« Une si grande partie de la valeur que nous fournit la nature est considérée comme allant de soi », explique Lisa Mandle, l’une des directrices de recherche du Natural Capital Project de l’université de Stanford. « Notre mission est de fournir des informations sur les endroits et les façons dont la nature compte pour les gens – et pour l’économie. »
Le Natural Capital Project est une organisation interdisciplinaire qui travaille sur la question des « services écosystémiques » – ou des services rendus par la nature aux personnes – depuis 15 ans. Grâce à InVEST, un logiciel qu’elle a mis au point, l’équipe dit utiliser les meilleures données scientifiques disponibles pour aider à la prise de décision. « Et l’aspect commercial en fait partie », explique-t-elle.
InVEST est une suite logicielle open source permettant d’explorer différents scénarios de gestion des terres et des océans. « Nous voulions créer un outil facile à utiliser dans des contextes variés », déclare Lisa Mandle. InVEST propose de comparer les services rendus par les écosystèmes dans différentes situations, en cartographiant et en quantifiant des phénomènes tels que le captage du carbone ou la protection contre les inondations, à partir de données facilement accessibles (comme les cartes topographiques).
Investir dans les écosystèmes
« À ce jour, nous avons trouvé plus de 400 publications évaluées par des pairs faisant appel à InVEST. Parmi elles, 82 % sont rédigées par des personnes qui ne font pas partie du Natural Capital Project, ce qui est un bon indicateur de l’ampleur de l’utilisation de notre logiciel. »
Selon le Natural Capital Project, InVEST peut être utilisé partout dans le monde, et peut s’avérer particulièrement précieux dans des contextes où l’accès aux données est faible. À ce titre, l’équipe a récemment réalisé pour la première fois des modèles à l’échelle mondiale. Leurs résultats, publiés dans la revue Science 1, mettent en lumière les régions du monde où les investissements dans les ressources naturelles pourraient avoir le plus grand impact sur les communautés locales, notamment le bassin du Gange, l’est de la Chine et les régions d’Afrique subsaharienne. « Notre approche et nos outils sont un moyen de montrer ce qui est en jeu en intégrant la valeur de la nature dans la prise de décision, et en augmentant la transparence des conséquences des choix des gouvernements et des entreprises sur les populations. »
Travailler avec de grandes entreprises
« Outre les gouvernements, les ONG et les instituts de recherche, nous avons travaillé avec un certain nombre d’entreprises du secteur privé », explique-t-elle. Parmi elles, la multinationale Unilever, qui a récemment pris des engagements très ambitieux pour réduire l’impact de ses activités sur l’environnement, notamment en ce qui concerne son approvisionnement 2.
Il existe de nombreuses façons pour les entreprises d’utiliser la science et les outils du Natural Capital Project. « Certaines entreprises, comme Unilever, ont des employés utilisant des modèles qu’ils ont développés eux-mêmes sur notre outil », souligne-t-elle. Dans d’autres cas, les informations sont reprises par l’entreprise via des consultants et des chercheurs. « Même si nous n’avons pas travaillé directement avec eux, la compagnie d’assurance Swiss Re a récemment publié un rapport basé sur notre modélisation. 3 »
En 2015, le Natural Capital Project a publié une étude décrivant sa collaboration avec Dow Chemical 4 au sujet de l’une de leurs installations dans le Golfe du Texas susceptible d’être inondée lors des tempêtes côtières. L’entreprise voulait savoir s’il lui fallait investir dans une digue pour se protéger. En l’occurrence, ils avaient le choix entre (1) la construction d’une digue artificielle et (2) la restauration des marais comme barrière de protection naturelle.
Certaines analyses avaient montré qu’une digue artificielle aurait pour l’entreprise une valeur de 217 millions de dollars – soit une valeur nettement supérieure à celle des protections naturelles. Cependant, en utilisant InVEST pour modéliser les différents scénarios, l’équilibre a changé. Une autre solution a été proposée : celle d’une digue de taille moyenne, combinée à certains efforts de restauration. Dans cette configuration, ils ont constaté que les systèmes naturels fournissaient une protection supplémentaire des côtes, mais présentaient également des avantages pour les populations locales en termes de rétention du carbone et d’activités de loisir. Tous ces éléments sont considérés comme des services écosystémiques, et offrent un résultat « hybride » d’une valeur de 229 millions de dollars pour l’entreprise.
En outre, cette décision a également bénéficié à la biodiversité, à la pêche et à la faune sauvage. La restauration partielle des terres a donc constitué une approche « gris-vert », un compromis favorable à la fois aux intérêts économiques et aux préoccupations environnementales.
Contribuer à des projets plus larges
Dans certains cas, le Natural Capital Project est impliqué dans des collaborations plus complexes. L’un de leurs projets en Mongolie, dirigé par Becky Chaplin-Kramer, une autre des directrices de recherche du Natural Capital Project, concerne la production de cachemire pour la maison de mode de luxe Kering 5. En moins de dix ans, la demande de cachemire a quadruplé, ce qui a résulté en une augmentation considérable du nombre d’élevages de chèvres dans le désert de Gobi. Le surpâturage a entraîné une baisse significative de la végétation et des répercussions négatives sur l’environnement, notamment à cause de la poussière du désert, qui constituait des nuages pouvant atteindre des régions aussi éloignées que la Californie.
L’équipe a participé à la recherche d’une solution. Pour ce faire, elle a aidé une entreprise locale en lui proposant une solution de compensation de la biodiversité dans la région pour restaurer la végétation. Pour cela, le Natural Capital Project a utilisé InVEST et ses services de modélisation des écosystèmes, en les combinant à l’imagerie satellitaire de la NASA pour suivre le projet de restauration.
Cela permet donc à l’équipe de collaborer avec les entreprises, en les aidant à prendre leurs décisions, et à suivre les résultats. Néanmoins, travailler avec les firmes de cette manière nécessite des efforts de recherche considérables et beaucoup de temps. « Nous recevons plus de demandes que nous ne pouvons en traiter », explique Lisa Mandle. « Il y a une forte demande pour ce type d’informations, et le défi a été de fournir des solutions rapidement et de manière suffisamment complète pour les personnes qui veulent les utiliser. C’est formidable de voir ces idées s’imposer réellement dans le monde entier. »