Selon la FAO, en 2010 l’élevage était responsable de l’émission de 8,1 milliards de tonnes (gT) équivalent CO2, principalement en raison de l’élevage des bovins (62 % des émissions du secteur) 1. Bien sûr, la réduction de ces émissions passe en premier lieu par les choix alimentaires des consommateurs. Mais le secteur dispose aussi de leviers pour diminuer son empreinte climatique : à production constante, le potentiel d’atténuation est estimé à 2,5 gT équivalent CO2, soit 33 %. Ces leviers reposent sur les trois principaux postes d’émissions du secteur : la fermentation entérique (44 % des émissions mondiales de l’élevage), l’alimentation animale (41 %) et la gestion des effluents (10 %) selon la FAO.
La fermentation entérique a lieu au sein du rumen des ruminants (bovins, ovins et caprins), lors de la transformation des aliments en nutriments. Elle produit du méthane (CH4), éructé par les animaux (des rots et non des pets, comme le veut une légende tenace). Il est le principal GES émis par l’élevage, en étant responsable d’un tiers des émissions anthropogéniques de CH4 2. Réduire les émissions de méthane (toutes origines confondues) est l’une des priorités de l’UE, qui a adopté en octobre 2020 une stratégie méthane s’intégrant dans les objectifs mondiaux d’une réduction de 50 % d’ici 2050.
Les émissions de méthane issues de l’élevage sont relativement stables en Europe, et faibles en comparaison à celles de l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique. Dans ces régions, elles augmentent en raison de la hausse démographique et donc de la taille du cheptel. La Chine et l’Inde sont les plus gros émetteurs.
Les leviers pour réduire les émissions
Il faut comprendre que les émissions sont directement liées à notre consommation alimentaire. Les bovins (lait ou viande) sont les plus émetteurs : plus l’animal est gros, plus il ingère d’aliments et plus il produit de méthane. Une vache émet environ 600 L de CH4 par jour, contre 60 L pour un mouton. Ces émissions suscitent l’attention de la filière : leur réduction présente un intérêt nutritionnel pour l’animal, et environnemental pour l’Homme.
Pour réduire la production de méthane des ruminants, il existe différents leviers, en premier lieu celui de la ration alimentaire. Dans le rumen, certains micro-organismes dégradent les glucides (cellulose, amidon, etc.). Cette réaction provoque une production de gaz dont l’hydrogène, lui-même converti en méthane par d’autres micro-organismes. Pour réduire la production de CH4, on peut donc diminuer la production d’hydrogène, ou l’utiliser autrement que pour former du CH4.
Certains leviers sont bien connus et utilisés par les éleveurs. En augmentant la quantité d’amidon dans la ration (plus de céréales), sans dépasser un certain seuil, on favorise certains micro-organismes qui produisent peu d’hydrogène. À production constante, les émissions de CH4 peuvent être réduites de 10 à 20 %. L’augmentation des lipides dans la ration (grâce au tournesol, colza, lin, etc.) augmente les performances animales et offre le même potentiel de réduction du CH4. Enfin, plus les fourrages sont digestibles, moins l’animal produit de CH4, même si ce potentiel de réduction est plus faible. Certaines espèces riches en tannins, comme la chicorée, le plantain ou le sainfoin, peuvent aussi être introduites dans la prairie temporaire : elles diminuent les émissions de CH4 mais aussi les rejets azotés 3.
Ces leviers d’atténuation sont cependant à considérer à plus large échelle. Si la consommation de céréales diminue les émissions de CH4 de l’animal, les surfaces cultivées permettent en revanche de stocker moins de carbone que les prairies permanentes. Et ces cultures sont émettrices de GES lors de l’acheminement. La compétition entre alimentation humaine et animale est également à considérer.
Certains additifs peuvent-ils renforcer ces effets ?
Un premier additif alimentaire synthétique reconnu comme anti-méthanogène est autorisé depuis février 2022 en Union européenne, le 3‑NOP. Il agit sur l’une des enzymes responsables de la méthanogenèse dans le rumen : les études montrent qu’il offre un potentiel de réduction de 20 à 40 % de la production de CH4. Son innocuité sur l’animal et l’Homme a été démontrée, et il ne modifie pas la productivité. Mais ce produit a un coût, et n’offre aucun avantage direct pour l’éleveur : il est essentiel que les efforts des éleveurs réduisant leurs émissions de GES soient récompensés.
Les nitrates, qui bénéficient du statut d’ingrédient alimentaire, diminuent la production de CH4 en captant l’hydrogène dans le rumen et en le transformant en nitrites. Ils sont efficaces pour réduire le CH4, mais compliqués à utiliser et leur impact environnemental est non négligeable. De nombreux autres additifs d’origine naturels sont à l’étude : nous travaillons par exemple avec un producteur de plantes sauvages auvergnates et testons actuellement certaines d’entre elles in vivo.
La génétique ou la biotechnologie pour réduire les émissions
La sélection génétique des animaux est très développée pour la filière bovine (surtout lait) et commence pour les ovins. Pour un même régime alimentaire, certains animaux émettent moins de CH4 que d’autres. La différence est faible, moins de 10 %, mais cela est non négligeable à l’échelle globale. Il est désormais établi que ce caractère est répétable avec différents régimes alimentaires, et héritable : cela permet d’envisager des effets à long terme de la sélection génétique. Mais il ne s’agit pas de considérer uniquement le potentiel méthanogène de l’animal : aujourd’hui, la recherche s’intéresse à un ensemble de caractères, comme la production, la santé… Il faut trouver le meilleur compromis pour sélectionner les lignées.
Concernant les biotechnologies, plusieurs pistes sont à l’étude pour manipuler directement l’écosystème microbien des bovins. La Nouvelle-Zélande est à la pointe concernant la création d’un vaccin contre les micro-organismes méthanogènes. Un premier essai a mis en évidence un potentiel de diminution de la méthanogenèse, mais à ce jour il n’a pas été reproduit.
Une étude 4suggère également qu’il est possible de manipuler le microbiote à l’aide de l’additif alimentaire 3‑NOP : chez le jeune bovin supplémenté durant quelques semaines, un effet persistant a été mesuré jusqu’à un an après l’arrêt de la supplémentation. Ces résultats demandent eux aussi à être reproduits et suivis à plus long terme.
Les priorités pour accélérer l’atténuation des émissions
L’un des axes étudiés est de combiner les outils : nous supposons que les effets sont additifs. Nous l’avons démontré avec l’utilisation combinée de lins et de nitrates, qui renforce la diminution des émissions de CH4 en jouant à la fois sur la production et l’utilisation de l’hydrogène.
Il est aussi très important d’améliorer la productivité, qui bénéficie au climat et aux éleveurs. De nombreux leviers existent au niveau de la conduite du troupeau : diminuer l’âge du premier vêlage, améliorer la santé et réduire le taux de renouvellement des animaux pour diminuer la période improductive. Le changement de ration alimentaire, bénéfique pour les émissions de CH4, augmente aussi la productivité jusqu’à un certain point. Améliorer la productivité est une stratégie intéressante pour les pays fortement émetteurs où les animaux sont souvent peu producteurs.