Pour lutter contre le réchauffement climatique, il est possible de capter et stocker sous terre une partie du CO2 que nous émettons. Cette technologie, complémentaire des efforts de réduction à la source des émissions de gaz à effet de serre, est aujourd’hui prête à être déployée. Est-ce possible de capter et stocker le CO2 de manière sûre ?
Isabelle Czernichowski-Lauriol. Oui, c’est possible et cela se fait déjà. Cela implique des études poussées de caractérisation des sites de stockage, la volonté politique de mettre en œuvre ce puits de carbone, ainsi que des mécanismes financiers qui permettent d’initier son déploiement. Les pays dans lesquels ça fonctionne ont des mécanismes de soutien. Aux États-Unis par exemple, ce sont des crédits d’impôts qui ont vraiment fait monter le nombre de projets en préparation. Le marché européen du carbone, lui, n’est pas suffisant. Il existe des projets en Norvège, car le pays a introduit une taxe sur le CO2, un mécanisme de subvention vient d’être mis en place aux Pays-Bas, et le gouvernement britannique a déci d’investir massivement dans cette technologie.
Où en est-on aujourd’hui ?
Il existe plus d’une vingtaine de projets de taille industrielle en fonctionnement dans le monde, dont deux en Europe : les norvégiens Sleipner et Snøhvit. D’autres sont également en préparation en mer du Nord, par la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. On envisage aussi de stocker les émissions des zones industrielles de Dunkerque et du Havre sous la mer du Nord. Le BRGM coordonne un projet de recherche européen pour élaborer et étudier des scénarios de déploiement du stockage de CO2 dans d’autres régions industrielles du Sud et de l’Est de l’Europe, dont la vallée du Rhône et le Bassin parisien.
Il faut environ 7 ans pour qu’un projet industriel soit opérationnel, il faut donc les prévoir maintenant si l’on veut pouvoir démarrer avant 2030. Beaucoup d’acteurs français de la recherche et de l’industrie sont mobilisés, et se sont regroupés au sein du Club CO2. Cela ouvre la possibilité de créer une filière française, et ainsi de sauvegarder et créer des emplois sur le territoire, notamment en évitant que les activités industrielles ne se délocalisent près des lieux de stockage actuels en mer du Nord.
Quel est le coût de cette technologie ?
Le plus coûteux reste le captage du CO2 dans les fumées des industries : cela représente jusqu’à 80 % des dépenses. Transporter et stocker est moins onéreux. L’ensemble revient entre 30 et 130 euros par tonne de CO2 évitée selon la configuration, parfois davantage. C’est donc plus cher que le prix du CO2 sur le marché européen, aujourd’hui près de 25 €/t, mais qui a été beaucoup plus bas (3 €). Cela n’incite pas les industriels à se lancer, d’autant que ce sont des gros investissements, prévus pour 40 ans de fonctionnement !
Quelles sont les étapes nécessaires ?
Le CO2 est d’abord capté là où il est concentré : dans les fumées des industries. On peut également le capter dans l’atmosphère, mais il y est beaucoup plus dilué. Cela reste cependant l’une des options dans les scénarios à émissions négatives du GIEC. Le captage s’effectue à l’aide de différents types de solvants aminés, mais il existe aussi des technologies par membranes, ou par cryogénie [utilisation du froid]. Le BRGM travaille en partenariat avec une entreprise américaine pour développer une technologie de captage par dissolution du CO2 dans l’eau, très écologique et peu coûteuse. Sur l’échelle de maturité technologique (TRL), notre objectif est d’atteindre prochainement le niveau 61.
Une fois capté, le CO2 peut être injecté dans des formations géologiques au-delà d’un kilomètre de profondeur. Il faut caractériser plusieurs aspects : quelle quantité de CO2 en un temps donné peut-on injecter par un forage dans la roche réservoir ? C’est l’injectivité. Il faut aussi évaluer les propriétés de la roche couverture pour garantir son rôle de barrière et l’étanchéité du stockage. Il faut enfin évaluer les capacités de stockage d’un site. Connaître tout cela permet de dimensionner le nombre de forages nécessaires et les infrastructures de transport.
Est-ce risqué ?
Le site de stockage doit avoir été très bien caractérisé, et les opérations d’injection dimensionnées en conséquence. On s’assure de l’absence de fuites par des outils de surveillance qui mesurent ce qu’il se passe dans la roche réservoir, la roche couverture, les roches supérieures, et en surface. On compare ces mesures de surveillance aux simulations numériques du réservoir au cours du temps. Si les deux ne correspondent pas, les simulations sont affinées et des mesures de remédiation sont prévues : baisser la pression d’injection, colmater le puits qui fuit, voire arrêter et stocker ailleurs. Les risques sont plus importants pendant la période d’injection mais peuvent être facilement contrôlés. Puis ils diminuent au cours du temps car la pression baisse et le stockage se stabilise. En choisissant les endroits géologiques appropriés, ce stockage peut se faire en toute sécurité, mais cela demande des études très poussées pendant plusieurs années avant de faire émerger un projet de taille industrielle.
Quelles quantités de CO2 pourrait-on stocker ainsi ?
La stratégie bas carbone de la France, par exemple, considère que 15 millions de tonnes de CO2/an en 2050 devront être captées et stockées pour compenser les émissions de CO2 incompressibles du pays et atteindre la neutralité carbone. On peut même faire plus. Au niveau mondial, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que le stockage de CO2 pourrait représenter 15 % des efforts de réduction des émissions de CO2. Elle a produit il y a quelques mois un rapport2 appelant à se mobiliser pour déployer rapidement cette technologie. La France est en retard sur ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre : n’attendons pas 20 ans ! Il faut commencer par quelques projets concrets dès maintenant pour pouvoir ensuite monter en puissance si besoin.
Mais ces technologies ont aussi leurs défauts. Par exemple, le captage consomme de l’énergie ?
Oui, mais les autres solutions pour décarboner l’industrie comme l’électrification ou l’utilisation d’hydrogène en consomment également. La question est donc : quelle est la solution qui consomme le moins, coûte le moins, et est la plus propre ? C’est à étudier au cas par cas. Quoi qu’il en soit nous devons combiner tous les moyens possibles pour lutter contre le réchauffement le plus rapidement et efficacement possible.
Pour aller plus loin :
Captage et Stockage du CO2 : le puits de carbone géologique.