Avant la pandémie, 2020 devait être une année charnière pour l’action politique internationale en faveur de la nature et du climat. Toutefois, les évènements sanitaires ont eu pour conséquence de repousser tous les événements internationaux clés à 2021. À la place, 2020 s’est donc avéré être une année charnière pour la finance et la biodiversité, avec une avalanche de nouvelles initiatives et de rapports, et une demande de nouveaux produits.
Une étape importante a été le lancement de la « Task Force for Nature-Related Financial Disclosures » (TNFD) 1 – une initiative inspirée de l’équivalent climatique (« Task Force on Climate-Related Financial Disclosures », TCFD) 2. Par ailleurs, 26 institutions financières ont signé un nouvel engagement en faveur la biodiversité 3 et les autorités de régulation du secteur de l’assurance ont annoncé qu’elles examineraient le risque financier associé à la perte de biodiversité 4.
La COP15, une avancée pour la biodiversité
Il est dit que cet élan se poursuivra en 2021, notamment grâce au grand sommet mondial sur la biodiversité (COP15). Cette réunion devait initialement se tenir en Chine en mai prochain, mais elle a été repoussée en octobre en raison de la pandémie. Le résultat attendu de la COP15 est la production d’un nouveau cadre et de nouveaux objectifs mondiaux pour la biodiversité. À ce titre, le sommet est présenté comme un équivalent de l’accord de Paris pour la biodiversité. L’initiative « Finance for Biodiversity » (F4B) 5 vise à accroître la place donnée à la biodiversité dans les décisions financières, et contribuera à mieux aligner les intérêts de la finance et la conservation de la nature.
« Ce fut une année extraordinaire », déclare Simon Zadek, président de F4B et coprésident du groupe d’experts techniques de la TNFD. « Aux premiers jours de F4B, en octobre 2019, lorsque nous avons demandé aux gens ce qu’ils entendaient par “financement de la biodiversité“, ils pensaient au financement de la conservation. Cette compréhension a évolué de manière significative et très progressive. Il s’agit désormais de savoir comment nous pouvons repenser la finance de manière à protéger la biodiversité, plutôt que de simplement collecter de l’argent pour restaurer la nature détruite. »
Le bilan des chiffres de la biodiversité
La multiplication des initiatives visant à quantifier les risques financiers liés à la perte de biodiversité est peut-être encourageante, mais les chiffres montrent qu’elles ne peuvent pas suivre le rythme effréné de la destruction de la nature et de la dégradation des habitats. En réponse à une commission du gouvernement britannique sur l’économie de la biodiversité, le dernier rapport à tirer la sonnette d’alarme a été publié en février par l’économiste de l’université de Cambridge Partha Dasgupta 6.
Ce rapport cherche à créer un nouveau cadre économique fondé sur l’écologie et qui permette à l’humanité de vivre sur Terre de manière durable. En termes économiques, Dasgupta note que le capital produit a doublé entre 1992 et 2014, et que le capital humain a augmenté d’environ 13 %. Au contraire, le stock de « capital naturel » (de valeur produite par la nature) par personne a diminué de près de 40 %. Le rapport indique que les taux d’extinction actuels sont 100 à 1 000 fois plus élevés que le taux de base de la planète, et que 20 % des espèces pourraient s’éteindre au cours des prochaines décennies.
Simon Zadek soutient que le rapport aurait pu aller plus loin. « Je dirais, avec beaucoup de respect, qu’il choisit d’ignorer l’économie politique, qui explique pourquoi nous en sommes là aujourd’hui. Le fait que personne ne prenne en compte les conséquences négatives de ses actions sur la nature est une chose que nous avons choisi d’autoriser en soutenant les modèles économiques actuels. Et le rapport ne le précise pas, laissant les lecteurs dans l’idée erronée qu’il existe des solutions purement technocratiques au problème. »
La COP15 fera-t-elle la différence ?
La COP15 – initialement prévue pour mai 2021, mais désormais repoussée à octobre – devrait constituer une étape majeure dans les négociations internationales sur la biodiversité. Selon le Global Biodiversity Outlook 5 (2020) 7, les pays n’ont pas réussi à atteindre collectivement les 20 objectifs fixés par la Convention sur la diversité biologique d’Aichi, au Japon, en 2010. Ces objectifs visaient à lutter contre les facteurs de perte de biodiversité, notamment la déforestation, l’agriculture non durable, la pollution, la perte d’habitat et les espèces envahissantes. Ils seront probablement remplacés par une nouvelle série d’objectifs « Kunming », du nom de la ville hôte chinoise.
La dynamique politique est forte : les dirigeants de plus de 65 pays se sont réunis en septembre 2020 pour signer l’engagement des dirigeants en faveur de la nature 8 dans le but d’inverser le déclin de la courbe de la biodiversité d’ici à 2030. Mais que signifiera ce nouveau cadre pour les entreprises et la finance ?
Simon Zadek met en garde contre le fait que les entreprises et la finance doivent aborder les négociations en tant qu’acteurs et non en tant que spectateurs. « Le succès de l’accord de Paris est dû en partie à l’extraordinaire capacité des organisateurs français à faire entendre de multiples voix autour des négociations, et les voix de la communauté financière ont été extrêmement importantes à cet égard », déclare-t-il.
« Ce qui ressortira de ces négociations, c’est une plus grande attention portée à la nature. La communauté financière doit être à bord, parce les risques à long terme sont pour eux aussi importants que pour le climat, et ils doivent donc les intégrer à leur comptabilité. »
« Dans l’intérêt de tous, la communauté financière doit contribuer au succès de l’action internationale en faveur de la nature, et ne pas se contenter d’en recevoir les bénéfices. Nous devons travailler cette année pour faire entendre la voix du secteur financier, non pas pour obtenir de l’argent ou en donner, mais pour indiquer la faisabilité d’actions ambitieuses », exhorte-t-il.
La financiarisation de la nature : pour et contre
De nombreux détracteurs de la financiarisation de la nature affirment cependant que cette approche est le problème, et non la solution. Dans un document de 2019 de l’Institut de l’environnement de Stockholm 9, les auteurs affirment que la financiarisation peut servir à démontrer l’importance des écosystèmes dans des contextes où les valeurs monétaires ont un poids substantiel, mais qu’elle crée une incitation à multiplier les services les plus générateurs de revenus, au détriment des autres dimensions des écosystèmes.
En outre, certains affirment que la financiarisation ne pourra jamais saisir l’importance de la nature dans le sentiment de bien-être des humains. Dans un essai de 2017 intitulé La vie au-delà du capital 10, le professeur John O’Neill de l’université de Manchester écrit : « La notion de capital naturel est fondée sur une mauvaise compréhension de la prospérité, qui ne permet pas de saisir correctement la place qu’occupent les relations interpersonnelles, les lieux et le vivant dans une “vie bonne“. C’est dans la vie au-delà du capital que nous sommes en mesure de prospérer pleinement. »
Simon Zadek adopte lui plutôt un point de vue à trois voies : « La financiarisation de tout ce que nous considérons comme ayant une valeur intrinsèque pose de nombreux problèmes. Et la nature – fragile, non circulaire, dans toutes sortes d’états de décomposition – en est l’exemple. Nous devons effectivement trouver le moyen de convertir la nature en processus économiques, même si nous devons être vigilants quant aux dangers de la financiarisation. »