Le dérèglement climatique, lié notamment aux 43 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) émises par les activités humaines par an rend urgent l’accélération des activités de recherche dans tous les domaines menant à des solutions bas carbone. Le ciment, qui est le principal constituant du béton, est à l’origine à lui seul d’environ 7 % des émissions mondiales de CO2.
L’objectif du nouveau laboratoire commun (LabCom) « Matériaux cimentaires éco-efficaces » (MC²E) est de développer des ciments à faible impact carbone. Il est le fruit d’une collaboration entre le CNRS, l’ENS Paris Saclay et la société Ecocem. Cette collaboration a notamment permis de mettre au point un nouveau ciment breveté basé sur des résidus de l’industrie sidérurgique et dont l’impact carbone est réduit d’environ 80 % par rapport à un ciment classique.
Comment le ciment est-il fabriqué ?
Depuis son invention il y a deux siècles, le ciment conventionnel, dit « Portland », est resté largement dominant dans la production des matériaux de construction comme le béton. Ce ciment est fabriqué à partir d’environ 80% de calcaire et 20% d’argile. Le mélange est chauffé à haute température et subit une réaction chimique appelée calcination. La plupart des émissions de CO2 provenant de la fabrication du ciment résultent de la décomposition du calcaire par la calcination (en chaux et en CO2). Globalement, une tonne de ciment fabriquée produit entre 800 kilos et une tonne de CO2.
Une façon de réduire ces émissions serait tout simplement de réduire la quantité de ciment utilisée dans les matériaux de construction. Cela est tout à fait envisageable puisque le ciment n’est qu’un « liant » ou une « colle » et qu’il est utilisé en grande partie pour remplir les espaces entre les agrégats et le sable dans les matériaux de construction afin de les faire adhérer les uns aux autres.
Une réduction de l’impact carbone divisée par cinq
D’abord, nous sommes parvenus à diviser par cinq la quantité de ciment dans les bétons en partant précisément de l’idée qu’il ne s’agit que d’un liant/colle et que l’espace inter-granulaire peut être rempli avec autre chose que du ciment. Pour les colles industrielles classiques, comme celles à base de polymères, le point de départ est une substance liquide afin de pouvoir mouiller les deux surfaces à coller. Cette colle durcit ensuite pour donner à la structure sa résistance mécanique. Le ciment fonctionne de la même manière : la poudre de ciment est mélangée à de l’eau pour obtenir un liquide qui peut s’écouler entre les granulats et les mouiller. Ce liquide durcit ensuite pour donner un matériau solide comme le béton.
Notre nouveau ciment mentionné plus haut n’a rien à avoir avec cela, puisqu’il ne contient pas de ciment conventionnel. Il est composé de laitier broyé qui est un résidu de l’industrie sidérurgique. Nous avons ajouté à ce « laitier granulé de haute-fourneau finement broyé » une petite quantité de produits chimiques (« les adjuvants ») pour obtenir un ciment qui peut être utilisé pour fabriquer des bétons dont les performances sont similaires à celles d’un béton à base de ciment Portland.
Seulement 90 kg de CO2 émis par tonne de ciment
La production d’une tonne de ce nouveau ciment entraine le rejet d’environ 90 kg de CO2. L’utilisation de ce ciment à la place du ciment Portland permet de produire des bétons bas carbone performants et durables. Il présente des caractéristiques chimiques qui leur confère une résistance mécanique à long terme meilleure que celle d’un béton classique ainsi qu’une meilleure résistance aux agressions chimiques telles que les sulfates et les chlorures.
Le ciment que nous avons fabriqué est déjà sur le marché et a été employé à grande échelle par le groupe Vinci pour construire une partie de son siège social dans le quartier de La Défense, aux portes de Paris. Ce nouveau matériau sera également utilisé dans le village des Jeux olympiques de Paris 2024 et dans la construction des tunnels de la ligne 18 du métro de la capitale.
L’IA au service du ciment
Jusqu’à présent, les acteurs de la construction ne se souciaient pas des questions environnementales car le ciment est robuste et bon marché. Ainsi on utilise souvent beaucoup plus de ciment que nécessaire dans leur béton car on pense – à tort – que le béton final est plus sûr d’un point de vue mécanique et plus durable s’il contient plus de ciment. Le développement des outils d’intelligence artificielle permettra de simplifier les méthodes de formulation des bétons – notamment de déterminer les quantités optimales de ciment à utiliser dans les matériaux de construction et de diminuer ainsi leur impact en termes de CO2. Une telle approche est novatrice dans le domaine, car, jusqu’à présent, les ingénieurs s’appuyaient sur des simulations informatiques qui nécessitent des connaissances spécialisées. L’apprentissage automatique, en revanche, peut être utilisé par tout un chacun.
Nous pensons donc qu’il est possible d’atteindre la neutralité carbone assez rapidement dans ce domaine sans avoir à recourir à des techniques dites de rupture, c’est-à-dire à inventer de toutes nouvelles façons de fabriquer du ciment. Ce qui pourrait ralentir ce mouvement tient surtout à l’évolution des normes, toujours moins rapides que le développement des innovations.