Parmi les leviers réglementaires pour réduire le gaspillage, il y a la question des dates de consommation et de durabilité ?
Oui, c’est un sujet important, car plus de 50 % des Français ne font pas la différence entre la Date Limite de Consommation (DLC) et la Date de Durabilité Minimale (DDM). La DLC, obligatoire pour les denrées rapidement périssables, est la date après laquelle le produit devient impropre à la consommation, car il peut présenter un risque pour la santé humaine. Tandis que la DDM est la date après laquelle le produit perd une partie de ses qualités nutritionnelles ou organoleptiques, sans pour autant constituer un risque pour la santé. Elle est indiquée par la mention : « À consommer de préférence avant le XX/XX/XXXX ».
On estime que cette méconnaissance est à l’origine de 20 % du gaspillage alimentaire à l’échelle du consommateur. De plus, cette question dépasse le cadre national et se pose au niveau européen, ce qui nécessite de modifier la réglementation qui encadre l’information des consommateurs.
Plusieurs évolutions réglementaires pourraient réduire le gaspillage lié à la mauvaise interprétation de ces dates. On pourrait, par exemple, reformuler la mention « À consommer de préférence avant le… » par « Meilleur avant le… ». On pourrait également envisager une action politique pour remplacer certaines DLC par des DDM et élargir la liste des produits exemptés de DDM. À titre d’exemple, actuellement le sel ou le vinaigre sont exemptés de DDM, mais pas les pâtes ou le riz.
Qu’est-ce que X‑Food ?
« Lancé fin 2018 sous l’impulsion d’anciens élèves de l’École Polytechnique, X‑Food a pour objectif d’éclairer les controverses sur des sujets liés à l’agriculture et à l’alimentation, et de promouvoir l’innovation. La transition vers une alimentation saine et durable, dans un contexte de croissance démographique mondiale, est un défi crucial. Nous avons une double approche, scientifique et holistique. Sur chaque sujet que nous étudions, nous associons à notre réflexion des experts de tous horizons : chercheurs, industriels, ingénieurs, qu’ils soient issus du secteur privé, public, ou associatif. »
« Nous avons organisé quatre rencontres-débats au fil de l’année 2020, en remontant progressivement la chaîne de valeur : consommation et restauration, distribution, transformation, puis production, et en faisant appel à chaque fois à 3 ou 4 experts du secteur. Ces rencontres ont été suivies d’une conférence de synthèse, de la publication d’un outil de calcul des pertes destiné aux professionnels et d’un document de synthèse d’une cinquantaine de pages dans lequel nous proposons d’agir sur 12 leviers de maîtrise des pertes alimentaires. »
Anne-Claire Asselin, Présidente X‑Food
D’autres leviers sont plus difficiles à actionner, car ils sont à l’interface de différents maillons de la chaîne alimentaire ?
Oui, c’est le cas du gaspillage des fruits et légumes, par exemple. Les producteurs ne peuvent pas toujours écouler toute leur production, à cause des aléas climatiques, de dynamiques de marché, ou de contraintes sanitaires et réglementaires. Les critères de calibrage issus de la réglementation, ainsi que certains cahiers des charges de certains acheteurs, entraînent un rejet important de productions ainsi déclassées. Si les critères sanitaires sont incontestables, les critères de qualité (taux de sucre, taux de protéines…), ou esthétiques (couleur, taille, forme…) semblent plus discutables. Ils génèrent d’importants rejets de fruits et légumes dits « moches ». Or la réglementation européenne impose de tels critères de calibrage et d’apparence à dix catégories de produits qui représentent environ 75 % du marché ! Écartant les fruits et légumes déclassés des circuits classiques de distribution…
On a là un bel exemple de la complexité de la lutte contre le gaspillage. On pourrait valoriser ces aliments abîmés en produisant des conserves. Mais il faudrait alors que cette filière de production soit approvisionnée régulièrement, ce qui est contradictoire quand on parle de fruits et légumes abîmés. On pourrait également, en modifiant la législation, les proposer de façon plus systématique aux consommateurs, à prix réduit.
Il ne suffit pas de permettre la vente de produits non calibrés, encore faut-il que les consommateurs aient envie de les acheter ?
Oui, comme on peut le voir ici encore, la lutte contre le gaspillage implique plusieurs acteurs. En l’occurrence, les producteurs continuent à produire des aliments calibrés, car le consommateur les demande. Il est donc nécessaire d’inciter les personnes en bout de chaîne à acheter ces produits par des campagnes de promotion, comme celle qui a été réalisée sur les « Gueules Cassées » ou les « Légumes moches ».
D’autant que les rayons ou paniers « anti-gaspi » ou contenant des produits « proches de la date limite de consommation » souffrent d’un défaut d’exposition quand ils ne sont pas simplement rebutants, car déposés en vrac au fond du magasin. La nourriture moins chère est également associée à une qualité alimentaire moindre. Des entreprises, comme Zéro Gâchis ou Smartway, par exemple, proposent de transformer l’image de ces rayons pour les rendre attractifs, en jouant notamment sur l’image positive de la lutte contre le gaspillage. Il faut aussi sensibiliser les grandes surfaces aux impacts positifs de ces rayons sur le plan économique.
Les 12 leviers pour lutter contre le gaspillage et les pertes alimentaires cités dans le rapport
1. Aligner la définition du gaspillage alimentaire entre la France et d’autres organismes.
2. Clarifier la distinction entre Date Limite de Consommation (DLC) et Date de Durabilité Minimale (DDM), et supprimer certaines DDM.
3. Mobiliser les Plans d’Alimentation Territoriaux (PAT) et les financements publics.
4. Rééquilibrer les rapports commerciaux au profit des agriculteurs.
5. Revisiter les calibrages et les cahiers des charges commerciaux.
6. Assouplir les contrats-dates entre fournisseurs et distributeurs.
7. Faciliter le retraitement des surplus agricoles.
8. Identifier et assurer le suivi des produits proches de la péremption.
9. Développer la vente de produits proches de la péremption.
10. Renforcer et améliorer la qualité du don des invendus alimentaires.
11. Sensibiliser les professionnels et les consommateurs.
12. Mettre en place une éducation au gaspillage alimentaire.
Un des derniers leviers, et pas le moindre, passe par l’information et l’éducation ?
Une source majeure de pertes et gaspillages se trouve à l’interface distribution/consommation ; c’est l’hyper-choix offert à un « hyper-consommateur » qui doit s’y retrouver entre des produits à faible impact carbone, des produits bio, des promotions sur des produits moins chers…
Au niveau national, il faut accroître la visibilité du sujet, et en faire, par exemple, une grande cause nationale, comme l’a proposé Guillaume Garot lors de l’un de nos débats. Il faudrait également mettre en place, pourquoi pas dans les écoles, une éducation au gaspillage alimentaire. Les plus jeunes sont généralement sensibles à ces sujets et peuvent impulser un changement d’attitude.
Quel sera le prochain thème de réflexion d’X‑Food ?
La question des pertes et gaspillages alimentaires a été notre premier sujet. En 2021–2022, nous avons choisi le thème des protéines animales : quels en sont les différents impacts ? Faut-il vraiment en consommer moins ? Un sujet tout aussi complexe et sujet à controverses que celui du gaspillage alimentaire !
Le lien vers le rapport est téléchargeable ici.