Quelles sont les ressources minières connues des grands fonds marins ?
Il existe trois objets géologiques contenant des ressources d’intérêt : les nodules polymétalliques enrichis en manganèse, fer, cobalt, nickel et cuivre ; les encroûtements contenant du manganèse, du fer, du cobalt et du platine ; et les amas sulfurés riches en cuivre, zinc et parfois en or et argent. Les nodules et encroûtements sont répartis sur de grandes surfaces contrairement aux amas sulfurés.
Trois contextes riches en ressources minières
Différentes conditions environnementales et géologiques conduisent à la formation d’objets riches en métaux dans les fonds marins1.
Les amas sulfurés sont formés par la circulation de l’eau en profondeur au sein de roches issues du manteau terrestre. À leur contact, l’eau s’enrichit en minéraux dissous. Lorsqu’elle remonte au fond des océans, les minéraux précipitent sous forme d’amas sulfurés. On les retrouve sporadiquement de 800 à 5 000 mètres de profondeur, au niveau des dorsales ou aux abords de volcans sous-marins à l’intérieur des plaques.
Les encroûtements sont des amas rocheux recouvrant des kilomètres carrés de fonds marins, de 400 à 4 000 mètres de profondeur. Ils se forment lorsque les conditions environnementales – courants marins, teneur en oxygène, etc. – limitent le dépôt de sédiments au fond de l’eau. Petit à petit, différents métaux contenus dans l’eau de mer précipitent au fond et s’agrègent pour former les encroûtements. Ils grandissent à une vitesse de quelques millimètres par millions d’années.
Les nodules polymétalliques sont des boules sombres de 5 à 10 centimètres de diamètre, rencontrées dans les plaines abyssales (3000 à 5500 mètres de profondeur). À cette profondeur, de nombreuses petites particules de ”déchets” (morceaux de roches érodées, restes de squelettes d’animaux, etc.) sédimentent au fond de l’eau. Elles servent de support sur lequel s’accumulent les métaux contenus dans l’eau de mer, comme pour les encroûtements.
Tous peuvent aussi contenir des métaux dits rares comme certaines terres rares, du tellure, du zirconium, de l’indium, du germanium, etc. Ces ressources sont largement utilisées dans les nouvelles technologies comme les smartphones et également pour la transition énergétique. Citons, par exemple, le néodyme utilisé dans les aimants permanents des éoliennes, ou encore le cobalt dans les batteries.
Ces minerais ne sont-ils pas déjà exploités sur terre ?
Oui, bien sûr. Actuellement, les ressources connues en métaux sur terre sont bien plus élevées qu’en mer. Et pour certaines comme le manganèse, le nickel, le cuivre ou le cobalt, les gisements terrestres ne seront pas taris avant plusieurs dizaines d’années. Les ressources marines sont peu connues. Les amas sulfurés connus dans les fonds océaniques ne représentent que 0,5 % du tonnage de leurs équivalents terrestres. C’est encore très peu ! Dans le cas des nodules polymétalliques, la ressource en cobalt du contrat d’exploration détenu par la France représenterait au maximum 4% des ressources en cobalt disponibles à terre2, et ce malgré sa répartition sur une surface équivalente à celle de la région Occitanie.
Si une exploitation est envisagée dans les prochaines décennies, ce ne sera pas par manque de disponibilité à terre mais plutôt pour des enjeux de souveraineté.
L’exploitation des fonds marins présente donc des intérêts géopolitiques importants … Quels États sont lancés dans cette course ?
L’exploration Challenger menée par les britanniques à la fin du XIXème siècle marque le début de l’exploration océanographique. C’est lors de cette campagne que les encroûtements et les nodules polymétalliques ont été décrits pour la première fois. De nombreuses missions d’exploration focalisées sur les nodules ont suivi à partir des années 1960, permettant d’identifier la zone de Clarion-Clipperton (Pacifique Est) riche en nodules polymétalliques. L’intérêt est retombé dans les années 1980 en raison de la baisse des prix des métaux.
Cependant, depuis le milieu des années 2000, la flambée du coût des métaux a relancé l’exploration des grands fonds marins. Les premiers contrats d’exploration en zone internationale ont été délivrés en 2001 à la Russie, la Chine, le Japon, la France, l’Inde et un consortium international3. Depuis, 25 nouveaux contrats – dont 23 après 2011 – ont été décernés sur les trois différentes ressources minérales marines. Cet engouement est marqué par des questions géopolitiques et stratégiques : la Chine produisait en 2011 95% des terres rares et du gallium, 68% du germanium ou encore 57% de l’indium, des métaux utilisés dans les hautes technologies et les énergies vertes. En Papouasie-Nouvelle Guinée, l’ex-société canadienne Nautilus Minerals a été la première à avoir obtenu un permis d’exploitation (sur des amas sulfurés). L’exploitation minière n’a jamais commencé et la société est aujourd’hui dissoute.
A‑t-on une idée du potentiel économique offert par les grands fonds marins ?
Il n’existe aucune évaluation des ressources marines exploitables à l’heure actuelle. Certains travaux se sont attachés à estimer la quantité potentielle de métal disponible : par exemple, la zone de Clarion-Clipperton pourrait contenir jusqu’à 340 millions de tonnes de nickel et 275 millions de tonnes de cuivre. Mais ces estimations sont très incertaines. Au mieux, elles indiquent un potentiel maximal car l’ensemble de cette ressource n’est pas exploitable ! La part exploitable dépend du prix des métaux, des coûts d’exploitation et environnementaux et de facteurs juridiques, sociaux et gouvernementaux. Si on intègre l’ensemble de ces paramètres, elle peut très vite être réduite à zéro.
Le coût environnemental reste une grande inconnue. Nous imaginons qu’il pourrait s’avérer très important : la zone de Clarion-Clipperton s’étend sur une superficie supérieure à celle de l’Union Européenne ! L’exploration reste indispensable pour caractériser plus finement les ressources disponibles mais également pour mieux inventorier la faune associée. Cela prendra encore plusieurs années pour les nodules. Pour les encroûtements et les amas sulfurés, les connaissances sur la ressource sont encore plus succinctes.
Est-ce qu’on est déjà techniquement capable d’exploiter les minerais des grands fonds marins ?
Non, pas encore. C’est l’un des autres enjeux : les industriels sont focalisés sur les nodules polymétalliques dans l’espoir de développer une technologie d’extraction qui leur permettrait de se positionner sur le marché des engins si celui-ci venait à s’ouvrir.
L’année dernière, l’entreprise belge Global Sea Mineral Resources a testé un prototype d’extracteur de nodules à l’échelle 1/4. Mais ils sont encore loin d’avoir un système d’exploitation complet : reste à développer le riser (tube qui permet de remonter les matériaux du fond de la mer) et le navire support opérant le collecteur, récupérant les minerais et gérant les déchets. Tout cela est adapté à des profondeurs de 5 000 mètres, alors que certaines technologies bien maitrisées par les pétroliers ne dépassent pas 2 000 mètres. Aucun système complet ni à l’échelle n’a jamais été testé en conditions réelles. Pour les encroûtements, il s’agira de récupérer une plaque assez fine sur un substrat dur et il n’existe pas de prototype à ce jour.