Le GIEC nous le rappelait en 2018 : limiter le réchauffement à + 1,5 °C en 2100 passera par une réduction rigoureuse de nos émissions, mais également par la mise en place de mesures permettant d’augmenter la séquestration du carbone. Néanmoins, seuls les potentiels de séquestration associés à l’utilisation de la biomasse pour la production d’énergie avec capture et séquestration du carbone (BECCS) ainsi que l’afforestation ont été pris en compte dans ces modèles.
Pourtant, nous sommes actuellement plutôt sur une trajectoire de réchauffement de l’ordre 2,7 °C – 3,1 °C1. Dans ce contexte, diverses publications récentes mettent en lumière le rôle crucial que peuvent jouer certaines solutions technologiques2 et les solutions fondées sur la nature. Les données montrent que ces dernières pourraient contribuer à réduire la température de 0,4 °C dans une trajectoire de 1,5 °C à l’horizon 21003.
Nous sommes actuellement sur une trajectoire de réchauffement climatique de l’ordre 2,7 °C – 3,1 °C.
Cependant, ces solutions fondées sur la nature ne pourraient pas jouer un rôle aussi important dans un scénario à +3 °C. En effet, la capacité de séquestration du carbone par la biomasse serait altérée par une hausse trop importante des températures. Le panel des solutions permettant de contribuer à l’action climatique et fondées sur la nature4 est bien plus large que le seul le recours aux BECSS et à l’afforestation. Elles peuvent être divisées en trois catégories : (1) conserver nos stocks de carbone actuels (en arrêtant par exemple la déforestation) ; (2) restaurer des terres dégradées ; (3) mettre en place des pratiques permettant de stocker du carbone. Dans cet article, nous nous concentrerons sur cette dernière option.
Augmenter la séquestration de carbone
Dans le secteur agricole, par exemple, la mise en place de certaines pratiques (utilisation de couverts végétaux, restauration de sols dégradés, etc.) pourrait permettre de séquestrer du carbone dans les sols agricoles, avec un potentiel à l’échelle mondiale d’environ 0,8 GtCO2/an5 (contre environ 42 GtCO2 émis en 2017 au niveau planétaire)6. Un diagnostic réalisé à l’échelle française a permis de confirmer l’existence d’un potentiel maximal7 de 29 MtCO2/an, soit l’équivalent de 39 % des émissions agricoles françaises en 2016 (hors usages des sols). Cela passerait par la mise en place de mesures comme l’extension des cultures intermédiaires, l’agroforesterie intra-parcellaire ainsi que l’insertion et l’allongement du temps de présence de prairies temporaires8.
Les marchés carbone volontaires peuvent constituer l’un des débouchés permettant la valorisation des efforts de séquestration du carbone. On parle « des » marchés du carbone car les échanges entre porteurs de projets et acheteurs sont réalisés à différentes échelles – internationales ou locales. Au niveau international, les projets carbone sont adossés à des labels9 et sur un système de registres permettant une traçabilité des crédits et des transactions entre acteurs sub-nationaux (entreprises, particuliers…) localisés dans différentes régions du monde. 401MtCO2 de crédits carbone ont été émis sur le marché volontaire international entre 2018 et 202010.
Le prix moyen observé de ces crédits carbone (toutes catégories confondues) est de 2,7€/tCO2 tandis que les projets impliquant du stockage de carbone dans le secteur forestier tiennent le haut du panier avec un prix moyen de 7,5€/tCO2. Ces prix restent cependant bas, et des critiques viennent pointer du doigt de manière récurrente les limites des investissements dans ces projets, lorsqu’ils sont utilisés comme un moyen facile et bon marché d’afficher une stratégie climatique ambitieuse, sans mesures de réduction des émissions significatives.
Mobiliser les cadres de certification carbone
Parmi les tendances identifiées pour les marchés carbone volontaires à l’horizon 203011 figure l’émergence d’une demande pour des projets carbone locaux – c’est-à-dire développés sur le territoire même de l’acheteur – qui résonnent davantage avec les attentes des entreprises. Les prix des crédits carbone issus de ces marchés pourraient osciller entre 40 €/tCO2 et 75 €/tCO212, ce qui serait plus en phase avec les coûts identifiés à la mise en place de pratiques de séquestration du carbone.
Les prix des crédits carbone issus de ces marchés pourraient osciller entre 40 €/tCO2 et 75 €/tCO2.
C’est le cas notamment du secteur agricole en France, dont la moitié des projets engendreraient des coûts estimés autour de 49 €/tCO2. Ces projections viennent rejoindre la dynamique observée ces dernières années concernant l’émergence de cadres de certification carbone au niveau national en Europe mais aussi sur d’autres continents13.
Valoriser la séquestration carbone au sein de sa chaîne de valeur
Ainsi, le développement de cadres de certification, comme le Label Bas-Carbone, représente une opportunité à saisir pour les entreprises afin d’explorer les potentiels présents au sein de leurs chaînes de valeur. Ces mécanismes offrent la possibilité d’engager des actions tout en assumant la gestion des potentiels risques associés à ces projets (non-permanence, additionnalité, incertitude). En d’autres mots, cela permet de passer à l’action, tout en proposant un cadre valorisant les mesures déployées.
Les avantages associés à un investissement dans de tels projets sont multiples : une meilleure maîtrise de l’amont de la chaîne de valeur, une réduction des émissions en dehors de son périmètre strict mais au sein de sa chaîne de valeur, le renforcement des liens avec ses producteurs de matières premières et la consolidation de son ancrage territorial. Le degré de connaissance de l’amont de sa chaîne de valeur est également une étape préalable pour l’autre défi qui attend les entreprises : l’augmentation de leur résilience face au changement climatique, à travers des mesures d’adaptation.
Restons réalistes, l’accès aux marchés carbone volontaires comme cadre de financement de pratiques de séquestration du carbone n’est pas la solution miracle permettant d’aligner toutes les entreprises sur une trajectoire à +1,5 °C. Néanmoins, ce cadre offre l’opportunité pour les entreprises de réaliser une incursion dans leur chaîne de valeur et de gérer les risques associés au déploiement de telles pratiques. Cela fait partie d’une gamme plus large de leviers à leur disposition pour amorcer la transition de leur chaîne de valeur vers un modèle bas-carbone. Alors, sachons en tirer parti !