Pour réduire ses émissions, l’aviation compte sur les biocarburants et les carburants de synthèse produits sans pétrole. Techniquement, c’est possible. « Les normes sur les biocarburants autorisent l’incorporation de 30 à 50 % de biokérozène sans modifier la motorisation, » indique Jean-Philippe Héraud, chef de projet BioTfueL à l’IFP Énergies nouvelles (l’ancien Institut français du pétrole).
Cependant, pour agir sur le réchauffement climatique, les biocarburants dits de première génération issus de cultures alimentaires (graines ou sucre) sont déconseillés. Ils entrent en concurrence avec l’alimentation et présentent un bilan environnemental négatif. Place aux biocarburants de seconde génération, provenant de résidus forestiers, paille et déchets biosourcés. Pour Jean-Philippe Héraud, « les ressources pour ces biocarburants existent, car la France est un pays très vert. Mais une des difficultés de cette ressource est son aspect local, alors que le pétrole arrive en France dans seulement trois ports. Il faut savoir capter ces gisements diffus, concentrer la biomasse pour mieux la transporter et s’adapter à la variabilité de la ressource selon les saisons.»
Transcrire le biocarburant en réalité industrielle
L’IFPEN a donc engagé des recherches sur la conversion thermochimique indirecte de la biomasse : celle-ci est gazéifiée pour obtenir un gaz de synthèse, mélange de monoxyde de carbone (CO) et d’hydrogène (H2). Après purification, ce gaz est transformé par un procédé connu appelé Fischer Tropsch pour former du kérosène de synthèse. « Nous avons démontré la faisabilité avec le projet BioTfueL, il reste maintenant à la transcrire en réalité industrielle », expose Jean-Philippe Héraud.
Le coût de ce biocarburant est supérieur à celui du kérosène issu du pétrole, « entre 1,5 et 2 fois supérieur aux carburants équivalents d’origine fossile hors taxes. Ce surcoût varie en fonction du prix de la matière première, de la localisation et de l’intégration avec des sites en reconversion. » Il semble donc difficile d’en faire supporter la charge aux clients des compagnies aériennes sans risquer que ceux-ci se détournent du transport aérien.
Le carburant représente environ 25 à 30 % du prix d’un vol. « Pour un aller-retour Paris – New York sur un appareil utilisant 1 % de biocarburant, le prix du billet augmenterait de 5 $ par passager, détaille Paul Mannes, directeur de l’aviation chez Total. Pour un vol utilisant 10% de biocarburant, c’est dix fois plus, soit environ 50 $. Donc oui, le prix pourrait être dissuasif. »
Il va de soi que les compagnies aériennes n’augmenteront pas le prix des billets si elles n’y sont pas contraintes. « Le gouvernement français travaille avec les entreprises nationales concernées, comme Total, Airbus et Safran, pour voir comment on pourrait développer l’industrie des SAF (Sustainable aviation fuel) et une telle législation dit-il. » Pour l’instant, le projet de loi de finances prévoit l’obligation d’utiliser 1 % de biocarburants en 2022, 2 % en 2025 et 5 % d’ici à 2030, afin d’accompagner la hausse de la demande et la disponibilité des SAF sur le marché.
Carburants synthétiques
De son côté, Engie a lancé un projet de pyrogazéification de la biomasse baptisé Gaya : du bois est porté à haute température en quasi-absence d’oxygène. Il est ainsi converti en un mélange de gaz : hydrogène, CO2, méthane, monoxyde de carbone, qui sont ensuite réorganisés pour former du carburant. Mais là encore, le coût est élevé.
L’autre voie pour fabriquer du carburant d’origine non pétro-sourcée sont les carburants synthétiques issus de l’hydrogène, lui-même provenant de l’électricité. Le principe : combiner de l’hydrogène avec du CO2 pour obtenir du méthane de synthèse, précurseur d’autres carburants comme le kérosène, que l’on nomme alors e‑kérosène. « On sait produire ce e‑kérozène, indique Samuel Saysset, conseiller technique en chef chez Engie. L’Afrique du Sud, notamment, a développé ce savoir-faire pendant l’Apartheid, lorsqu’il subissait l’embargo sur les produits pétroliers. Le principal souci est l’économie de la filière : ce e‑kérozène est plus cher. »
Y a‑t-il de l’électricité dans l’air ?
Hormis l’hydrogène et les biocarburants, les énergies « propres » sont peu adaptées aux contraintes drastiques de l’aviation. Certes, Solar Impulse, l’avion solaire de Bertrand Piccard, a réussi son tour du monde entre 2015 et 2016, mais ce concept est impossible à transposer à un appareil de ligne. Quant à l’avion électrique propulsé par batteries, il semble aujourd’hui limité aux petits modèles et petites distances comme le Ecaravan1 du fabricant Cessna. Les batteries restent le principal frein. « La densité d’énergie d’une batterie est de 200 Wh/kg, contre 12 000 Wh/kg pour le kérozène, rappelle Jérôme Bonini, vice-président de la recherche et des technologies chez Safran. Nous travaillons plutôt sur l’hybridation des moteurs, de manière à assister les moteurs thermiques lors de certaines phases de vol. » Mais ce coup de pouce ne représente que quelques pourcents, l’immense majorité de l’énergie est apportée par les carburants.