réponse intéressante au réchauffement : ils plantent désormais à 1 400 mètres d’altitude alors qu’à l’origine le vignoble se situe à 800 mètres. Mais il est évident que cette solution ne peut pas s’appliquer partout.
L’irrigation des terroirs est donc une pratique controversée ?
Historiquement, la très grande majorité des vignes étaient situées en Europe, où il n’y avait pas d’irrigation, y compris dans des régions très sèches comme l’Andalousie ou la Sicile. Dans le nouveau monde, l’irrigation était présente dans d’autres cultures, et c’est pour cela qu’on la retrouve également dans la viticulture. C’est une question de disponibilité en eau et un choix de société. L’irrigation permet d’augmenter les rendements, mais elle nécessite 1 à 4 millions de litres par hectare et par an. Il est inquiétant de voir se développer l’irrigation à grande échelle dans un pays comme l’Espagne dont le vignoble est immense et dont les ressources en eau sont limitées. Pour irriguer, on y puise souvent dans des aquifères fossiles, ce qui est un crime contre l’environnement.
Le climat britannique : plus chaud, mais moins stable
En raison du changement climatique, le Royaume-Uni bénéficie désormais de températures plus élevées, favorisant la production de vin. Climatologue spécialisé en viticulture et PDG de Vinescapes, Alistair Nesbit est impliqué dans le secteur viticole britannique depuis une vingtaine d’années. Selon lui, « le secteur a connu une croissance de 200 % au cours des dernières années en termes d’échelle et de volume. Les gens cultivent du vin dans des régions qui étaient trop froides il y a seulement 30 ou 40 ans. Le Royaume-Uni compte aujourd’hui environ 3 000 hectares (ha) de vignes et plus de 700 vignobles produisant du vin ». C’est cependant encore bien peu par rapport aux producteurs traditionnels, comme la France (environ 800 000 ha), l’Espagne (1 million ha) ou l’Italie (650 000 ha). 1
« Alors que d’autres pays et régions luttent contre la chaleur et la sécheresse, le secteur viticole britannique profite du réchauffement climatique » — en particulier grâce à une température moyenne stable de 13°C 2. « Mais les conditions ne sont pas aussi idéales qu’il n’y paraît », affirme-t-il. Notamment parce que le raisin a besoin de plus que d’un temps chaud pour pousser, et que les vignobles britanniques sont très exposés à des conditions météorologiques (risque de gel, précipitations instables) particulièrement variables d’une année sur l’autre.
C’est pourquoi, même si le secteur viticole britannique a fait l’objet de nombreux investissements, les rendements restent faibles. Dans une étude datant de 2018, Alistair Nesbit et ses collègues ont souligné le fait que ces faibles rendements étaient dus à l’emplacement inadéquat des vignobles 3. Leur rapport identifie au Royaume-Uni des parcelles appropriées au développement d’un vignoble d’une superficie totale de 33 700 ha – l’équivalent de la région française de Champagne – avec une température moyenne de 13,9°C pendant la saison de croissance.
Toutefois, et pour que le projet puisse réussir, il faut mieux comprendre les enjeux. Un projet entre climatologues, spécialistes du secteur viticole, chercheurs du Grantham Research Institute et de l’Université d’East Anglia, CREWS-UK, vise ainsi à étudier les futures conditions climatiques du Royaume-Uni, et leur impact potentiel sur la production de vin 4.