Cet article fait partie du quatrième numéro de notre magazine Le 3,14, dédié à
l’agriculture. Découvrez-le ici.
Émetteurs de méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O), les effluents (eaux usées) d’élevage sont responsables d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’élevage 1. Ces émissions sont liées à leur mode de stockage et de traitement. Les solutions d’atténuation consistent à réduire le temps de stockage, séparer les phases solide et liquide, couvrir les fosses ou encore utiliser des inhibiteurs de nitrification ou d’uréase (transformation de l’urine).
Dernier levier en plein développement : la méthanisation. Elle consiste à récupérer le méthane issu de la décomposition anaérobie — sans oxygène — de la matière organique. Le biogaz peut être transformé en électricité et chaleur dans des unités de cogénération, ou injecté directement dans le réseau de gaz. Le résidu, appelé digestat, est utilisé pour fertiliser et amender le sol. Les unités de méthanisation utilisant des effluents d’élevage peuvent être installées à la ferme, en couverture sur les fosses à lisier déjà existantes ou centralisées au sein d’un territoire.
Comment se porte la filière méthanisation des effluents agricoles ?
Au 1er janvier 2022, on dénombre 1175 unités de méthanisation en France, dont 805 utilisaient des effluents agricoles en 2021. Les unités de méthanisation traitant les déchets ménagers et industriels n’évoluent pas beaucoup, tandis que celles de station d’épuration se dirigent vers l’injection de biométhane. En revanche, les installations à la ferme et centralisées augmentent fortement, elles représentent le plus gros potentiel en France : le parc d’installations à la ferme est passé de 38 unités en 2010 à 661 en 2020 2. Quelques projets de méthanisation de grande taille existent, mais les nouvelles installations sont essentiellement de taille petite à moyenne, traitant entre 10 000 et 20 000 tonnes de déchets par an.
Historiquement, la filière méthanisation s’est portée sur la cogénération d’électricité et de chaleur, qui représente 72 % des unités à la ferme ou centralisées en 2020 [2]. Mais depuis 5 ans, la tendance est à l’injection de biométhane dans le réseau de gaz. À la ferme, la valorisation en injection est passée de 41 à 114 unités entre 2018 et 2020. La même dynamique est observée pour les installations centralisées, passées de 15 à 55 unités en injection sur la même période.
Qu’est-ce qui explique cet engouement pour l’injection de biométhane ?
En premier lieu, la volonté de substituer du gaz naturel importé en priorité par le biométhane plutôt que l’électricité. Dans le contexte actuel, le biométhane présente l’intérêt majeur de fournir une énergie renouvelable et souveraine pour la France et l’Europe. Autre argument en faveur de l’injection de biométhane : l’efficacité énergétique. La cogénération d’électricité seule présente une efficacité de 35 %, qui monte jusqu’à 50 % voire 55 % si on valorise également la chaleur. L’injection de biométhane présente une efficacité énergétique proche de 85 %.
La validation des bonnes performances de la technologie a ouvert la voie à une diffusion plus large de ce type de projet. Aujourd’hui la réglementation exige d’étudier en priorité la faisabilité d’une installation en injection. Ces projets sont cependant plus coûteux : l’investissement moyen est de 5,5 millions d’euros, contre 2 millions d’euros pour la cogénération.
Quel rôle peut jouer la méthanisation pour réduire l’impact climatique de l’élevage ?
Elle est identifiée comme l’un des premiers leviers de réduction des GES liés à l’élevage. Chaque projet permet d’éviter, en moyenne, le rejet de 2 600 tonnes équivalent CO2 dans l’atmosphère. L’Inrae a réalisé la première analyse du cycle de vie (ACV) concernant le biométhane issu de méthanisation agricole 3. Elle y établit un bilan environnemental prenant en compte la production d’énergie, la gestion des effluents et la fertilisation des sols. Les performances environnementales sont améliorées de 60 à 85 % pour 16 des indicateurs considérés. Aucune amélioration n’est observée pour 5 indicateurs, et le système est moins performant pour quelques indicateurs, notamment à cause du recours accru à l’énergie électrique. Les points d’attention sont la maîtrise des émissions fugitives de biogaz et le respect des bonnes pratiques à l’épandage des digestats.
La méthanisation offre également une solution pour traiter les biodéchets du territoire, diversifier l’agriculture, permettre un retour au sol de la matière organique et réduire l’usage d’engrais minéraux. C’est un avantage majeur pour augmenter notre autonomie concernant la fertilisation des sols.
Pensez-vous que la méthanisation va continuer à se développer ?
Oui. Nous observons une dynamique forte depuis trois ans, avec 1,5 TWh de capacité annuelle supplémentaire installée chaque année. L’objectif de la Programmation pluriannuelle de l’énergie — atteindre 6 TWh en 2023 — va être dépassé dès cette année ! Nous estimons le potentiel de production à 30–35 TWh de biométhane en 2030, et 90–130 TWh en 2050 4. Il existe également un fort potentiel au niveau des couvertures de fosse à lisier, ces unités de microméthanisation ne traitant que des effluents d’élevage et valorisant le biogaz en autonomie sur les élevages. 40 existent aujourd’hui, alors qu’il existe plusieurs dizaines de milliers de fosses à lisier.
Dispose-t-on de suffisamment de biomasses ? France Stratégie5 estime que les gisements existants sont deux fois moindres que ceux pris en compte dans la Stratégie nationale bas-carbone.
Les effluents d’élevage sont la ressource prioritaire à utiliser. Ce gisement doit être complété de substrats plus méthanogènes (comme les végétaux) afin de trouver un bon compromis technico-économique. Dans nos travaux prospectifs, le gisement mobilisable en tonnages bruts est constitué de 50 % d’effluents d’élevage, 30 % de cultures intermédiaires et 20 % d’autres déchets. Les cultures ou couverts intermédiaires sont indispensables pour atteindre nos objectifs de production d’énergie renouvelable.
Certains pays comme l’Allemagne ont choisi de produire des cultures annuelles dédiées à la production d’énergie. Il est indispensable d’encadrer cet usage pour éviter la concurrence alimentaire. En France, cette part est limitée réglementairement à 15 % des zones cultivées, et est actuellement comprise entre 3 et 6 %.
Certains riverains s’opposent à l’installation d’unités de méthanisation, dénonçant les nuisances sonores, olfactives ou les risques d’explosion. Est-ce un frein au développement de la filière ?
Les unités de méthanisation sont des installations classées pour la protection de l’environnement, elles sont donc soumises à de nombreuses réglementations de prévention des risques environnementaux et pour les populations. Par leur activité agricole d’origine, les exploitants sont déjà habitués à gérer les effluents d’élevage : seule la gestion du biogaz est nouvelle et demande formation et rigueur d’exploitation. Les risques en cas d’accident concernent surtout le personnel des exploitations et non les riverains.
Ma crainte se situe plutôt au niveau des installations de très grande taille, dont la pérennité des approvisionnements et les performances environnementales peuvent être questionnées. L’intégration locale des projets ne joue pas en faveur de ces installations.