La disponibilité du pétrole au XXe siècle a conduit la chimie organique à concentrer son attention sur une seule source. L’essor des produits « bio-sourcés » amène à élargir le champ des recherches susceptibles d’avoir un impact industriel. Grégory Nocton (Institut Polytechnique de Paris) et Grégory Danoun (CNRS), chercheurs en chimie de synthèse, se tournent vers les déchets.
Vos travaux consistent en la définition de nouvelles méthodes de synthèse pour la chimie, à partir de matières premières comme les déchets. Quelles sont les différences avec le pétrole ?
Grégory Nocton. Si vous posez la question à un industriel, il vous répondra en citant d’abord la disponibilité du pétrole, son caractère homogène, la fluidité du matériau et de ses dérivés. Mais pour nous, chimistes, la réponse réside surtout dans la simplicité des produits pétroliers, rapportée à la complexité de matières premières comme les déchets alimentaires, les déchets de bois, ou les emballages plastiques usagés. On trouve, dans ces matériaux, des molécules radicalement différentes.
Grégory Danoun. Du point de vue de la chimie, on maîtrise parfaitement la fabrication des polymères à partir de la pétrochimie, ce qui en fait un domaine de recherche fondamentale peu stimulant. Mais avec les nouvelles matières premières comme des déchets, ce ne sont pas les mêmes réactions, ni la même façon de travailler et cela devient passionnant !
Vous cherchez donc des pistes pour produire des polymères à partir de déchets. Comment vous y prenez-vous ?
GN. Le chimiste, en principe, peut retrouver les briques élémentaires dans n’importe quelle matière. Ensuite, nous pouvons s’en servir comme matière première. A partir de nouvelles matières premières, comme des déchets, nous isolons de nouvelles briques. Celles-ci permettront ensuite de synthétiser des nouveaux polymères avec d’autres propriétés intéressantes.
GD. Nous avons des pistes de recherche car ces champs sont déjà explorés par les biologistes et microbiologistes qui utilisent des bactéries ou des enzymes autour de processus comme la fermentation. Le chimiste est ici un acteur important. Son rôle est de comprendre la façon dont les différentes molécules d’un déchet génèrent des réactions. Que ces réactions soient nombreuses ajoute de l’intérêt !
Dans les déchets de bois par exemple, on trouve de la lignine, un polymère naturel. On la retrouve dans les déchets de céréales et de papier. Les déchets alimentaires offrent également un répertoire fantastique de molécules, avec des acides, des acides gras…
Pour obtenir des molécules utiles on casse par exemple les acides carboxyliques. On obtient des briques élémentaires et de l’hydrogène. Cela ouvre sur de la production d’hydrogène – nous venons de faire financer un projet sur ce sujet qui est en train de devenir stratégique – et les briques élémentaires peuvent être utilisées elles aussi.
Comme alternative au pétrole, pourquoi les déchets plutôt que, par exemple, l’amidon ou le sucre ?
GN. Il y a deux réponses. La première c’est que l’amidon et le sucre sont déjà très « mainstream ». La R&D industrielle s’est emparée du sujet, et si l’on cherche la nouveauté il faut aller sur des problèmes plus complexes.
La deuxième c’est que l’amidon, issu principalement du maïs, demande beaucoup d’eau. Si on fait du téréphtalate d’éthylène, (en anglais polyethylene terephthalate, PET) de maïs, vu sa demande mondiale pour les bouteilles en plastique, on aura vite un problème de ressources, sans parler de la compétition avec l’alimentation. Il est plus porteur d’explorer des ressources qui resteront structurellement disponibles.
Qu’est-ce qu’on peut attendre à l’avenir de ce domaine ?
GD. Le développement de nouvelles méthodes pour obtenir ces briques élémentaires est un champ passionnant, qui progresse très vite. Un des domaines les plus intéressants, depuis une dizaine d’années, est par exemple la photochimie : on combine de nombreux process, grâce à la lumière. On développe des réactions, on essaie de trouver de nouveaux catalyseurs multifonctionnels, ou au contraire spécifiques, qui visent une molécule dans l’ensemble des déchets (de la même façon qu’en biologie il existe des enzymes spécifiques).
GN. L’enjeu aujourd’hui est de développer un large panel de différentes méthodes, et de lever les verrous scientifiques. La diversification des sources de matières premières permet une production plus durable. Notre mission, c’est d’explorer et de trouver tout ce qui est possible. Si on fait du spécifique, on risque de recommencer comme avec le pétrole. Si on avait fait ça il y a cent ans, le monde aurait un autre visage !