Paul Benoit et Miroslav Sviezeny ont fondé Qarnot Computing en décembre 2010. Leur idée, utiliser la chaleur émise par les serveurs informatiques, que l’on appelle “chaleur fatale”, pour chauffer des bâtiments. Et plutôt que de récupérer cette chaleur et de l’acheminer, ils transforment les serveurs en “radiateurs” qu’ils installent dans les locaux à chauffer. Une plateforme logicielle envoie les calculs informatiques à effectuer – calculs financiers, d’imagerie 3D, de dessins animés… – vers les serveurs et récupère les résultats pour les reconsolider. Les “radiateurs ordinateurs”, baptisés QH•1, sont munis d’un thermostat et d’un interrupteur, permettant de les régler à la demande.
Trois ans plus tard, Qarnot a testé ses premiers modèles dans des logements du XVème arrondissement à Paris puis a équipé un immeuble neuf à Bordeaux. Ont suivi des levées de fonds, des clients prestigieux, le développement d’une chaudière numérique appelée QB•1, et un partenariat avec le groupe Casino pour le chauffage d’entrepôts. Aujourd’hui, la société compte 70 personnes dont 50 ingénieurs qui développent de nouvelles applications de « chaleur écologique ».
Qarnot dit vendre de la “chaleur écologique”. De quoi s’agit-il ?
Quentin Laurens. Qarnot vend avant tout un service de calcul informatique. La chaleur fatale est une conséquence de l’activité des serveurs, que nous valorisons. Après avoir créé le “radiateur ordinateur”, c’est-à-dire du chauffage de bâtiment par calcul d’ordinateur, Qarnot a enrichi sa gamme d’une chaudière numérique qui produit de l’eau chaude à plus de 60 °C. Pour inclure nos produits et les différents marchés auxquels ils s’adressent, nous disons aujourd’hui que nous fournissons du calcul informatique bas carbone. Notre modèle nous permet de vendre de la puissance de calcul informatique bas carbone pour les uns et de l’eau chaude écologique pour les autres. Cela signifie que nous produisons du chauffage ou de l’eau chaude grâce à la chaleur dégagée par les processeurs qui effectuent les calculs. Notre savoir-faire réside en grande partie dans la plateforme logicielle qui répartit et distribue les calculs à effectuer de façon totalement transparente pour les occupants des lieux où sont installés les appareils.
Cette activité intéresse deux types d’utilisateurs : les grands consommateurs de traitement informatique, notamment les banques et les studios de dessins animés, et les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les énergéticiens qui installent nos appareils dans leurs bâtiments. De nouveaux secteurs commencent à s’y intéresser, notamment avec le développement de l’intelligence artificielle et du « machine learning », des logiciels de mécanique des fluides et de la recherche médicale.
Diriez-vous que la chaleur écologique “verdit” le numérique, qu’elle le rend vertueux ?
Attention, nous ne disons pas que nous sommes zéro carbone ou zéro émission. Plus qu’une énième solution bas carbone, notre modèle est un véritable changement de paradigme. Pour un data center, il faut construire un bâtiment, l’alimenter en énergie pour son fonctionnement et le refroidissement des serveurs, le connecter aux réseaux internationaux, l’équiper de serveurs, d’un groupe électrogène et de fioul, etc. Le modèle Qarnot n’a besoin ni de data center ni de refroidissement. La seule chose nécessaire est une source d’énergie et une connexion à la fibre pour effectuer les calculs et donc par conséquent produire du chauffage. Nous essayons d’optimiser la durée de vie des serveurs et des microprocesseurs en utilisant la « puissance-crête » (la puissance maximale d’un dispositif) veillant à conjuguer les bonnes performances et l’émission de chaleur. Nous estimons que nous réduisons de 81 % les émissions de CO2 par rapport à un modèle classique de data center car nous n’avons pas d’externalités négatives, cela minimise les effets et les impacts.
Comment avez-vous évalué cette réduction ?
Aujourd’hui, nous ne disposons pas d’un calcul précis, c’est une estimation que nous avons faite nous-mêmes. Nous avons lancé le développement d’une méthode de calcul qui nous permet d’aller à un grand degré de finesse dans la mesure de l’empreinte carbone, en intégrant chacun des paramètres (empreinte carbone de la source d’électricité suivant les pays, le matériel utilisé, le taux de chaleur récupéré etc.). Avec ce modèle, nous pouvons calculer la consommation précise et quantifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un calcul informatique ou d’une activité. Cette méthodologie est en cours de certification. Cela nous permettra d’estimer le coût de calcul dans un data center, en tenant compte des écarts de prix de l’électricité et d’émissions entre la France, qui produit de l’énergie nucléaire, et des pays qui produisent de l’électricité dans des centrales à charbon.
Quelles sont les possibilités de développement de la chaleur écologique ?
Nous avons développé et amélioré la chaudière QB•1, et nous menons actuellement des tests avec l’Open compute project pour récupérer des serveurs auprès des grands data centers lorsqu’ils renouvellent leurs parcs et les reconditionner en chaudières. Pour l’instant, nous vendons essentiellement des services de calcul ou de chauffage. Nous envisageons de vendre prochainement la chaudière en “stand alone”, c’est-à-dire qu’un client pourrait acheter des chaudières et les utiliser à la fois pour le calcul et pour chauffer de l’eau. Nous envisageons également d’utiliser la chaleur pour produire du froid.
Du côté des utilisateurs, il y a de nombreux marchés qui sont intéressés et avec qui nous développons des projets. Des agriculteurs testent la solution Qarnot pour chauffer des serres et produire tomates et fraises à longueur d’année. Des brasseries envisagent de s’en servir pour chauffer l’eau. Les réseaux de chaleur, notamment dans les pays du Nord de l’Europe, s’intéressent de plus en plus aux énergies de récupération. Nous avons déjà des projets réalisés avec plusieurs villes. Les projets ne manquent pas. Tous ces défis passionnent nos ingénieurs, car ils répondent à leurs préoccupations environnementales. La chaleur écologique n’en est encore qu’à ses débuts.