Cet article fait partie du quatrième numéro de notre magazine Le 3,14, dédié à
l’agriculture. Découvrez-le ici.
D’ici fin 2022, l’Union européenne souhaite adopter un cadre de certification visant à encadrer le « carbon farming ». Cette notion regroupe les pratiques agricoles de gestion des stocks et flux de carbone et gaz à effet de serre (GES) à l’échelle de la ferme ayant pour but d’atténuer le changement climatique.
Le sujet est sur la table depuis la COP21, lors de laquelle l’initiative internationale 4 pour 1 0001 a été lancée. Son but ? Préserver les stocks de carbone des sols et les augmenter dès que possible afin de contribuer à la sécurité alimentaire, à l’adaptation et à l’atténuation du changement climatique. L’augmentation du stock de carbone des sols permet en effet de diminuer les quantités de carbone présent sous forme de CO2 dans l’atmosphère, dont le rôle de gaz à effet de serre est bien connu. Grâce à la matière organique, les sols sont l’un des principaux réservoirs de carbone de la planète.
Comment les exploitants agricoles peuvent-ils contribuer au stockage de carbone dans les sols ?
La quantité de carbone organique présente dans un sol résulte du bilan entre les entrées de carbone au sol et les sorties. Plusieurs pratiques agricoles permettent d’augmenter les entrées dès lors qu’elles décuplent les restitutions végétales : conserver un couvert végétal entre les cultures, allonger la durée de vie des prairies temporaires, enherber entre les rangs de vigne et arbres fruitiers, planter des haies et l’agroforesterie. On peut également apporter plus de matière organique résiduaire sous forme de compost.
Une étude de l’Inra en 2019 a montré que ces mesures sont efficaces et techniquement faisables en France. Aujourd’hui, différents leviers pourraient permettre de développer le recours à ces pratiques : la formation et l’accompagnement des agriculteurs, notamment pour appréhender tous les bénéfices ; et les incitations financières, par exemple grâce à la politique agricole commune, pour compenser leur coût supplémentaire.
À travers le monde, les principes sont les mêmes, mais toutes les pratiques ne sont pas pertinentes. Les cultures intermédiaires peuvent par exemple être très consommatrices en eau dans certaines régions. L’agriculture de conservation des sols est, elle, très souvent identifiée comme levier pour améliorer les sols. En France, nous ne disposons pas de suffisamment d’études pour évaluer ses effets.
L’adoption de ces pratiques ne peut-elle pas avoir d’autres retombées ?
Différents effets collatéraux font l’objet d’une attention particulière de la part de la communauté scientifique. Par exemple, la couverture des sols modifie l’albédo — leur pouvoir réfléchissant — et influence la température de surface globale. La mise en culture permanente de sols clairs peut contribuer à augmenter la température, contrebalançant ainsi les effets positifs liés au stockage de carbone. Ces effets d’albédo ont été sous-estimés jusqu’à récemment.
Autre exemple : la gestion des prairies permanentes. Leur intensification modérée grâce à la fertilisation permet de stocker plus de carbone dans les sols, mais cela génère aussi plus d’émissions de protoxyde d’azote, un autre GES. Un bilan complet de GES doit être réalisé.
Enfin, il faut noter qu’il existe des conflits d’usage autour de la biomasse végétale. Son retour direct au sol sous forme de résidus de culture constitue une source importante de carbone pour les sols. Mais sous quelle forme est-il préférable de le faire : résidus végétaux, fumier, compost, ou digestat en sortie de méthaniseur ? Selon la matière restituée, la persistance de son carbone dans le sol n’est pas la même. Nous manquons de bilans carbone et azote relatifs aux filières de valorisation de la biomasse végétale. De plus, la méthanisation est une source de revenus pour les exploitants : il est nécessaire de développer une approche filière autour de cette question.
Le stock de carbone des sols dépend des apports, mais aussi des pertes : quelle est l’importance des changements d’usage des sols ?
Les pertes de carbone sont liées à l’érosion des sols et surtout la minéralisation, un processus au cours duquel le carbone reprend sa forme gazeuse CO2. Les stocks de carbone diminuent lorsque les pertes sont plus importantes que les entrées. C’est le cas lors du changement d’usage des sols, quand une forêt ou une prairie permanente sont converties en culture. La perte des forêts et des prairies permanentes est le facteur le plus important de diminution des stocks de carbone des sols à l’échelle mondiale. En France, les forêts ont tendance à gagner du terrain, mais le retournement de prairies permanentes se poursuit et contribue au déstockage du carbone.
Aujourd’hui, comment évoluent les stocks de carbone des sols ?
Différents projets ont récemment établi de premières évaluations aux échelles française2, européenne3 et mondiale4. Leur évolution dans le temps n’est pas connue à grande échelle, mais des essais locaux longue durée donnent des estimations. En France, l’évolution des stocks de carbone des sols agricoles et forestiers se situe actuellement entre ‑0,2 et +3,2 pour mille par an5, avec une grande hétérogénéité spatiale. Certaines régions montrent des pertes, d’autres un enrichissement.
Le changement climatique a lui aussi des retombées sur les stocks. En augmentant la température, on augmente fortement la vitesse de minéralisation et donc les pertes de carbone dans les sols.
Quels sont les bénéfices pour le climat de toutes ces pratiques agricoles ?
L’étude de l’INRA nous montre que la mise en œuvre des pratiques stockantes permettrait un stockage additionnel d’environ 30 millions de tonnes de CO2 équivalent par an, principalement au niveau des grandes cultures où les stocks actuels sont bas. Cela représente 41 % des émissions de carbone agricoles et 7 % des émissions nationales totales. Une modélisation à l’échelle européenne6 estime que l’augmentation des stocks de carbone pourrait compenser 5 à 12 % des émissions agricoles de CO2. Il n’existe pas d’estimation équivalente à l’échelle mondiale. Mettre en œuvre des pratiques agricoles permettant un stockage additionnel de carbone dans les sols contribuerait donc à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre.
Mais une évaluation globale des pratiques agricoles reste nécessaire. Par exemple, la diminution du labour n’a que peu d’effet sur les stocks de carbone des sols, mais cette pratique est très favorable à la biodiversité des sols et à leur capacité à résister à l’érosion.
Cependant, l’atténuation du changement climatique ne doit pas être la principale finalité de ces pratiques agricoles. La première reste évidemment une production agricole durable, dans lesquels les sols contribuent à de multiples services écosystémiques et à la biodiversité.