Suite au sommet de Versailles des 10 et 11 mars derniers, la Commission européenne travaille sur un objectif de réduction des importations de gaz russe de deux tiers d’ici la fin de l’année 2022 et en totalité d’ici 2027.
Quelles sont les conséquences pour le mix énergétique européen ?
À court terme, cela signifie inévitablement le remplacement du gaz russe par du charbon pour une partie du mix énergétique et la substitution d’une autre partie de ce mix par du gaz naturel liquéfié (GNL) importé par bateau. La guerre en Ukraine a pour conséquence immédiate de mettre entre parenthèses les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre, car la production d’électricité à base de charbon émet environ quatre fois plus de CO2 que celle à base de gaz. À long terme, cela signifie la construction d’infrastructures pour accroître les importations de GNL et développer les énergies renouvelables.
Quel volume de charbon cela représente-t-il ?
En 2021, environ 45 % du gaz importé en Europe était d’origine russe. Cette dépendance n’a pas le même poids selon les pays. La part d’importation est de 17 % pour la France, 50 % pour l’Allemagne alors qu’elle dépasse les 90 % en Finlande ou en Lettonie par exemple. Sortir de cette dépendance à court terme demandera des efforts très différents d’un pays à l’autre.
La demande de gaz russe en Europe peut être réduite de 18 % à 20 % en utilisant des centrales électriques à charbon ou dual-fuel (à double combustible : charbon ou gaz). Le gaz naturel russe représente 11 % de la consommation totale d’énergie primaire en Europe. On parle donc de remplacer autour 2 % de l’énergie consommée en Europe aujourd’hui sous forme de gaz par du charbon. Ça représente à peu près la consommation annuelle d’énergie d’un pays comme l’Autriche, ou 10 % de l’énergie de l’Allemagne. Un détail important : on pourrait aller plus loin et faire repartir des vieilles centrales à charbon. C’est sans doute ce qui va arriver si on ne réduit pas suffisamment la demande de chauffage et d’électricité.
Pouvez-vous préciser la stratégie de sortie du gaz russe d’ici fin 2022 ?
Une sortie du gaz russe peut s’établir au travers d’une stratégie à trois axes. 1/ Le premier est le remplacement du gaz par du GNL. Les États-Unis et le Qatar représentent 26 % et 24 % des importations de l’UE et sont massivement exportateurs. Pour autant, on observe des contraintes techniques. L’Europe, et notamment l’Allemagne, manque de terminaux portuaires gaziers et d’usines de regazéification du GNL. La flotte mondiale de tankers est de 600 navires. Cela ne suffira pas à satisfaire une demande en forte croissance. Enfin, une fois que le gaz est livré, il faut le transporter à travers l’Europe. 2/ Le deuxième est le recours au charbon (importé d’Afrique du Sud). 3/ Enfin, il sera nécessaire de réduire la consommation des industries et des ménages. C’est par la complémentarité de ces trois axes que l’Europe peut diminuer sa dépendance d’ici 2022, même si le scénario de deux tiers semble assez peu réaliste. Une diminution de 50 à 60 % est plus vraisemblable. À moyen terme, un arrêt complet des importations de gaz russe en 2027 passera par des investissements massifs, notamment dans les renouvelables et les infrastructures de GNL. Le nucléaire demande des temps de développement plus long.
Quel serait l’impact d’une diminution de la consommation de gaz ?
Une estimation a été réalisée par l’Agence internationale de l’énergie. Si, en Europe, tout le monde diminuait son chauffage de 1 degré, cela constituerait une économie de 6 % en volume de gaz importé de Russie. Pour réduire l’ensemble de la consommation française, il faudra donc réduire le chauffage des Européens de plus de 3 degrés. Cela reste théorique, car une partie de ce gaz est consommé par l’industrie.
Comment expliquer cette différence de dépendance entre la France et l’Allemagne ?
L’Allemagne utilise à 25 % du charbon, à 22 % de l’éolien et à 17 % du gaz naturel pour produire son électricité. En revanche, la France a moins investi dans le gaz naturel, car 70 % de son électricité est d’origine nucléaire. Le gaz y est utilisé en particulier pour se chauffer, pour l’industrie et pour alimenter des centrales utilisées en période de pointe. De plus, une grande part du gaz importé en France provient d’Algérie et de Norvège, transporté par gazoduc. Cette situation devrait conforter la France dans sa stratégie nucléaire.
Que peut-on attendre de l’évolution des prix ?
Une observation des marchés à terme n’indique pas de retour à la normale avant le troisième trimestre 2023. Ce qui paraît éloigné, mais ne signifie pas une augmentation constante jusqu’à cette date. Il est impossible de prédire le prix du gaz, mais des prix stables et élevés sont probables. Dans cette augmentation, l’effet de l’anxiété et du self-sanctionning, provoqué par l’annonce de l’embargo américain et anglais sur le gaz et pétrole russe, sont indéniables. Des banques et des entreprises refusent de conclure des contrats avec des Russes par peur de représailles. Le mini scandale autour de l’entreprise Shell qui n’a pas mis un terme avec ses activités en Russie le montre bien. Ainsi, pour éviter d’attirer l’attention, et donc d’atteindre leur réputation, les traders se sanctionnent eux-mêmes, conduisant à une augmentation des tarifs.
Le choix du stockage de cette ressource est donc stratégique. D’autant que nous sortons à peine d’une année difficile pour ce secteur, due notamment à la crise sanitaire. En temps normal, les pays européens commencent le printemps avec environ 40 % de leur capacité de stockage, alors que cette année, ces 40 % ont déjà été atteints mi-janvier. Il est donc important de restocker le gaz, mais le faire au prix fort constitue un risque pour les acheteurs. D’autant que, si c’est la stratégie choisie, cela donne une arme supplémentaire à la Russie qui peut décider d’influer sur les prix à la baisse.