Les bioplastiques ont fait leur apparition sur la scène industrielle au cours des dix dernières années. On estime qu’ils représentent environ 8,3 milliards de dollars sur les 569 milliards générés annuellement par l’industrie du plastique. Si l’on en croit les prévisions, leur part de marché est appelée à croître d’environ 16% par an dans les années à venir 1. Même si les applications des bioplastiques restent très spécifiques, ce secteur naissant semble en passe de se faire une place sur le marché. Pour autant, ces matériaux ne font pas l’unanimité parmi les grands donneurs d’ordre.
Précisons que les bioplastiques ne datent pas d’hier. Bien qu’ils commencent à peine à faire parler d’eux, ils existent depuis aussi longtemps que les polymères ordinaires à base de ressources fossiles. Leur origine remonte à la fin du XIXe siècle. À l’époque, des précurseurs s’employaient dans les laboratoires de chimie à mettre au point des polymères naturels comme la cellulose. Dès lors, comment expliquer qu’il ait fallu tout ce temps pour atteindre la maturité industrielle ? Pour faire court, les industriels ont privilégié les plastiques pétro-sourcés.
Plastiques vs bioplastiques
Les plastiques ordinaires sont fabriqués à partir de matières premières issues d’hydrocarbures fossiles, principalement le pétrole et le gaz. Ils sont bon marché et aussi malléables que résistants ; ces caractéristiques leur ont permis de s’attirer les faveurs des industriels tout au long du XXe siècle. Les bioplastiques existaient déjà, mais personne ne n’y intéressait vraiment. Cependant, ces mêmes caractéristiques jouent aujourd’hui contre eux. Les procédés industriels pétrochimiques sont source d’émissions de carbone, et la résistance de ces polymères à la biodégradation pose problème en matière de traitement des déchets.
Bien que deux catégories de bioplastiques soient regroupées sous un même terme générique, chacune présente des solutions bien distinctes aux deux défis environnementaux majeurs auxquels se trouve confrontée l’industrie des plastiques, à savoir les émissions de carbone et la gestion des déchets. D’un côté, les matières plastiques d’origine végétale sont issues de la biomasse, de matières premières renouvelables comme la canne à sucre, le maïs ou l’huile végétale, et permettent en général de réduire les émissions de carbone inhérentes à leur production. Elles peuvent également être fabriquées à partir de résidus alimentaires, et des recherches sont en cours pour exploiter des ressources non alimentaires telles que la cellulose.
De l’autre, les matières plastiques biodégradables sont produites, à l’instar des plastiques ordinaires, à partir de produits pétrochimiques auxquels on incorpore des additifs permettant de faciliter le processus de traitement des déchets. Si certains bioplastiques sont tout à la fois biosourcés et biodégradables, comme l’acide polylactique (PLA), d’autres ont simplement été labellisés « d’origine végétale », dans la mesure où ils sont fabriqués à partir de matières biologiques, même s’ils contiennent des substances pétrochimiques, ce qui signifie qu’il s’agit en fin de compte de produits intermédiaires.
Le « bio » pas forcément mieux
Si les bioplastiques semblent constituer une alternative écologique aux plastiques ordinaires, ce n’est pas toujours le cas. On peut en effet craindre que le terme « biodégradable » soit trompeur, sachant qu’il implique en général des conditions de température et de pH très précises, ou encore le recours à des microorganismes spécifiques. De fait, la plupart des bioplastiques ne doivent pas être rejetés dans l’environnement ni dans les composteurs domestiques, mais soumis à des processus de compostage industriel, à des températures situées entre 50 et 70° C. Par ailleurs, la plupart ne se décomposent pas dans l’eau de mer, où une grande partie des déchets plastiques terminent leur vie. Des questions se posent également quant à leur toxicité, ce qui laisse penser qu’ils sont, pour partie, pas toujours différents des plastiques ordinaires.
En outre, les plastiques d’origine biologique peuvent entrer en compétition avec l’industrie alimentaire, sachant que, d’après European Bioplastics, le secteur a mobilisé en 2020 0,7 million d’hectares de cultures pour ses activités. Bien que cela ne représente que 0,021% des terres agricoles disponibles, cette industrie peut favoriser la déforestation. Les sources de troisième génération (les algues) ne sont pas encore produites en quantités suffisantes pour garantir une production à grande échelle.
Tandis que des sociétés comme Total et Arkema s’emploient à prendre des positions sur le marché des bioplastiques, d’autres se montrent prudentes. L’Oréal a ainsi fait savoir que « même si les bioplastiques actuels présentent des émissions de gaz à effet de serre moins importantes que celles des plastiques pétrochimiques, d’autres indicateurs environnementaux tels que la consommation d’eau et l’exploitation des terres aboutissent à une empreinte carbone négative ». Le groupe poursuit néanmoins ses investissements pour mettre au point des matières plastiques biosourcées sans toutefois les utiliser dans ses produits pour le moment.
L’avènement des bioplastiques
En Europe, selon les estimations actuelles, 9,4 millions de tonnes de plastiques ont été collectées en 2018 alors que 62 millions de tonnes de plastique étaient produites 2. La pression des consommateurs a abouti, notamment au sein de l’UE, à de nouvelles réglementations en faveur de la recherche de substituts au plastique. Certaines études indiquent que la croissance annuelle du marché des plastiques est de 3,2% 3. Soucieux de leur image, les grands producteurs de biens de consommation comme l’alimentation et l’automobile se sont donc mis en quête de nouvelles solutions.
Les bioplastiques constituent aujourd’hui un marché de niche diversifié. D’une part, des produits biodégradables ; de l’autre, une alternative aux ressources fossiles émettrices de carbone et soumis à raréfaction. Dans les deux cas, ils permettent de réduire notre dépendance à l’égard des plastiques. Pour autant, tels qu’ils existent aujourd’hui, ces matériaux ne peuvent pas systématiquement remplacer les plastiques ordinaires.
De fait, les industriels s’interrogent toujours sur la place qu’il convient de leur accorder par rapport à d’autres stratégies, telles que l’économie circulaire ou la compensation des émissions de carbone. Au cours des vingt dernières années, leur prix a par ailleurs considérablement diminué, passant d’environ mille dollars le kilo à quelques dollars aujourd’hui.
Des marchés restreints, mais ciblés
Aujourd’hui, le conditionnement représente plus de la moitié du marché des bioplastiques. De toute évidence, il existe une véritable demande des consommateurs en la matière. Dans le cadre d’une étude réalisée au Royaume-Uni en 2019, 50% des personnes interrogées ont ainsi déclaré qu’elles étaient prêtes à payer plus cher pour des emballages écologiques, même si rien ne garantit qu’elles passent à l’acte 4.
Depuis 2017, la réglementation européenne impose le recours à des sacs biodégradables et compostables pour les fruits et légumes, même si l’on peut s’interroger sur leur intérêt dans la pratique, notamment au regard des conditions strictes requises pour leur biodégradation.
L’industrie automobile, étroitement associée au secteur pétrolier, est aussi contrainte de se plier à cette tendance écologique, sachant que les acheteurs sont de plus en plus sensibles aux émissions de carbone. Enfin, d’autres secteurs comme l’agriculture ont désormais recours aux bioplastiques pour la fabrication de films agricoles, leurs propriétés répondant en tous points aux besoins des professionnels et aux contraintes réglementaires.
Sur le plan scientifique, l’avènement de ces molécules offre de nouvelles opportunités qu’il appartient aux ingénieurs chimistes d’exploiter, et qui devraient conduire à la découverte de nouveaux polymères aux applications tout à fait inédites. Cependant, cette approche tarde à porter ses fruits. Toxicité des matériaux, impact environnemental, chaîne d’approvisionnement, compétition avec les ressources alimentaires : voici les principaux défis des bioplastiques.
Il semble toutefois que l’impulsion la plus conséquente en faveur de ces matériaux vienne d’en haut. Les décideurs appellent en effet à des initiatives coordonnées, et de grands fabricants de polymères, comme Total, travaillent désormais en partenariat avec des sociétés biotechnologiques même si de nombreux progrès restent à réaliser en matière de recherche et développement.