Comment le réchauffement climatique affecte-t-il le vignoble de Champagne ?
Vincent Malherbe. Les conditions sont de plus en plus méridionales et nous ont conduits à commencer les vendanges au mois d’août à trois reprises ces dix dernières années. Les printemps étaient froids et arrosés. Ils sont désormais plus chauds et plus secs. La vigne arrivait à maturité fin septembre, voire début octobre, alors qu’il faisait environ 4° le matin et 14° l’après-midi. Désormais, il peut faire plus de 25° au moment des vendanges.
Quels sont les impacts en termes de qualité ?
VM. Les maturités sont supérieures donc c’est bénéfique, mais cela pourrait changer si le climat continue à évoluer. Par le passé, nous vendangions en octobre pour atteindre la maturité nécessaire et nous pouvions rencontrer deux problèmes : un excès d’acidité et un risque de maladies liées à l’humidité. Désormais, les contraintes sont nouvelles : le taux d’alcoolémie est supérieur et l’acidité baisse. Nous devons être vigilants car c’est un élément nécessaire à l’équilibre et au vieillissement des champagnes. En moyenne mobile sur quatre ans, le degré d’alcoolémie est passé de 9,6° en 2007 à 10,1° en 2020. Dans les années 1980, il était fréquent de vendanger entre 7,5° et 8°.
Marc Brévot. L’évolution du contexte climatique impacte tous les compartiments de l’écosystème vigne. On voit par exemple des modifications du microbiote des raisins pouvant amener des arômes jusqu’alors inconnus. On observe aussi certaines années une désynchronisation de la véraison [modification de la couleur des baies], ce qui se traduit par une accumulation des sucres en avance sur la maturité phénolique et aromatique. Autre exemple, en comparant des analyses de composition de moûts actuels avec celles des années 1980 sur les mêmes parcelles, on constate que la matière azotée n’est plus la même. On perd en quantité et par ailleurs, la composition en acides aminés devient moins propice à la vinification. Nous devons donc piloter plus finement l’élaboration des vins, pour éviter des écarts organoleptiques avec le style désiré. Nous avons pour cela développé en R&D puis déployé un contrôle en temps réel des fermentations dans le nouveau site de vinification Moët & Chandon de Montaigu. Nous testons aussi de nouvelles technologies pour le futur, comme des caissons de refroidissement sous vide pour obtenir rapidement et efficacement une température idéale des raisins en vue de la vinification, ou des techniques d’analyse d’images traitées par intelligence artificielle pour caractériser l’état des raisins, au vignoble ou après cueillette, pour obtenir une matière première conforme à nos standards de qualité. Nous avançons également en recherche pour mieux comprendre le microbiote et son influence sur la qualité de nos produits, intégrer de nouveaux indicateurs précoces de sensibilité aux maladies pour aider les opérationnels dans leur prise de décision (ex : indices de fragilité de la pellicule de raisin), ou encore identifier les futures variétés de vignes à potentiel dans le nouveau contexte climatique.
Quels sont les leviers pour contrer les effets de l’évolution climatique ?
VM. La conduite de la vigne évolue, la taille notamment. On adapte le matériel végétal en utilisant par exemple des porte-greffes d’autres régions. Mais les cahiers des charges de l’INAO [l’organisme de réglementation des indications géographiques protégées] sont très stricts. Il ne faut pas figer nos recettes dans le marbre alors que l’environnement évolue. Nous demandons un droit à l’expérimentation autant d’un point de vue écologique qu’agronomique sans risquer le déclassement. Les Allemands, les Suisses et les Italiens sont plus souples que nous. La tradition d’aujourd’hui n’est pas soutenable à long terme, et il n’est pas non plus souhaitable d’entrer dans une stratégie de rupture. Nous devons évoluer pour maintenir le style et la qualité de nos vins. Il y a un siècle et demi, le Chardonnay n’existait pas en Champagne. Les anciens ont su évoluer.
A l’avenir, on aura besoin de cépages au cycle végétatif plus tardif, car il y a une corrélation entre la maturité et l’expression du fruit.
MB. Il y a une pression considérable sur la durabilité de l’agriculture d’une part, et une obligation à s’adapter au climat d’autre part. L’optimisation continue comme modèle de l’agriculture d’après-guerre est terminée. Nous devons développer des approches systémiques et non plus analytiques. L’agroécologie est en cela une piste passionnante. C’est un pilotage d’écosystème complexe dans lequel la vigne n’est plus isolée, mais bien partie intégrante de l’environnement, de la biodiversité et du climat.
Quel est l’avenir du vignoble champenois ? Êtes-vous intéressés par les nouveaux vignobles, comme ceux du sud de l’Angleterre ?
VM. Considérant ce que nous venons de dire, le vignoble champenois a un avenir radieux et ensoleillé… à condition de nous donner les moyens de faire évoluer, raisonnablement, nos pratiques culturales. La solution passe par l’innovation dans le respect de nos traditions. Nous avons énormément à faire sur nos 1 200 hectares en Champagne, l’expansion sur des vignobles dans le sud de l’Angleterre n’est pas d’actualité, même si nous suivons d’un œil attentif l’évolution des pratiques et techniques outre-Manche.