Le 21 septembre dernier, Airbus a dévoilé trois concepts d’avions « zéro émission » destinés à entrer en service en 20351. S’ils diffèrent par leur taille, leur design ou leur portée, tous trois utiliseraient le même carburant : l’hydrogène. Airbus, premier constructeur mondial d’avions en 2019, estime que l’hydrogène « est extrêmement prometteur comme carburant propre pour l’aviation, et sera probablement une solution pour le secteur aérien et bien d’autres pour remplir [leurs] objectifs de neutralité carbone ». Par ailleurs, la France va allouer 7 milliards d’euros à cette nouvelle filière d’ici à 20302.
Effectivement, Airbus n’est pas le seul à s’intéresser à l’hydrogène car c’est le seul mode de propulsion hors kérosène qui semble adapté à l’aviation de masse. Si Boeing doute de son potentiel à court terme, de petites sociétés s’y intéressent. La start-up ZeroAvia a ainsi réalisé en septembre 2020 un vol d’essai avec un avion de six places doté d’une pile à combustible. De son côté, le constructeur israélien d’avions-taxis Urban Aeronautics travaille avec la start-up californienne HyPoint pour développer le CityHawk, un aéronef à décollage vertical propulsé par une pile à combustible alimentée en hydrogène.
Il y a deux manières d’utiliser l’hydrogène. La première consiste à le brûler dans un moteur adapté. C’est une technologie éprouvée, notamment dans le domaine spatial. La deuxième manière consiste à utiliser l’hydrogène pour produire de l’électricité grâce à une pile à combustible. Dans les deux cas, il reste plusieurs freins technologiques à lever.
Difficulté de stockage
La difficulté principale est liée au stockage de ce combustible. « L’hydrogène gazeux est très peu dense, rappelle Johnny Deschamps, enseignant-chercheur à l’unité Chimie et Procédés (UCP) de l’ENSTA Paris (IP Paris), spécialiste du stockage d’hydrogène. Même en le stockant sous pression, il faut dans le cadre des applications automobiles, 210 litres pour stocker 5 kg d’hydrogène sous une pression de 350 bars (125 litres sous 700 bars) – ça reste très volumineux. »
Deuxième solution : stocker l’hydrogène sous forme liquide. « Mais cela signifie descendre à une température de ‑253°C, donc dépenser de l’énergie pour le liquéfier. De plus, aucun réservoir cryogénique n’est parfait au niveau de l’isolation, une partie de l’hydrogène liquide se vaporise et doit être canalisée, c’est risqué. » Il faut donc développer des matériaux légers et résistants pour les réservoirs.
De plus, ces derniers doivent être cylindriques ou sphériques et impliquent donc de revoir entièrement la forme des avions dont le carburant est actuellement stocké dans les ailes. Compte tenu de ces contraintes, l’arrivée sur le marché d’un avion de ligne long-courrier de plusieurs centaines de passagers fonctionnant à l’hydrogène est difficile à imaginer. On se dirige plutôt vers des avions de quelques dizaines de places pour des vols courts.
Un hydrogène pas si vert
Alors que le moteur à hydrogène dégage moins d’émissions de CO2 que ceux à propulsion classique, il n’est pas dit que ce carburant soit totalement propre. La combustion de cette molécule à haute température produit des oxydes d’azote polluants (NOx), et de la vapeur d’eau, qui contribue à la formation de traînées de condensation et de cirrus, néfastes pour le climat.
La production d’hydrogène peut se faire à partir de l’eau (H2O) par électrolyse ou à partir d’hydrocarbures comme le méthane (CH4). Pour autant, même si l’électrolyse est un procédé propre, la technologie n’est pas encore au point pour être déployée à un niveau industriel. « On sait en faire à partir de l’électricité via l’électrolyse de l’eau, surtout lorsque cette électricité est produite de manière stable, dans des centrales, dit Samuel Saysset, conseiller technique en chef chez Engie. Mais si l’on veut de l’hydrogène « vert », provenant de sources renouvelables donc intermittentes, il faut trouver des technologies plus adaptées. ~95% de l’hydrogène est actuellement produit à partir de pétrole, de gaz ou de charbon, et cela émet du CO2 », poursuit-il.
A quel prix ?
La question du prix est également centrale : le coût n’est pas le même en fonction de la source. Aujourd’hui, l’hydrogène provenant du méthane coûte 1,5 à 2 €/kg, contre quatre à dix fois plus pour l’hydrogène obtenu par électrolyse. Et c’est justement pour cela que le gouvernement français investit : une proportion importante des 7 milliards d’euros est destiné à rendre le prix de l’hydrogène plus accessible.
Il existe également d’autres coûts : l’hydrogène entraînera des investissements lourds liés à sa production, la mise en place des infrastructures de transport et de stockage, le développement de nouveaux avions et de nouveaux matériaux ainsi que le surcoût dû au poids des réservoirs.
Malgré cela, l’hydrogène semble intéresser le monde de l’aviation – les constructeurs comme Airbus et le gouvernement français s’y engagent. Cependant, on ne sait pas encore comment les problèmes en suspens seront résolus. Avec quel motoriste les avions seront-ils développés ? Quel sera leur rendement et leur consommation ? Seront-ils à combustion directe ou utiliseront-ils des piles à combustible ? Sous quelle forme sera stockée ce carburant ? L’hydrogène doit encore prendre son envol.
Investissements privés dans l’hydrogène
Le secteur financier s’intéresse lui aussi à l’hydrogène pour les transports, et reçoit le soutien d’investisseurs. Avec plus de 100 milliards de dollars d’actifs dans le monde entier, la société d’investissement Ardian, par exemple, affirme qu’elle investit durablement dans les énergies vertes. L’hydrogène vert représente une partie importante de ces énergies, car il est conforme aux objectifs de l’Union européenne en matière de changement climatique. Amir Sharifi, managing director au sein d’Ardian, explique ainsi que « l’hydrogène présente des caractéristiques similaires à celles des combustibles fossiles. Il peut être stocké sous forme de liquide ou de gaz, mais peut également être produit de manière écologique par électrolyse ». Selon le Conseil de l’hydrogène, l’hydrogène devrait répondre à 18 % de la demande mondiale d’énergie d’ici 2030.