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Climat : l'élevage peut-il réduire ses émissions ?

« La méthanisation présente un bilan environnemental très positif et renforce notre autonomie énergétique »

Anaïs Marechal, journaliste scientifique
Le 6 avril 2022 |
5 min. de lecture
Julien_Thual
Julien Thual
expert au service valorisation des déchets de l’Ademe
En bref
  • Les effluents (eaux usées) d’élevages sont responsables d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’élevage.
  • Ces émissions sont liées à leur mode de stockage et de traitement.Au 1er janvier 2022, on dénombre 1175 unités de méthanisation en France, dont 805 utilisaient des effluents agricoles en 2021.
  • La méthanisation continue de se développer avec, ces dernières années, une forte dynamique qui a notamment permis l’ajout de 1,5 TWh de capacité annuelle installée.
  • Il est indispensable d’encadrer cet usage afin d’éviter la concurrence alimentaire. En France, cette part est limitée réglementairement à 15 % des zones cultivées, et est actuellement comprise entre 3 et 6 %.

Cet arti­cle fait par­tie du qua­trième numéro de notre mag­a­zine Le 3,14, dédié à
l’a­gri­cul­ture. Décou­vrez-le ici.

Émet­teurs de méthane (CH4) et pro­toxyde d’azote (N2O), les efflu­ents (eaux usées) d’élevage sont respon­s­ables d’environ 10 % des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) de l’élevage 1. Ces émis­sions sont liées à leur mode de stock­age et de traite­ment. Les solu­tions d’atténuation con­sis­tent à réduire le temps de stock­age, sépar­er les phas­es solide et liq­uide, cou­vrir les fos­s­es ou encore utilis­er des inhib­i­teurs de nitri­fi­ca­tion ou d’uréase (trans­for­ma­tion de l’urine). 

Dernier levi­er en plein développe­ment : la méthani­sa­tion. Elle con­siste à récupér­er le méthane issu de la décom­po­si­tion anaéro­bie — sans oxygène — de la matière organique. Le biogaz peut être trans­for­mé en élec­tric­ité et chaleur dans des unités de cogénéra­tion, ou injec­té directe­ment dans le réseau de gaz. Le résidu, appelé dige­s­tat, est util­isé pour fer­tilis­er et amender le sol. Les unités de méthani­sa­tion util­isant des efflu­ents d’élevage peu­vent être instal­lées à la ferme, en cou­ver­ture sur les fos­s­es à lisi­er déjà exis­tantes ou cen­tral­isées au sein d’un territoire.

Comment se porte la filière méthanisation des effluents agricoles ?

Au 1er jan­vi­er 2022, on dénom­bre 1175 unités de méthani­sa­tion en France, dont 805 util­i­saient des efflu­ents agri­coles en 2021. Les unités de méthani­sa­tion trai­tant les déchets ménagers et indus­triels n’évoluent pas beau­coup, tan­dis que celles de sta­tion d’épuration se diri­gent vers l’injection de bio­méthane. En revanche, les instal­la­tions à la ferme et cen­tral­isées aug­mentent forte­ment, elles représen­tent le plus gros poten­tiel en France : le parc d’installations à la ferme est passé de 38 unités en 2010 à 661 en 2020 2. Quelques pro­jets de méthani­sa­tion de grande taille exis­tent, mais les nou­velles instal­la­tions sont essen­tielle­ment de taille petite à moyenne, trai­tant entre 10 000 et 20 000 tonnes de déchets par an.

His­torique­ment, la fil­ière méthani­sa­tion s’est portée sur la cogénéra­tion d’électricité et de chaleur, qui représente 72 % des unités à la ferme ou cen­tral­isées en 2020 [2]. Mais depuis 5 ans, la ten­dance est à l’injection de bio­méthane dans le réseau de gaz. À la ferme, la val­ori­sa­tion en injec­tion est passée de 41 à 114 unités entre 2018 et 2020. La même dynamique est observée pour les instal­la­tions cen­tral­isées, passées de 15 à 55 unités en injec­tion sur la même période. 

Qu’est-ce qui explique cet engouement pour l’injection de biométhane ?

En pre­mier lieu, la volon­té de sub­stituer du gaz naturel importé en pri­or­ité par le bio­méthane plutôt que l’électricité. Dans le con­texte actuel, le bio­méthane présente l’intérêt majeur de fournir une énergie renou­ve­lable et sou­veraine pour la France et l’Europe. Autre argu­ment en faveur de l’injection de bio­méthane : l’efficacité énergé­tique. La cogénéra­tion d’électricité seule présente une effi­cac­ité de 35 %, qui monte jusqu’à 50 % voire 55 % si on val­orise égale­ment la chaleur. L’injection de bio­méthane présente une effi­cac­ité énergé­tique proche de 85 %.

La val­i­da­tion des bonnes per­for­mances de la tech­nolo­gie a ouvert la voie à une dif­fu­sion plus large de ce type de pro­jet. Aujourd’hui la régle­men­ta­tion exige d’étudier en pri­or­ité la fais­abil­ité d’une instal­la­tion en injec­tion. Ces pro­jets sont cepen­dant plus coû­teux : l’investissement moyen est de 5,5 mil­lions d’euros, con­tre 2 mil­lions d’euros pour la cogénération.

Quel rôle peut jouer la méthanisation pour réduire l’impact climatique de l’élevage ?

Elle est iden­ti­fiée comme l’un des pre­miers leviers de réduc­tion des GES liés à l’élevage. Chaque pro­jet per­met d’éviter, en moyenne, le rejet de 2 600 tonnes équiv­a­lent CO2 dans l’atmosphère. L’Inrae a réal­isé la pre­mière analyse du cycle de vie (ACV) con­cer­nant le bio­méthane issu de méthani­sa­tion agri­cole 3. Elle y établit un bilan envi­ron­nemen­tal prenant en compte la pro­duc­tion d’énergie, la ges­tion des efflu­ents et la fer­til­i­sa­tion des sols. Les per­for­mances envi­ron­nemen­tales sont améliorées de 60 à 85 % pour 16 des indi­ca­teurs con­sid­érés. Aucune amélio­ra­tion n’est observée pour 5 indi­ca­teurs, et le sys­tème est moins per­for­mant pour quelques indi­ca­teurs, notam­ment à cause du recours accru à l’énergie élec­trique. Les points d’attention sont la maîtrise des émis­sions fugi­tives de biogaz et le respect des bonnes pra­tiques à l’épandage des digestats.

La méthani­sa­tion offre égale­ment une solu­tion pour traiter les biodéchets du ter­ri­toire, diver­si­fi­er l’agriculture, per­me­t­tre un retour au sol de la matière organique et réduire l’usage d’engrais minéraux. C’est un avan­tage majeur pour aug­menter notre autonomie con­cer­nant la fer­til­i­sa­tion des sols. 

Pensez-vous que la méthanisation va continuer à se développer ?

Oui. Nous obser­vons une dynamique forte depuis trois ans, avec 1,5 TWh de capac­ité annuelle sup­plé­men­taire instal­lée chaque année. L’objectif de la Pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie — attein­dre 6 TWh en 2023 — va être dépassé dès cette année ! Nous esti­mons le poten­tiel de pro­duc­tion à 30–35 TWh de bio­méthane en 2030, et 90–130 TWh en 2050 4. Il existe égale­ment un fort poten­tiel au niveau des cou­ver­tures de fos­se à lisi­er, ces unités de microméthani­sa­tion ne trai­tant que des efflu­ents d’élevage et val­orisant le biogaz en autonomie sur les éle­vages. 40 exis­tent aujourd’hui, alors qu’il existe plusieurs dizaines de mil­liers de fos­s­es à lisier.

Dispose-t-on de suffisamment de biomasses ? France Stratégie5 estime que les gisements existants sont deux fois moindres que ceux pris en compte dans la Stratégie nationale bas-carbone. 

Les efflu­ents d’élevage sont la ressource pri­or­i­taire à utilis­er. Ce gise­ment doit être com­plété de sub­strats plus méthanogènes (comme les végé­taux) afin de trou­ver un bon com­pro­mis tech­ni­co-économique. Dans nos travaux prospec­tifs, le gise­ment mobil­is­able en ton­nages bruts est con­sti­tué de 50 % d’effluents d’élevage, 30 % de cul­tures inter­mé­di­aires et 20 % d’autres déchets. Les cul­tures ou cou­verts inter­mé­di­aires sont indis­pens­ables pour attein­dre nos objec­tifs de pro­duc­tion d’énergie renouvelable.

Cer­tains pays comme l’Allemagne ont choisi de pro­duire des cul­tures annuelles dédiées à la pro­duc­tion d’énergie. Il est indis­pens­able d’encadrer cet usage pour éviter la con­cur­rence ali­men­taire. En France, cette part est lim­itée régle­men­taire­ment à 15 % des zones cul­tivées, et est actuelle­ment com­prise entre 3 et 6 %.

Certains riverains s’opposent à l’installation d’unités de méthanisation, dénonçant les nuisances sonores, olfactives ou les risques d’explosion. Est-ce un frein au développement de la filière ?

Les unités de méthani­sa­tion sont des instal­la­tions classées pour la pro­tec­tion de l’environnement, elles sont donc soumis­es à de nom­breuses régle­men­ta­tions de préven­tion des risques envi­ron­nemen­taux et pour les pop­u­la­tions. Par leur activ­ité agri­cole d’origine, les exploitants sont déjà habitués à gér­er les efflu­ents d’élevage : seule la ges­tion du biogaz est nou­velle et demande for­ma­tion et rigueur d’exploitation. Les risques en cas d’accident con­cer­nent surtout le per­son­nel des exploita­tions et non les riverains. 

Ma crainte se situe plutôt au niveau des instal­la­tions de très grande taille, dont la péren­nité des appro­vi­sion­nements et les per­for­mances envi­ron­nemen­tales peu­vent être ques­tion­nées. L’intégration locale des pro­jets ne joue pas en faveur de ces installations.

1Ger­ber, P.J., Ste­in­feld, H., Hen­der­son, B., Mot­tet, A., Opio, C., Dijk­man, J., Fal­cuc­ci, A. & Tem­pio, G. 2013. Tack­ling cli­mate change through live­stock – A glob­al assess­ment of emis­sions and mit­i­ga­tion oppor­tu­ni­ties. Food and Agri­cul­ture Orga­ni­za­tion of the Unit­ed Nations (FAO), Rome. 
2 SINOE, ser­vice mobil­i­sa­tion et val­ori­sa­tion des déchets, Chiffres clés du parc d’unités de méthani­sa­tion en France au 1er jan­vi­er 2021, mai 2021
3Esnouf A., Brock­mann D., Cres­son R. (2021) Analyse du cycle de vie du bio­méthane issu de ressources agri­coles – Rap­port d’ACV. INRAE Trans­fert, 168pp
4 Transition(s) 2050, Ademe Edi­tions, novem­bre 2021.
5Mour­jane I. and Fos­se J. (2021), « La bio­masse agri­cole: quelles ressources pour quel poten­tiel énergé­tique », Work­ing Paper, n° 2021-03, July.

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