L’économie numérique atteint actuellement des sommets… tout comme son impact environnemental. Responsable de 3,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2019, le numérique a dépassé le secteur de l’aviation (2,5% en 2018) ; une fracture encore accentuée par la pandémie. Entre 2015 et 2019, la consommation mondiale d’énergie du numérique a augmenté de 6,2 % par an1, en partie grâce à l’envolée des ventes d’objets connectés comme les smartphones, les tablettes, les ordinateurs portables, les imprimantes, les téléviseurs, et autres appareils industriels ou caméras de surveillance. À l’horizon 2025, les projections montrent que les émissions de GES du secteur numérique sont susceptibles d’augmenter de 5,5 % (avec un risque élevé de dépasser ce chiffre pour atteindre 9 %). Les appareils sans fil sont désignés comme d’importants responsables de ce bilan.
De récents rapports publiés par The Shift Project identifient l’« Internet des objets » (IoT, pour Internet of Things), qui regroupe l’ensemble des appareils connectés que nous utilisons au quotidien, comme l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre du secteur. La part des objets connectés dans l’impact environnemental du numérique devrait en effet passer à une proportion entre 18 et 23% contre seulement 1% en 20102. Cette évolution est moins surprenante si l’on considère que, selon des estimations de 2021, chaque habitant d’Europe occidentale possède en moyenne 9 appareils numériques. Alors que l’on comptait environ 1 milliard de ces appareils dans le monde en 2010, ils seront entre 30 et 50 milliards en 2025, et pourront atteindre jusqu’à 100 milliards dès 2030. Les données mondiales sont donc claires : le nombre d’appareils connectés augmente de manière exponentielle, accroissant par-là l’empreinte environnementale du secteur numérique.
Se concentrer sur la production et l’utilisation
« Les émissions de GES dues aux appareils connectés proviennent à la fois de leur production et de leur utilisation. On considère généralement que la moitié de la consommation d’énergie concerne la production des objets, et l’autre moitié leur utilisation », explique Chantal Taconet, maître de conférences en informatique à Télécom SudParis. Les chiffres de l’ADEME (Agence de la transition écologique) montrent ainsi qu’un ordinateur de 2 kg génère en moyenne sur toute sa durée de vie 169 kg de CO2, dont 124 kg au cours de sa seule production. Chantal Taconet souligne dès lors qu’une grande partie de la solution réside dans la durée de vie de nos appareils. « En prenant en compte la production et l’utilisation des appareils connectés, nous pouvons évaluer combien de temps nous devrions utiliser un objet ou un équipement – en mois ou en années – pour minimiser son empreinte environnementale. Nous commençons à modéliser ce calcul en intégrant tous les paramètres. » Elle cite l’exemple d’un thermostat connecté : « Nous devons prendre en compte le nombre d’objets à produire, leur coût de fabrication et d’utilisation, leur durée de vie estimée, etc. Avec ces paramètres, nous pouvons évaluer la durée de vie appropriée pour maximiser les avantages environnementaux. » De tels calculs pourraient nous indiquer, par exemple, combien d’années un propriétaire de voiture électrique devrait conserver son véhicule pour réaliser de réels bénéfices en termes d’émissions de CO2 par rapport à une voiture thermique, en tenant notamment compte du nombre de kilomètres parcourus par an et selon le pays [les émissions de CO2 de la production d’électricité diffèrent selon les pays].
À Télécom SudParis, Chantal Taconet enseigne à la nouvelle génération d’ingénieurs numériques. « Nous encourageons les étudiants à se poser les bonnes questions lors de la conception d’un nouveau système ; à décider s’il faut ou non produire ce nouvel objet ; s’ils peuvent espérer des gains dans un délai acceptable ; et, si oui, comment faire en sorte que le système consomme le moins d’énergie possible. »
Innovations en matière de transfert de données
« Au cours de leur vie, les appareils connectés produisent d’énormes quantités de trafic de données – entre eux, et avec les serveurs chargés de traiter ces données, que ce soit dans le cloud ou dans d’autres systèmes tels que l’« edge » ou le « fog computing ». » En réalité, pour les objets connectés, la question de l’efficacité environnementale se pose assez tôt dans le processus de développement, car la consommation de l’objet lui-même doit être réduite pour optimiser la taille et la durée de vie de sa batterie. Ainsi, les chercheurs étudient, par exemple, comment faire en sorte que les détecteurs se mettent en veille automatiquement et ne se réveillent que lorsqu’il leur faut émettre.
Les travaux de Chantal Taconet vont cependant au-delà des simples détecteurs, puisqu’elle cherche plus largement à intégrer les questions d’efficacité énergétique dans la conception de nouveaux logiciels. « Je mène des recherches sur les systèmes distribués et le rôle des logiciels, ou « middleware », qui permettent l’échange de données entre différents composants d’applications distribués. Mes recherches concernent toute la chaîne d’événements, de la détection aux logiciels en aval contrôlés via le cloud. Les améliorations les plus importantes en matière de consommation d’énergie seront obtenues en réduisant les transmissions sur l’ensemble de la chaîne. Le capteur ne doit émettre que lorsque c’est nécessaire, et les clouds doivent jouer le rôle de filtres pour ne transmettre aux applications que ce qui a un intérêt spécifique. » Par exemple, les signaux de transmission sont différents selon qu’un capteur sans fil est installé au sommet de la tour Eiffel pour informer périodiquement les stations météorologiques, ou installé dans une salle de classe pour surveiller la température moyenne.
La chercheuse considère également que l’une des clés consiste à trouver un moyen d’améliorer l’efficacité du transfert des données grâce à une architecture distribuée. Elle étudie, par exemple, des innovations architecturales telles que les « cloudlets », de petits clouds de proximité installés près des capteurs de données. « La question est de savoir s’il est souhaitable – en termes d’impact environnemental – de créer des cloudlets. D’un côté, c’est une bonne chose, car cela réduit le nombre d’intermédiaires pour la transmission des données entre producteurs et consommateurs. Cela dit, on ne sait pas où se trouvent les producteurs et les consommateurs de ces données. Il faut donc des routeurs et des serveurs logiciels pour distribuer les données à ceux qui vont les utiliser. Il peut ainsi être préférable d’utiliser des serveurs centraux pour limiter le nombre d’appareils. » La 5G est un autre domaine illustrant le type de problèmes que le secteur numérique devra résoudre. « Pour la même quantité de données transférées, la 5G est moins gourmande. Mais elle vient s’ajouter à des technologies existantes, et multiplie les équipements et les antennes. Et qui dit augmentation du débit dit toujours augmentation de l’usage. » Pourtant, globalement, elle conclut que pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre, « il faut agir en réduisant le nombre de nouveaux appareils produits et utilisés. C’est le nerf de la guerre ! »
L’un des conseils aux utilisateurs d’appareils numériques les plus connus est de les éteindre complètement lorsqu’ils ne sont pas utilisés. L’ADEME, par exemple, indique dans son rapport que « la consommation totale [d’une box Internet/TV] sur une année est comprise entre 150 et 300 kWh : autant qu’un gros réfrigérateur ! » Soulignant également que « 43% des personnes n’éteignent jamais leur box, et 41% ne l’éteignent que lorsqu’elles s’absentent pour une longue durée. » Il existe ainsi du côté des utilisateurs des gestes simples qui pourraient contribuer à réduire l’impact environnemental du numérique. Dans un rapport, GreenIT suggère également de regrouper les appareils connectés en un seul, afin d’améliorer l’efficacité globale.