Fort d’un chiffre d’affaires annuel d’environ 300 milliards d’euros1, le secteur de la construction et des travaux publiques représente 40 % de la production annuelle de déchets en France2. Ces matériaux gaspillés sont souvent encore en état d’usage mais sont coûteux à éliminer, parfois passés de mode ou ne correspondent plus aux normes de construction. Ce même domaine est également à l’origine d’environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre3, provenant principalement de deux sources : l’énergie consommée pour notre confort d’utilisation (chauffage, climatisation, éclairage artificiel, ventilation mécanique, eau chaude) et l’énergie nécessaire à l’extraction des matériaux, à leur transformation en produit, leur acheminement et enfin leur traitement en fin de vie.
Les premières analyses du cycle de vie effectuées par les professionnels de la construction ont montré que le poids carbone des matériaux sur l’intégralité du cycle de vie est de 50 % pour une construction neuve et de 30 % pour une construction réhabilitée4. Grosso modo, la moitié du carbone d’une construction est payée mensuellement par sa facture énergétique, et l’autre moitié, invisible pour l’utilisateur, réside dans les produits et matériaux du bien qui l’abrite.
Les solutions possibles
Les solutions pour limiter l’impact carbone liées aux consommations énergétiques sont aujourd’hui bien connues et se mettent en place progressivement : limitation des besoins énergétiques par une architecture bioclimatique et une enveloppe thermiquement performante ; bonne gestion des consommations et recours à une production d’énergie bas carbone (pompes à chaleur, chaudières à bois, panneaux solaires thermiques et photovoltaïques, réseaux de chaleur urbains bas carbone).
En ce qui concerne les matériaux, les solutions de décarbonation sont moins généralisées, mais si l’on y regarde de plus près, elles étaient déjà présentes dans le passé : matériaux biosourcés (structures en bois, isolation en laine végétale ou animale), matériaux recyclés (si tant est qu’il ne faille pas consommer une énergie déraisonnable pour les remettre sur le circuit de la construction) ou réemploi.
Mobius réemploi
C’est ce que mobius s’efforce de développer : réemploi (une porte redevient une porte), réutilisation (une porte devient une table5), recyclage (une porte est déchiquetée pour être valorisée en bois aggloméré ou en énergie).
En premier lieu, nous diagnostiquons des biens immobiliers afin de définir la quantité, la qualité, la facilité de dépose et le poids carbone pour chacun de ces produits et matériaux. S’ensuit l’élaboration d’un schéma directeur : conservation, don, vente. Si la conservation au-delà de la structure même d’un bâtiment est relativement limitée pour diverses raisons (matériaux jugés trop anciens par exemple), le don à des associations ou des artisans fonctionne bien. En effet, en échange de leur temps, ces derniers vont déposer les matériaux sur site et les réemployer pour leurs propres besoins, limitant ainsi l’achat de matériaux neufs et les émissions de carbone associées, tout comme une meilleure valorisation des déchets qui n’en sont plus pour le propriétaire du bâtiment.
Ces matériaux peuvent également être enlevés par une entreprise de curage ou de démolition classique, mais avec une méthodologie permettant leur réemploi, leur conditionnement et leur transport. Cela implique de créer et gérer un lieu de stockage sur le chantier, souvent limité en termes d’espace, afin de permettre la récupération directe de ces éléments ou leur vente. Le pourcentage de vente est aujourd’hui relativement faible et valable principalement pour les groupes électrogènes, les charpentes en bois et les radiateurs.
À l’inverse, nous proposons d’intégrer des matériaux issus du réemploi dans des constructions neuves ou réhabilitées. Il s’agit alors d’effectuer une étude de faisabilité architecturale et technique de l’intégration de ces matériaux en lieu et place de matériaux neufs, et ce dès la phase de conception.
Il s’agira alors de rechercher les futures opérations de démolitions pour déposer et reconditionner ces matériaux avant de les fournir sur site. Cette démarche a été développée par exemple dans la ZAC Saint-Vincent-de-Paul dans le 14earrondissement de Paris, où plus de 60 000 m²6 de bâtiments ont été déconstruits.
Mobius ré-industrie
La problématique principale à l’intégration de matériaux issus du réemploi est le manque de filières : si vous souhaitez installer 1 000 radiateurs reconditionnés sur une opération en 12 mois, vous ne trouverez pas d’entreprise suffisamment grande pour répondre à votre demande. En effet, ce métier est nouveau et nécessite une certaine maîtrise : identifier les opérations sources ; déposer ou faire déposer les matériaux ; transporter du site d’enlèvement au site de reconditionnement ; reconditionner ces éléments et les envoyer vers le site de pose.
C’est le pari que nous avons fait en développant le faux-plancher de réemploi, issu d’opérations de dépose dans la France entière et qui est dirigée vers notre usine de Rosny-sous-Bois, où après brossage, ponçage, réagrafage, il sera réutilisé dans des opérations de construction de bureaux, principalement en région parisienne. À la clef, 75 % d’économie carbone par rapport à un produit neuf, et plus de 2 400 tonnes de déchets évités, mais une rentabilité faible.
En effet, un produit neuf issu de la transformation ou l’assemblage de matériaux est bon marché. Le réemploi, c’est tout l’inverse : vous devez payer des personnes pour déposer, conditionner, transporter et reconditionner les déchets.
Vers une économie circulaire ?
Le réemploi des matériaux de construction a des vertus environnementales, mais il est actuellement plus coûteux que les matériaux neufs. Il est donc difficile d’obtenir des commandes sans une volonté particulière de la part des maîtres d’ouvrage. En revanche, le domaine de la construction sera soumis dès l’année prochaine à une réglementation exigeant la limitation des émissions de carbone7. Vaudra-t-il alors mieux construire en bois, en pierre, avec des matériaux recyclés ou de réemploi ? La question se posera.
Enfin, comme on l’a vu ces derniers mois, les prix des matières premières peuvent fluctuer fortement et les délais de livraison s’allonger. Ainsi, le prix du bois et du métal a été particulièrement affecté dans le milieu de la construction, provoquant à la fois des surcoûts et le ralentissement des chantiers ou la fermeture d’usines. L’avantage du réemploi est qu’il n’est pas soumis à ces marchés et propose donc des prix stables dans le temps.