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Aviation décarbonée : rêve d'Icare ou réalité ?

Aérodynamisme : contrôler l’air pour voler plus sobre

Cécile Michaut, journaliste scientifique
Le 2 février 2021 |
3 min. de lecture
Marie Couliou
Marie Couliou
ingénieure de recherche à l'ONERA et enseignante vacataire à l’Institut Polytechnique de Paris
En bref
  • Chaque kilogramme de kérosène non consommé évite la production de 3,16 kg de CO2.
  • Rendre les avions plus aérodynamiques est un moyen de réduire la consommation de carburant, et donc les émissions carbones.
  • Modifier la géométrie des avions ou voler en “v” à la manière des oiseaux : Marie Couliou, chercheuse à l’ONERA, explique les pistes pour améliorer l’aérodynamisme.

On pour­rait croire que tout a été fait en matière d’aérodynamique. Dimin­uer la traînée des avions per­met de con­som­mer moins de car­bu­rant, donc d’émettre moins de gaz à effet de serre. Chaque kilo­gramme de kérosène non con­som­mé évite la pro­duc­tion de 3,16 kg de CO2. Pour­tant, des pro­grès restent pos­si­bles. « On a des pistes pour con­tin­uer à dimin­uer la traînée des avions », indique Marie Couliou, chercheuse en aéro­dy­namique expéri­men­tale à l’ONERA.

L’objectif est de con­trôler les écoule­ments de l’air sur l’avion. Ce con­trôle peut être pas­sif, en ajoutant des appen­dices mod­i­fi­ant le tra­jet de l’air, en changeant la rugosité des sur­faces. Il peut égale­ment être act­if, par exem­ple en instal­lant des jets pul­sés forçant l’écoulement à adopter telle ou telle topolo­gie. Mais si le con­trôle pas­sif est large­ment étudié, notam­ment chez Boe­ing ou à la NASA, il est encore très peu inté­gré dans les avions. Il faut aupar­a­vant véri­fi­er la manière dont ces appen­dices vieil­lis­sent pen­dant toute la vie de l’avion. Quant au con­trôle act­if, il se heurte à un obsta­cle majeur : il faut apporter de l’énergie. Donc même si ces dis­posi­tifs act­ifs fonc­tion­nent bien en souf­flerie, c’est une toute autre affaire que de les met­tre en œuvre en con­di­tions réelles. Ces sys­tèmes de con­trôle des écoule­ments pour­raient faire gag­n­er quelques pour­cents d’efficacité, ce qui représente des quan­tités de car­bu­rant colossales.

Modifier la géométrie de l’avion

L’ONERA a notam­ment dévelop­pé un con­cept d’avion très nova­teur. Nova, c’est son nom, a une géométrie pen­sée en fonc­tion de critères aéro­dy­namiques. Les réac­teurs ne sont pas situés à l’extérieur du fuse­lage mais ils sont en par­tie encas­trés. Avan­tage : l’air qui arrive dans le réac­teur provient des couch­es d’air à prox­im­ité du fuse­lage qui sont ralen­ties par frot­te­ment. « Ce con­cept devrait per­me­t­tre une diminu­tion de 15 à 20 % de la con­som­ma­tion de car­bu­rant par rap­port aux derniers mod­èles actuels d’avions moyen-cour­ri­ers », souligne la chercheuse1.

NOVA : un con­cept d’avion plus aéro­dy­namique © ONERA 

Réduire la traînée ne con­cerne pas seule­ment chaque avion indi­vidu­elle­ment, mais aus­si des groupes d’avions. Pourquoi ne pas imiter les oiseaux migra­teurs qui volent en for­ma­tion en « V » ? Air­bus estime que ce con­cept pour­rait réduire la con­som­ma­tion de car­bu­rant de 5 à 10 %. Chaque avion crée des tour­bil­lons au bout de ses ailes, l’air ain­si accéléré per­met de créer un effort de por­tance pour les avions situés à prox­im­ité. Cepen­dant, pas ques­tion de vol­er trop près les uns des autres, pour des ques­tions de sécu­rité. Le com­pro­mis ren­de­ment-sécu­rité doit encore être trouvé.

Traînées de condensation

Cepen­dant, la diminu­tion des frot­te­ments n’est pas le seul intérêt des recherch­es en aéro­dy­namique. Un prob­lème moins con­nu est celui des traînées de con­den­sa­tion, ces longues lignes blanch­es que l’on voit der­rière les avions en haute alti­tude. Elles sont dues à la for­ma­tion de cristaux de glace autour des suies émis­es par les réac­teurs. Or, ces traînées de con­den­sa­tion ont un impact sur le cli­mat. Dans cer­taines con­di­tions, elles se trans­for­ment en cir­rus, ces nuages très effilés présents en haute alti­tude. Or ceux-ci lais­sent pass­er le ray­on­nement du soleil, mais réémet­tent en par­tie vers le sol le ray­on­nement venant de la Terre, con­tribuant ain­si au change­ment cli­ma­tique2. Cet effet était con­nu depuis longtemps, mais grâce aux pro­grès en cli­ma­tolo­gie, on se doute aujourd’hui qu’il est impor­tant et néfaste. « Cet effet est dif­fi­cile à mesur­er, il y a encore beau­coup d’incertitudes, mais cela pour­rait avoir un impact aus­si impor­tant que la con­som­ma­tion de car­bu­rant des avions » indique la chercheuse. Pour le cli­ma­to­logue alle­mand Bernd Kärcher, les nuages de con­den­sa­tion sont respon­s­ables de la plus grande par­tie du forçage radi­atif de l’aviation. Le forçage radi­atif mesure la manière dont un fac­teur per­turbe l’équilibre énergé­tique de la Terre, ici pour l’aviation, il est devant les émis­sions de CO2 du secteur3.

Dimin­uer la for­ma­tion de ces cir­rus induits est donc un enjeu. Il faut aupar­a­vant mieux com­pren­dre leur for­ma­tion et leur évo­lu­tion. Out­re la vapeur d’eau, les réac­teurs éjectent des suies, qui ser­vent de germe pour la créa­tion de cristaux de glace. Ces cristaux sont ensuite éparpil­lés par les tour­bil­lons de bout d’aile. « Com­pren­dre dans quelles con­di­tions ces traînées se for­ment et se dilu­ent, selon la posi­tion du moteur par rap­port aux bouts d’ailes, per­me­t­trait de réduire leur impact sur le cli­mat », souligne Marie Couliou. Tout reste à faire dans ce domaine.

1https://www.instituts-carnot.eu/fr/nova-des-innovations-pour-une‑a%C3%A9ronautique-plus-verte
2Lee, D. S., Fahey, D. W., Skowron, A., Allen, M. R., Burkhardt, U., Chen, Q., … & Get­tel­man, A. (2020). The con­tri­bu­tion of glob­al avi­a­tion to anthro­pogenic cli­mate forc­ing for 2000 to 2018. Atmos­pher­ic Envi­ron­ment, 117834
3https://www.nature.com/articles/s41467-018–04068‑0

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