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Quelles pistes pour réduire les émissions de GES de l’agriculture

Quelles sont les émissions de GES de l’agriculture ?

Anaïs Marechal, journaliste scientifique
Le 23 février 2022 |
4 min. de lecture
Véronique Bellon
Véronique Bellon
directrice de l’Institut convergences agriculture numérique
En bref
  • Dans le monde, le secteur agricole est responsable de 23 % des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), soit 12 GtCO2 équivalent/an.
  • La diminution des émissions de GES, le stockage du carbone dans les sols et la production d’énergie sont les leviers du secteur de l’agriculture à travailler. Cela conduirait, en France, à une réduction de 46 % des émissions de gaz à effet de serre liés à l’agriculture d’ici 2050.
  • La technologie n’est pas la solution, mais elle en fait partie. Elle peut aider à détecter tôt les problèmes : les capteurs optiques pour la santé des plantes, les pièges à insectes connectés pour détecter les nuisibles, ou encore les capteurs de mouvements des animaux pour suivre leur santé.
  • Si jusqu’à présent les technologies numériques visaient surtout les gains économiques et le confort, qui sont les préoccupations principales des exploitants, leur apport et leur impact sur le changement climatique prennent désormais une place grandissante.

Cet arti­cle fait par­tie du qua­trième numéro de notre mag­a­zine Le 3,14, dédié à l’a­gri­cul­ture. Décou­vrez-le ici.

Dans un monde en forte muta­tion, la pri­or­ité du secteur agri­cole est de nour­rir plus d’individus. En par­al­lèle, le secteur se trans­forme en s’adaptant au change­ment cli­ma­tique, voire en l’atténuant grâce à dif­férents leviers : la diminu­tion des émis­sions de gaz à effet de serre (GES), le stock­age du car­bone dans les sols et la pro­duc­tion d’énergie. En France, la mise en œuvre de l’ensemble des leviers — pro­mus par la Stratégie nationale bas-car­bone — con­duirait à une réduc­tion de 46 % des émis­sions de gaz à effet de serre liés à l’agriculture d’ici 20501.

Dans le monde, les secteurs agri­coles, forestiers et autres util­i­sa­tions des ter­res sont respon­s­ables de 23 % des émis­sions anthropiques de GES, soit 12 GtCO2 équivalent/an2. L’essentiel de ces émis­sions s’explique, d’une part, par les rejets agri­coles de méthane CH4 (4 GtCO2 équivalent/an) et de pro­toxyde d’azote N2O issu de la fer­til­i­sa­tion azotée (2,2 GtCO2 équivalent/an) ; et d’autre part par les change­ments d’usage des ter­res et la déforesta­tion, qui rejet­tent 5,2 Gt de dioxyde de car­bone CO2 par an.

Comment les nouvelles technologies peuvent aider le secteur agricole à réduire ses émissions de GES ?

Selon un rap­port de la Com­mis­sion européenne3, l’agriculture de pré­ci­sion pour­rait réduire de 1,5 à 2 % les émis­sions de GES de l’agriculture européenne. Cela repose prin­ci­pale­ment sur les sys­tèmes d’épandage à taux vari­ables, qui délivrent une dose de fer­til­isant adap­tée aux besoins des plantes, réduisant ain­si les émis­sions de N2O asso­ciées. Les autres out­ils qui peu­vent réduire les émis­sions de GES sont les dis­posi­tifs d’autoguidage des engins agri­coles, grâce à une meilleure con­duite qui dimin­ue les con­som­ma­tions de carburant.

L’agriculture de pré­ci­sion per­met d’individualiser les apports à la plante ou l’animal en fonc­tion de ses besoins. Elle se base sur un cycle « observation/diagnostic/préconisation/action » qui s’appuie sur les tech­nolo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion. Les don­nées satel­lites, de plus en plus com­plétées par des cap­teurs embar­qués sur les engins, sont util­isées pour mesur­er les carences des végé­taux, en par­ti­c­uli­er dans les grandes cul­tures. Ces don­nées sont ensuite inté­grées à des mod­èles agronomiques qui four­nissent des recom­man­da­tions d’applications des engrais à taux vari­ables, hétérogènes au sein de la par­celle. Des out­ils sim­i­laires d’aide à la déci­sion sont aus­si util­isés en éle­vage pour éviter de trop nour­rir le bétail, lim­i­tant les déjec­tions et donc les émis­sions de CH4.

Ces outils sont-ils utilisés par les producteurs ?

Le numérique souf­fre d’un impor­tant déficit d’adoption : en Europe, 22 % des exploita­tions utilisent les out­ils d’application à taux vari­able des fer­til­isants3. En France, seules 10 % des fer­mes céréal­ières les ont adoptés.

Plusieurs fac­teurs l’expliquent. En pre­mier lieu, le retour sur investisse­ment n’est pas tou­jours claire­ment éval­ué. Or ces tech­nolo­gies et ser­vices sont coû­teux, les exploitants ont besoin de con­naître leurs béné­fices — qu’ils soient économiques, envi­ron­nemen­taux ou liés à la per­cep­tion de l’utilité. En région Occ­i­tanie, nous avons mis en place le Liv­ing lab Occ­i­tanum pour tester ces out­ils dans dif­férentes exploita­tions et éval­uer les béné­fices et les coûts qu’ils induisent.

L’appropriation dépend de la façon dont l’outil s’intègre dans l’environnement de tra­vail. C’est pourquoi il faut favoris­er la co-con­cep­tion qui rap­proche les indus­triels et les agricul­teurs pour pro­duire des out­ils adap­tés aux besoins des exploitants. Ils peu­vent ain­si être plus sim­ples à utilis­er, adap­tés au tra­vail réal­isé au champ. Enfin dif­férents freins s’ajoutent à ce tableau : manque de for­ma­tion du secteur agri­cole en général, oppo­si­tions idéologiques, ques­tions sur la sécu­rité des don­nées, etc.

La technologie suffit-elle à la transition écologique ?

Non, la tech­nolo­gie n’est pas la solu­tion, mais elle en fait par­tie. Ce sont les change­ments de pra­tiques agri­coles, que la tech­nolo­gie va faciliter, qui réduisent les retombées sur le cli­mat. La tech­nolo­gie accom­pa­gne ces change­ments, par exem­ple pour pass­er à des échelles plus importantes.

À quel(s) changement(s) de pratiques agricoles pensez-vous ?

Je par­le d’agroécologie. Cette approche con­siste à favoris­er un équili­bre du sys­tème à l’aide des proces­sus écologiques, sans apport extérieur, con­traire­ment à l’agriculture con­ven­tion­nelle. On peut par exem­ple rem­plac­er les mono­cul­tures par un mélange d’espèces, qui dimin­ue le besoin en intrants.

Mais l’agroécologie est un sys­tème de cul­ture plus com­plexe. D’une part, elle néces­site une atten­tion poussée à la san­té des plantes et des ani­maux pour anticiper et traiter le prob­lème rapi­de­ment. Les out­ils tech­nologiques peu­vent aider à détecter tôt les prob­lèmes : les cap­teurs optiques pour la san­té des plantes, les pièges à insectes con­nec­tés pour détecter les nuis­i­bles, ou encore les cap­teurs de mou­ve­ments des ani­maux pour suiv­re leur san­té. D’autre part, le mélange d’espèces végé­tales exige un semis de pré­ci­sion, y com­pris au milieu d’une cul­ture précé­dente. Les semoirs de pré­ci­sion per­me­t­tent de le réalis­er plus facile­ment, tout en évi­tant de retourn­er le sol et de rejeter du CO2 dans l’atmosphère.

Images satellites, capteurs, données… Ces outils n’ont-ils pas eux aussi une empreinte environnementale ?

C’est une ques­tion sur laque­lle la com­mu­nauté sci­en­tifique com­mence à se pencher, mais il n’existe pas tou­jours d’évaluation de leur empreinte envi­ron­nemen­tale par analyse du cycle de vie. Mal­gré tout, on peut s’attendre à ce que les économies de GES faites avec les out­ils numériques soient très supérieures à leur pro­pre empreinte. Il est tout de même impor­tant de réalis­er ces mesures pour avoir une image exacte des béné­fices environnementaux.

La ques­tion cen­trale est celle des flux de don­nées. En fait, nous n’en sommes pas encore au big data en agri­cul­ture, mais il faut se pos­er la ques­tion avant que les don­nées n’explosent. Il fau­dra tra­vailler sur le choix des don­nées à con­serv­er, la forme de leur stock­age, la mise au point d’algorithmes frugaux…

Si jusqu’à présent les tech­nolo­gies numériques visaient surtout les gains économiques et le con­fort, qui sont les préoc­cu­pa­tions prin­ci­pales des exploitants, leur apport et leur impact sur le change­ment cli­ma­tique pren­nent désor­mais une place grandissante.

1Les enjeux cli­mat pour le secteur agri­cole et agroal­i­men­taire en France, Car­bone 4, mai 2021
2IPCC, 2019: Sum­ma­ry for Pol­i­cy­mak­ers. In: Cli­mate Change and Land: an IPCC spe­cial report on cli­mate change, deser­ti­fi­ca­tion, land degra­da­tion, sus­tain­able land man­age­ment, food secu­ri­ty, and green­house gas flux­es in ter­res­tri­al ecosys­tems [P.R. Shuk­la, J. Skea, E. Cal­vo Buen­dia, V. Mas­son-Del­motte, H.- O. Pört­ner, D. C. Roberts, P. Zhai, R. Slade, S. Con­nors, R. van Diemen, M. Fer­rat, E. Haugh­ey, S. Luz, S. Neo­gi, M. Pathak, J. Pet­zold, J. Por­tu­gal Pereira, P. Vyas, E. Hunt­ley, K. Kissick, M. Belka­ce­mi, J. Mal­ley, (eds.)]. In press
3Soto, I., Barnes, A., Bal­afoutis, A., Beck, B., Sanchez, B., Vangeyte, J., Foun­tas, S., Van der Wal, T., Eory, V., Gómez-Bar­bero, M., The con­tri­bu­tion of Pre­ci­sion Agri­cul­ture Tech­nolo­gies to farm pro­duc­tiv­i­ty and the mit­i­ga­tion of green­house gas emis­sions in the EU, EUR (where avail­able), Pub­li­ca­tions Office of the Euro­pean Union, Lux­em­bourg, 2019, ISBN 978–92-79–92834‑5, doi:10.2760/016263, JRC112505

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