Dans le domaine des biens de consommation, la montée en puissance de la réglementation environnementale va de pair avec une demande sociétale de plus en plus pressante. Mis en cause dans la pollution des océans et pour leurs émissions de CO2, incarnant le règne du jetable, les plastiques sont au cœur de la transition environnementale. Pour autant, leur production mondiale continuera à croître de 3,2% par an jusqu’en 2027.
Dans les pays développés, les filières de recyclage ont pris leur essor depuis longtemps et elles gagnent en performance. L’arrivée des bioplastiques – qui ne représentent encore que 2% du marché mondial en valeur mais bénéficient d’une forte croissance – offre d’autres possibilités mais apporte également de nouveaux défis.
Les entreprises s’interrogent : recyclage, bio-sourcing, biodégradabilité, par quel bout prendre ce sujet ? Comment s’orienter ? Pour faire leurs choix et déterminer leurs stratégies, les industriels raisonnent en trois dimensions, en considérant les effets de bord et de seuil de rentabilité de chacune des solutions en tentant de coordonner leurs efforts. Olivier Jan et Erwan Harscoët, ingénieurs et consultants chez Deloitte, les aident à s’orienter.
Il y a quelques années, les préoccupations environnementales étaient du domaine de la RSE et les observateurs dénonçaient la tentation du greenwashing. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Oliver Jan. Nous avons changé de monde. Dans le domaine des emballages, la réglementation se renforce, mais pour de nombreuses entreprises c’est tout simplement leur licence to operate qui est en jeu. Le business peut « tomber » pour des raisons sociales ou environnementales aujourd’hui si les consommateurs et parties prenantes estiment que l’activité de l’entreprise entraîne des conséquences néfastes pour la planète ou ceux qui l’habitent. L’ensemble du secteur des biens de consommation est notamment touché par cette évolution. Les grands donneurs d’ordre sont sensibles aux nouvelles attentes des consommateurs et s’efforcent non seulement d’y répondre mais également de prendre de l’avance.
Cela suscite un engagement plus structurant et plus central dans les entreprises et une montée en compétence générale avec des discussions très pointues. Et, avec l’urgence de faire des choix, on voit aussi monter la conscience de la complexité de ces décisions, qui requièrent une vision en multiples dimensions.
Pour tous les acteurs avec lesquels nous avons discuté dans ce dossier, cette complexité semble un défi stratégique et intellectuel. Pouvez-vous nous en préciser les termes ?
Erwan Harscoët. La question écologique se pose principalement dans les entreprises sous la forme de leur « empreinte environnementale ». Or cela engage différents problèmes : dépendance au pétrole et émissions de CO2, bien sûr, mais aussi impact sur la biodiversité, consommation de ressources naturelles, pollutions diverses. Toutes ces dimensions jouent entre elles et il arrive qu’elles entrent en contradiction. Par exemple, utiliser des matériaux biosourcés peut conduire à la déforestation ou limiter la disponibilité de ressources pour l’alimentation.
La problématique la plus importante, pour les plastiques, c’est la fin de vie. Premier élément de complexité, la variété des polymères rend plus difficile leur traitement en fin de vie.
Deuxième élément, il y a plusieurs grandes familles de solutions, et le « bio », au sens biosourcé, n’est pas la plus importante aujourd’hui. Notons d’emblée que pour la plupart des applications, ce n’est pas le caractère biosourcé qui va avoir une influence sur la gestion en fin de vie. La biodégradabilité en revanche a son intérêt : c’est une réponse pertinente dans certains cas, par exemple pour des petits emballages flexibles difficiles à récupérer et qui s’envolent facilement de par leur légèreté : le mieux est qu’en cas de mauvaise gestion en fin de vie ils disparaissent d’eux-mêmes.
La biodégradabilité apparaît comme une solution idéale si des éléments ont une forte chance de se retrouver en milieu marin, notamment quand on considère les nombreux pays où, sans même parler de recyclage, la collecte des ordures est inexistante ou informelle (le picking de certains détritus à la main dans des décharges sauvages). Les résines PHA (polyhydroxyalcanoates), par exemples, se dégradent vite et bien dans l’eau de mer. Mais si l’on veut obtenir cette biodégradabilité, on perd forcément des qualités, notamment l’effet protecteur du plastique. Cet arbitrage entre différents types de performances couplé aux aspects économiques est un troisième élément de complexité.
Faut-il forcément arbitrer, ne peut-on penser « outside the box » ?
EH. On peut tenter de raisonner différemment en changeant de perspective. Ne mettre sur le marché, par exemple, que des plastiques ayant suffisamment de valeur pour que quelqu’un s’intéresse naturellement à leur collecte et recyclage – comme par exemple les bouteilles en PET transparent.
En s’appuyant sur l’exemple allemand, certains acteurs proposent le retour de la consigne, qui était après tout une forme ancienne d’économie circulaire. Mais certaines parties prenantes de la filière n’y sont pas favorables : en maintenant les bouteilles plastiques dans les filières de tri sélectif, on y incorpore assez de valeur pour que la récupération de l’ensemble des emballages plastiques soit moins coûteuse.
OJ. Pour raisonner juste, ici, il faut penser chaîne de valeur complète et prendre en compte l’ensemble des coûts ainsi que les effets d’échelle. La même logique s’applique dans la production de bioplastiques. Nous avons besoin de technologies pour développer de nouveaux types de matériaux, mais nous devons aussi nous interroger sur l’ensemble de la chaîne de valeur, des modes de production des bio-ressources qui seront mobilisées, qui devront obéir à des critères environnementaux et sociaux, jusqu’à la fin de vie de ces nouveaux matériaux et la façon dont nous pourrons les collecter et les valoriser. Certains segments de marché qui disposent de plus de moyens, ou qui subissent plus de pression réglementaire, comme les emballages alimentaires, peuvent entraîner d’autres secteurs.
Par exemple sur le recyclage, les industriels de la boisson ont un rôle particulièrement important. Cette industrie très visible a été la première mise en cause sur le sujet de la pollution marine et elle a en conséquence investi en premier dans le développement de nouvelles technologies de recyclage qui bénéficieront à d’autres segments d’emballages ou d’autres produits. Ainsi, les prochaines technologies basées sur la dépolymérisation permettront également de recycler les barquettes en plastique utilisées par d’autres industriels ou les textiles synthétiques, non recyclables aujourd’hui.
Les acteurs ont-ils intégré ces logiques économiques parfois complexes ?
OJ. C’est très inégal d’un secteur à l’autre. On note une vraie différence de maturité entre les industriels, avec parfois des formes de naïveté chez les nouveaux arrivants. L’industrie textile par exemple se montre depuis peu beaucoup plus engagée ; les déclarations se sont multipliées, soit sur le thème de la naturalité (des matières biosourcées), soit sur celui de l’économie circulaire (des matières recyclées). Mais ces entreprises ne se rendent pas forcément compte que les industriels qui utilisent des emballages et notamment les bouteilles plastiques qui historiquement étaient effectivement souvent recyclées en produits textiles, vont désormais tout faire pour les récupérer et utiliser pour leurs propres produits la matière recyclée. Le textile va donc manquer de matière recyclée s’il veut changer d’échelle et devra développer ses propres filières.
Ce qu’il faut également comprendre, c’est que les différentes logiques peuvent se percuter. Celles des différents secteurs industriels, comme on vient de le voir. Celles des différentes logiques (recyclage, biodégradabilité) aussi. En tout état de cause elles ne se croisent pas toujours. Mais la rencontre peut se faire, entre acteurs qui se connaissent et se comprennent. On verra alors, par exemple, des matériaux bio-sourcés dont la gestion en fin de vie a également été anticipée. Ou des industriels d’un même secteur qui font converger leurs produits, en privilégiant la simplicité des composants, l’utilisation exclusive de matériaux recyclables, etc. Cela a été observé dans le secteur des biens de consommation et devrait se poursuivre dans d’autres industries comme celle de l’automobile.