Les bioplastiques ne sont pas de simples produits innovants. Leur développement traduit des échanges nouveaux entre les grands donneurs d’ordres et les polyméristes. La gestion de nouvelles matières premières et l’imbrication croissante entre chimie et biochimie conduisent les industriels à nouer des alliances. Total s’intéresse à cette réinvention d’un métier industriel.
Patrick Pinenq et Dimitri Rousseaux travaillent chez Total au développement des bioplastiques. Ils sont à l’interface de la R&D et des marchés, là où dans le dialogue avec les grands donneurs d’ordre et les alliances avec des partenaires spécialisés se réinvente un métier industriel.
On voit apparaître des plastiques à base de noix de coco, de carapaces de crevettes. Comment un industriel les considère-t-il ?
Patrick Pinenq. En termes scientifiques et technologiques, cela peut être intéressant, mais d’un point de vue industriel ce sont la plupart du temps des voies de niche, pour une raison très simple : les gisements de matières premières nécessaires ne sont pas suffisants.
Or cette question du volume est capitale dans l’industrie. La production mondiale de plastiques, c’est plus de 360 millions de tonnes par an, ce qui demande des matières premières abondantes et abordables. C’est ce qui a fait la force du pétrole.
Dimitri Rousseaux. Dès lors que l’on bascule sur des solutions biosourcées ou biodégradables, si l’on veut qu’elles aient un impact il faut leur assurer des volumes suffisants, sans quoi la production restera marginale. Il est vrai que la production de bioplastique nous amène à travailler avec des procédés du secteur des biotechnologies, et donc à repenser les tailles d’unité de production : des clusters peuvent être plus pertinents qu’une usine géante.
Mais l’enjeu reste d’insérer ces nouveaux polymères dans l’économie réelle. C’est pourquoi les principales matières premières envisagées aujourd’hui sont celles disponibles dans des volumes suffisants comme les huiles végétales, le sucre et l’amidon. Le but est d’assurer une production à l’échelle industrielle de plusieurs centaines de milliers de tonnes. C’est ce que fait Total en développant une 2ème usine de PLA à Grandpuits en Seine-et-Marne, dont les 100kT de capacité s’ajouteront aux 75kT de son unité en Thailande, permettant ainsi à Total Corbion PLA de devenir le premier producteur mondial de PLA.
Est-ce que cela représente un surcoût significatif par rapport au pétrole ?
Patrick Pinenq. Oui, ce sont des matières premières qui coûtent plus cher. Mais ici il y a deux éléments à prendre en compte. Tout d’abord, dans un produit final (contenant et contenu), comme un pot de yaourt par exemple, les matières premières plastiques ne représentent que quelques pourcents des coûts complets. La question du surcoût ne se résume pas à celui des intrants. Il y a aussi des technologies nouvelles, des compétences, des investissements qui rendent le bioplastique plus cher. Ces projets doivent se construire avec une écoute attentive des clients finaux qui devront en supporter le surcoût.
Le développement de nouveaux polymères doit s’accompagner d’un impact réduit des plastiques sur l’environnement. Cette question est portée par l’ensemble des acteurs de la chaîne. Elle exige une concertation entre l’aval et l’amont de la chaîne de valeur plastique. Dès lors que les clients finaux sont obligés de s’intéresser de près à la fin de vie, ils s’intéressent aussi davantage aux performances et à l’origine des plastiques que nous développons pour eux.
En 2019, Total s’associait entre autres avec Mars et Nestlé pour développer le recyclage chimique en France. Et en octobre 2020, Total a annoncé la construction de la première usine de recyclage chimique en France avec Plastic Energy. Usine dont la mise en service est prévue en 2023 avec une capacité de traitement de 15 000 T/an de déchets plastiques. Total, L’Oréal et Lanzatech viennent également de rendre publique une première mondiale : la production d’un flacon cosmétique plastique conçu à partir d’émissions industrielles de carbone (rejets gazeux d’aciéries dans le cas présent). C’est emblématique du souci pour l’amont et l’aval qui marque désormais tous les acteurs de la chaîne.
Le métier des polyméristes évolue donc de façon significative ?
Dimitri Rousseaux. D’une part nous sommes amenés, dès la phase de développement, à considérer une gamme plus large de performances de nos produits en y intégrant la notion de durabilité dont fait partie leur bilan carbone. Toute solution doit donc faire l’objet d’une analyse de cycle de vie afin de pouvoir garantir sa pertinence environnementale et éviter les fausses bonnes idées.
Nous avons pour cela dans nos équipes des spécialistes de l’analyse du cycle de vie. D’autre part, notre industrie est aussi amenée à passer des alliances avec divers acteurs de la chaîne de valeur pour développer des synergies. Nous élargissons nos domaines de compétences R&D au-delà des activités historiques puisque nous avons maintenant acquis une certaine expertise en biotechnologie. Nous avons également des laboratoires et des collaborations stratégiques dans ce domaine. La R&D est au cœur des transformations en cours.