On pourrait croire que tout a été fait en matière d’aérodynamique. Diminuer la traînée des avions permet de consommer moins de carburant, donc d’émettre moins de gaz à effet de serre. Chaque kilogramme de kérosène non consommé évite la production de 3,16 kg de CO2. Pourtant, des progrès restent possibles. « On a des pistes pour continuer à diminuer la traînée des avions », indique Marie Couliou, chercheuse en aérodynamique expérimentale à l’ONERA.
L’objectif est de contrôler les écoulements de l’air sur l’avion. Ce contrôle peut être passif, en ajoutant des appendices modifiant le trajet de l’air, en changeant la rugosité des surfaces. Il peut également être actif, par exemple en installant des jets pulsés forçant l’écoulement à adopter telle ou telle topologie. Mais si le contrôle passif est largement étudié, notamment chez Boeing ou à la NASA, il est encore très peu intégré dans les avions. Il faut auparavant vérifier la manière dont ces appendices vieillissent pendant toute la vie de l’avion. Quant au contrôle actif, il se heurte à un obstacle majeur : il faut apporter de l’énergie. Donc même si ces dispositifs actifs fonctionnent bien en soufflerie, c’est une toute autre affaire que de les mettre en œuvre en conditions réelles. Ces systèmes de contrôle des écoulements pourraient faire gagner quelques pourcents d’efficacité, ce qui représente des quantités de carburant colossales.
Modifier la géométrie de l’avion
L’ONERA a notamment développé un concept d’avion très novateur. Nova, c’est son nom, a une géométrie pensée en fonction de critères aérodynamiques. Les réacteurs ne sont pas situés à l’extérieur du fuselage mais ils sont en partie encastrés. Avantage : l’air qui arrive dans le réacteur provient des couches d’air à proximité du fuselage qui sont ralenties par frottement. « Ce concept devrait permettre une diminution de 15 à 20 % de la consommation de carburant par rapport aux derniers modèles actuels d’avions moyen-courriers », souligne la chercheuse1.
Réduire la traînée ne concerne pas seulement chaque avion individuellement, mais aussi des groupes d’avions. Pourquoi ne pas imiter les oiseaux migrateurs qui volent en formation en « V » ? Airbus estime que ce concept pourrait réduire la consommation de carburant de 5 à 10 %. Chaque avion crée des tourbillons au bout de ses ailes, l’air ainsi accéléré permet de créer un effort de portance pour les avions situés à proximité. Cependant, pas question de voler trop près les uns des autres, pour des questions de sécurité. Le compromis rendement-sécurité doit encore être trouvé.
Traînées de condensation
Cependant, la diminution des frottements n’est pas le seul intérêt des recherches en aérodynamique. Un problème moins connu est celui des traînées de condensation, ces longues lignes blanches que l’on voit derrière les avions en haute altitude. Elles sont dues à la formation de cristaux de glace autour des suies émises par les réacteurs. Or, ces traînées de condensation ont un impact sur le climat. Dans certaines conditions, elles se transforment en cirrus, ces nuages très effilés présents en haute altitude. Or ceux-ci laissent passer le rayonnement du soleil, mais réémettent en partie vers le sol le rayonnement venant de la Terre, contribuant ainsi au changement climatique2. Cet effet était connu depuis longtemps, mais grâce aux progrès en climatologie, on se doute aujourd’hui qu’il est important et néfaste. « Cet effet est difficile à mesurer, il y a encore beaucoup d’incertitudes, mais cela pourrait avoir un impact aussi important que la consommation de carburant des avions » indique la chercheuse. Pour le climatologue allemand Bernd Kärcher, les nuages de condensation sont responsables de la plus grande partie du forçage radiatif de l’aviation. Le forçage radiatif mesure la manière dont un facteur perturbe l’équilibre énergétique de la Terre, ici pour l’aviation, il est devant les émissions de CO2 du secteur3.
Diminuer la formation de ces cirrus induits est donc un enjeu. Il faut auparavant mieux comprendre leur formation et leur évolution. Outre la vapeur d’eau, les réacteurs éjectent des suies, qui servent de germe pour la création de cristaux de glace. Ces cristaux sont ensuite éparpillés par les tourbillons de bout d’aile. « Comprendre dans quelles conditions ces traînées se forment et se diluent, selon la position du moteur par rapport aux bouts d’ailes, permettrait de réduire leur impact sur le climat », souligne Marie Couliou. Tout reste à faire dans ce domaine.