Qu’on les envisage sous l’angle de la biodégradabilité ou du bio-sourcing, les bioplastiques s’écartent du « mainstream » industriel associé à la pétrochimie. Mais ils réactivent aussi une autre histoire, plus ancienne, qui permet d’éclairer le futur.
Quand on parle de bioplastiques, on pense souvent à leur caractère biodégradable. Mais l’expression renvoie aussi aux matières premières employées. Or les plastiques « biosourcés » – qui ne sont pas forcément biodégradables – ne sont pas complètement une nouveauté. Après la Bakélite (1907) et le PVC (1912), mais avant le Plexiglass (1924) et le polyéthylène (1933), des plastiques ont été développés à partir de matières végétales.
Jean-Luc Dubois est directeur scientifique d’Arkema, une entreprise de chimie de spécialité. Il nous livre ses connaissances sur l’histoire des bioplastiques ainsi que la vision de cette entreprise sur ces matériaux.
Arkema a maintenu cette tradition qui connaît aujourd’hui un renouveau. Comment s’est-elle perpétuée ?
Il est vrai que la pétrochimie a longtemps dominé dans nos métiers, mais certains plastiques historiques, toujours fabriqués aujourd’hui, y échappent. C’est le cas par exemple du polyamide 11, le « nylon français », qui est produit à partir d’huile de ricin.
Ce qui est intéressant, c’est que de la même façon que le développement des plastiques biosourcés procède aujourd’hui de choix politiques et réglementaires, le développement d’une filière du « nylon français » a été validée au plus haut niveau de l’État. Il s’agissait, après 1945, de soutenir l’industrie textile et d’intégrer l’économie des colonies. Les graines de ricin seraient débarquées et transformées à Marseille avant de gagner la région Lyonnaise. Pourquoi Lyon? Parce que c’était un centre textile. C’est à partir de cela qu’un important pôle de chimie s’y est développé. Les Soviétiques, à la même époque, ont tenté quelque chose d’équivalent à partir d’éthylène.
Le polyamide 11 est toujours produit aujourd’hui. C’est un polymère de spécialité, qui est plus cher que le polyamide 6 d’origine fossile, mais présente un compromis de propriétés intéressant beaucoup de clients. Par exemple, il résiste bien aux solvants, aux UV, aux intempéries (froid). Clairement, ici, la valeur est dans la propriété technique, et non dans le côté bio-sourcé.
La différence entre huile de ricin et pétrole est-elle majeure sur le plan des procédés ?
Non, ce sont des procédés chimiques, et non biologiques. Dans une huile il y a toujours une fonction acide sur une chaîne longue ; c’est une bonne matière première qui porte déjà une fonction chimique importante. Aux États-Unis, on fait ainsi des plastifiants secondaires à partir d’huile végétale (lin et soja).
L’huile de palme serait une matière première parfaite, dans ce contexte, si elle n’entrait pas en compétition avec des cultures alimentaires et si on ne connaissait pas les effets néfastes de ses plantations sur la biodiversité. En outre, l’élévation du niveau de vie des pays émergents conduit mécaniquement à une hausse de la demande d’huile de palme, ce qui l’écarte définitivement comme un substitut crédible au pétrole.
Reste que les grandes entreprises de notre secteur, qui considèrent avec attention l’évolution des réglementations en Europe et ailleurs, recherchent activement aujourd’hui des sources alternatives au pétrole, qui leur permettent néanmoins de pas révolutionner leurs installations industrielles.
Chez Arkema nous avons cherché, par exemple, à développer un acide acrylique biosourcé. Le marché existe, du côté des peintures et des couches-culottes. Technologiquement, cela marche : le glycérol coproduit du biodiesel et de l’oléochimie, ainsi, serait un bon candidat. Mais les fluctuations du marché des biocarburants nous ont conduits à l’écarter.
Une autre stratégie consiste à partir sur des pistes entièrement nouvelles, comme le polyhydroxyalkanoate (PHA), un polyester obtenu par fermentation bactérienne. Mais ces procédés sont très éloignés de notre métier.
Les fonctions de biodégradabilité, en revanche, peuvent s’intégrer plus facilement dans vos produits ?
Oui, cela demande de la R&D mais en termes de base industrielle c’est moins compliqué. Nous sommes attentifs, toutefois, à raisonner en prenant en compte toutes les dimensions, et notamment l’intérêt du recyclage. La biodégradabilité doit être définie en fonction du milieu dans lequel le produit doit se dégrader : sol, compost domestique, compost industriel, milieu marin, etc. Il faut savoir qu’un plastique biodégradable le sera souvent dans les conditions d’un compost industriel, à 50–70°C, mais pas au fond de votre jardin. Et en compost industriel il ralentit le process, ce qui conduit les professionnels à l’éviter. Seul un petit nombre de plastiques sont dégradables en milieu marin.
Il est préférable de sélectionner des produits biodégradables pour des familles de produits où la fonction est vraiment utile. Par exemple, les filets de protection dont l’on entoure le tronc des jeunes arbres, et qui doivent se dégrader en quatre ou cinq ans.
Autre exemple, une firme innovante, Lactips, produit une version biodégradable à 100% du petit film hydrosoluble qui entoure le liquide de votre lave-vaisselle. C’est un produit vraiment utile, dans la mesure où ses composants se retrouvent intégralement dans les eaux usées.