Dans quelle mesure le secteur agricole pèse-t-il dans la consommation d’énergie ?
Il faut commencer par souligner que le secteur agricole et de la sylviculture est particulier : seuls 13 % des gaz à effet de serre (GES) rejetés — en l’occurrence le CO2 — sont liés à sa consommation énergétique en France1 (ndlr : l’essentiel des émissions est lié aux rejets de CH4 et N2O, voir également article 1). Ces émissions liées à la consommation d’énergie représentent 2 % des émissions totales de la France.
Le secteur consomme 4,5 millions de tonnes équivalent pétrole par an en France, en grande partie pour les engins agricoles (75 %). Les bâtiments d’élevage et les serres chauffées sont les deux autres postes de consommation d’énergie. La consommation d’énergie finale de l’agriculture représente 3 % de la consommation totale d’énergie de la France, un chiffre stabilisé depuis 20042.
Par quoi passe l’amélioration de l’empreinte énergétique du secteur : faut-il consommer moins, ou consommer mieux ?
Une autre particularité du secteur agricole est la composition de son mix énergétique, dominé par les produits pétroliers. Le levier le plus important pour réduire l’empreinte énergétique est la diminution de la dépendance aux énergies fossiles. L’autre levier est sur bien la sobriété énergétique, et l’évolution des pratiques agricoles permet d’intervenir sur ces deux tableaux.
Il s’agit de repenser l’utilisation des machines pour limiter les interventions : remembrer les parcelles, modifier les itinéraires de culture ou encore diminuer le nombre de sorties pour désherber. L’électrification des machines ou l’usage de biométhane sont également intéressants, mais ces technologies ne sont pas encore matures. D’autres modifications techniques permettent aussi de réduire l’empreinte énergétique des exploitations. Je pense à l’isolation des serres, repenser leur implantation pour maximiser les apports solaires et limiter les déperditions, équiper les bâtiments d’élevage de dispositifs de récupération d’énergie, ou encore aux systèmes d’irrigation par micro-aspersion ou goutte-à-goutte.
Nous avons quantifié les réductions possibles dans un exercice prospectif pensé avec les acteurs de la filière. Les économies d’énergie se montent à 26 % d’ici 2050 pour un scénario tendanciel, où les meilleures technologies actuelles se déploient massivement. Elles peuvent atteindre 43 % dans un scénario volontariste.
L’autre pan de la transition énergétique concerne la production d’énergies renouvelables : quelle est la participation des exploitations agricoles ?
Le secteur agricole participe à hauteur de 20 % à la production d’énergie renouvelable en France, l’équivalent de sa consommation d’énergie totale3. Cette production est issue de près de 50 000 exploitations, soit environ 13 % des exploitations en activité.
La production repose majoritairement sur les biocarburants, auxquels 800 000 à un million d’hectares sont consacrés en France. Je pense que l’avenir repose plutôt sur les biocarburants de deuxième génération qui valorisent les sous-produits comme les déchets de bois. Leur niveau de maturité est cependant toujours faible.
Les exploitations agricoles abritent 83 % de la production d’énergie éolienne, ainsi que 13 % du solaire photovoltaïque, principalement installé sur les bâtiments d’élevage. Cette production suit la même trajectoire que le développement national. La production de biométhane, elle, se développe rapidement ces dernières années. Le nombre d’installations croît fortement — plus de 1 100 début 2022 — et valorise de façon grandissante les résidus de cultures et cultures intermédiaires. Par ailleurs, les installations évoluent majoritairement vers une injection du biométhane dans le réseau de gaz.
Nous estimons que la production d’énergies renouvelables par le secteur agricole devrait être multipliée par trois entre 2015 et 2050.
La production d’énergie ne met-elle pas en péril la production alimentaire ?
Cette question se pose actuellement face à l’essor de la méthanisation. Cela demande une réflexion sur l’encadrement de son développement. Par exemple, si elle se développe pour faire perdurer un système d’intensification des élevages, nous ne nous dirigerons pas dans la bonne direction. En Allemagne, des cultures dédiées à la méthanisation, qui détournent la production alimentaire vers de la production énergétique, ont vu le jour.
Au-delà d’un simple processus de production d’énergie, la méthanisation répond à de nombreux autres enjeux et peut servir un projet agricole vertueux : meilleure valorisation des effluents, implantation de couverts végétaux et réduction de la consommation des intrants de synthèse par une utilisation adaptée des digestats.
Certaines voix s’élèvent également face au risque que ferait peser l’agrivoltaïsme sur le foncier agricole… un cadre ne s’imposerait-il pas là aussi ?
Le foncier agricole intéresse beaucoup d’opérateurs énergétiques. Les toitures des bâtiments sont depuis longtemps équipées de panneaux photovoltaïques, et des éoliennes installées dans les champs : ces installations génèrent un complément de revenus avec un impact très réduit sur le foncier agricole.
Nous évaluons actuellement les systèmes agrivoltaïques — que nous définissons comme des projets au sein desquels le système de production photovoltaïque fournit un service agricole — comme la protection contre le gel ou les fortes chaleurs (ombrières, serres photovoltaïques, etc.). Le secteur est extrêmement jeune et peu de données sont disponibles : nous promouvons pour le moment des expérimentations sur de petites surfaces pour quantifier les retombées de tels systèmes sur les exploitations.
Et dans le monde ?
L’ensemble des systèmes agro-alimentaires — incluant la production, le transport, la transformation, la commercialisation… — consomme 30 % de l’énergie disponible dans le monde. Mais l’étape de production alimentaire ne représente qu’un quart de la consommation d’énergie4.
Plus précisément, en 2019, les secteurs de l’agriculture et de la sylviculture ont consommé 2,7 % de l’ensemble des produits pétroliers consommés d’après l’Agence internationale de l’énergie. Avec 407 millions de tonnes de CO2 émises en 2019, la production alimentaire est responsable de 1,2 % des émissions mondiales de CO2. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture4, l’amélioration de l’efficacité énergétique repose sur les activités de production dans les pays développés. Pour les pays en développement, au contraire, il est nécessaire de se focaliser sur l’énergie utilisée après la production.