Quelle est l’empreinte climatique de l’alimentation destinée aux animaux d’élevage ?
Selon un modèle récent 1, en 2010, la production de viande et de produits laitiers a contribué à l’émission de 9,8 milliards de tonnes (gT) équivalent CO2, soit 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques tous secteurs confondus. 58 % (5,8 gT équivalent CO2) de ces émissions sont dues à la production des aliments destinés aux animaux. Elles s’expliquent d’une part par les rejets au niveau des parcelles agricoles, notamment à cause de l’utilisation d’engrais (3,7 gT équivalent CO2) ; et d’autre part par les changements d’usage des sols (2,1 gT équivalent CO2), par exemple lors du défrichage des forêts pour la production de soja.
Des évaluations différentes selon les modèles
La comptabilisation de l’empreinte carbone de l’agriculture2 est encore imprégnée d’incertitudes, et les chiffres varient selon les paramètres et modèles choisis. À l’aide de son modèle Global Livestock Environmental Assessment, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture estime que l’élevage est responsable de l’émission de 8,1 gT équivalent CO2, et que l’alimentation animale contribue à hauteur de 41 % aux émissions mondiales de l’élevage, pour un total de 3,3 gT équivalent CO2.
Ces chiffres nous montrent que lorsque nous importons du soja pour nourrir le bétail, ce n’est pas le transport qui pèse le plus dans le bilan climatique, mais bien les changements d’usage des terres. La déforestation de la forêt amazonienne au profit de la culture de soja diminue le stock de carbone de ces forêts, et contribue aux excédents d’azote issus des déjections animales sur nos sols.
Comment réussir à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’alimentation animale ?
Le levier le plus important consiste à réduire la part des produits animaux dans notre alimentation. J’insiste sur la notion de réduction, et non de suppression : l’élevage rend de nombreux services en valorisant des surfaces inutilisables autrement, en favorisant les transferts d’azote entre les prairies et les cultures, en produisant des engrais organiques qui limitent l’emploi d’engrais de synthèse, etc.
Les changements d’usage des sols représentent plus d’un tiers des émissions de GES de l’alimentation animale : en réduisant la production d’aliments animaux, on diminue cette part. Les surfaces libérées peuvent ainsi être reboisées ou utilisées pour produire des protéines végétales pour l’alimentation humaine. Les surfaces mobilisées pour la production de l’alimentation animale sont plus importantes que pour l’alimentation humaine : en moyenne 6 calories végétales sont nécessaires pour produire 1 calorie animale. La production destinée à l’alimentation humaine est donc plus intéressante du point de vue climatique.
Peut-on tout de même imaginer d’autres systèmes d’élevage plus vertueux pour le climat ?
Un autre levier important s’appuie en effet sur une échelle plus systémique. Il s’agit d’associer les productions animales et végétales, de favoriser les synergies entre ces deux filières. Les systèmes actuels de production végétale sont très spécialisés, il est nécessaire de diversifier les cultures pour réussir la transition agroécologique. On peut par exemple introduire des prairies temporaires et des légumineuses fourragères dans les rotations de maïs et de blé, et élever des animaux à proximité. Cela permet de relocaliser la production de l’alimentation animale, mais pas que : les légumineuses apportent de l’azote aux sols, et réduisent le besoin en engrais de synthèse (dont la fabrication émet du CO2 et l’épandage du N2O).
L’introduction de légumineuses fourragères dans les rotations réduit cependant la production de céréales destinées à l’alimentation humaine : ces évolutions doivent aller de pair avec la demande alimentaire des consommateurs.
Existe-t-il des leviers techniques pour atténuer l’empreinte carbone de l’alimentation animale ?
Oui, ils concernent plutôt l’échelle de l’exploitation agricole. Ils s’appuient sur l’optimisation de la ration des animaux. On trouve par exemple l’alimentation animale de précision ou encore la sélection génétique d’individus valorisant mieux l’alimentation. Des pratiques de conduite du pâturage, comme le pâturage tournant, permettent aussi de mieux valoriser l’herbe disponible dans les prairies.
L’un des axes de progrès mis en avant s’appuie sur l’optimisation de la ration protéique des animaux. La majorité de l’azote ingéré par une vache laitière par exemple (via la ration protéique) se retrouve dans le lait, mais aussi dans l’urine et les fèces, contribuant ainsi aux rejets azotés et aux émissions de N2O dans l’atmosphère. On peut donc optimiser les rations alimentaires en ajustant au mieux la part protéique, voire utiliser des acides aminés de synthèse.
Quel potentiel offrent-ils ?
En France, depuis la prise de conscience des problématiques liées à la concentration de nitrates dans l’eau, l’optimisation de l’alimentation animale a déjà permis de nombreux progrès. Dans certaines filières animales, il est désormais difficile de faire mieux. À l’échelle mondiale, de nombreux progrès sont en revanche possibles en optimisant l’alimentation animale, comme en Chine où les élevages intensifs se sont développés récemment.
Mais il est désormais clairement démontré que ces leviers d’optimisation ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (diviser par deux les émissions liées à l’agriculture d’ici 2050). L’optimisation de la ration doit être mise en œuvre en même temps que la diminution de la part des produits animaux dans notre alimentation. La communauté scientifique s’accorde sur le rôle crucial de ce levier pour atténuer le changement climatique. On observe déjà une tendance à la baisse de la consommation des produits animaux dans les pays occidentaux, et les sociologues estiment que cette tendance devrait se poursuivre.
Ces solutions sont-elles cohérentes avec l’ensemble des leviers d’atténuation de l’élevage ? Je pense par exemple au rôle des céréales et des oléagineux pour réduire la fermentation entérique des ruminants…
Il est clair que ces leviers, s’ils sont intéressants au niveau de l’animal, sont à considérer à grande échelle pour évaluer leur empreinte climatique. Nombre d’entre eux se heurtent assez vite à des limites, c’est pour cela que la réduction de la part des protéines animales dans l’alimentation humaine est le levier le plus important. J’insiste sur cette nécessaire évolution de nos habitudes alimentaires. La pire des choses serait de réduire l’élevage en France tout en continuant à manger autant de viande que l’on importerait.
Je pense qu’il est important de réfléchir à l’échelle territoriale, en valorisant par exemple des solutions circulaires favorisant des synergies entre les exploitations céréalières, les élevages et les unités de méthanisation.