Accès aux ressources naturelles et puissance géopolitique sont fortement intriqués – en particulier avec l’essor de la transition énergétique, qui modifie la demande de matières premières. Qualifiée de « science de l’État » par Rudolph Kjellen en 1899, la géopolitique « étudie la manière dont la politique ou les idéologies peuvent être expliquées au moyen de variables géographiques, telles que la localisation, la taille, la population, les ressources ou le développement technologique »1.
Le pétrole : une source de conflit
Sans surprise, lorsqu’il s’agit de définir la géopolitique de l’énergie, le pétrole est le cas le plus débattu. Depuis la Première Guerre mondiale, la décision de Winston Churchill (alors Premier Lord de l’Amirauté) de changer la source de carburant des navires de guerre de la Royal Navy en passant du charbon au pétrole, afin de rendre la flotte plus rapide que son homologue allemande, a marqué le début d’une nouvelle ère. Le passage d’un approvisionnement sûr en charbon, extrait au Pays de Galles, à un approvisionnement en pétrole incertain, provenant de ce qui était alors la Perse, a conduit le Moyen-Orient à devenir un épicentre important de la géopolitique mondiale – sans compter que le pétrole est devenu un enjeu clé de sécurité nationale2.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, le contrôle du pétrole a joué un rôle central dans de nombreux conflits : la guerre du Biafra (1967–1970), la guerre Iran-Irak (1980–1988), la guerre du Golfe (1990–1991), la guerre d’Irak (2003–2011) ou le conflit dans le delta du Niger (en cours depuis 2004). Au cours de ces décennies, les tensions entre les pays producteurs et les pays consommateurs de pétrole se sont accrues, culminant avec les crises pétrolières de 1973 et 1979. À la suite de ces événements, le prix du pétrole s’est stabilisé en 1980 à 32 dollars le baril, un niveau dix fois supérieur à celui d’avant 1973.
Les tensions géopolitiques liées au pétrole se poursuivent au cours des décennies suivantes, comme en témoigne l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990. En quelques mois, elle a entraîné le doublement du prix du pétrole, déclenchant ainsi la récession économique américaine du début des années 1990. Depuis lors, le ballet des prix du pétrole ne s’est jamais arrêté. Le prix du pétrole « est passé de 21 dollars le baril début 2002 dans la perspective de la guerre en Irak, à 29 dollars au début des hostilités le 19 mars 2003, à 48 dollars au début du second mandat du président Bush en janvier 2005, à 145 dollars en juillet 2008 ; soit une hausse globale de plus de 400%. Les prix ont ensuite chuté pendant la récession de fin 2008, pour osciller autour de 50 dollars le baril au printemps 2009 avec une baisse de la demande des consommateurs »3. Et au cours de la dernière décennie, le prix du pétrole a continué à monter en flèche.
L’indépendance grâce aux énergies renouvelables
En Europe, le gaz naturel est un autre combustible fossile qui continue à jouer un rôle géopolitique très important. Principalement importé de Russie et de Norvège, le gaz a commencé à être considéré comme l’une des principales menaces géopolitiques pour l’Europe entre 2006 et 2009. À cette époque, les différends sur la tarification du gaz entre la Russie et l’Ukraine ont conduit à l’interruption de l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel russe via l’Ukraine. La sécurité de l’approvisionnement en gaz, telle que définie dans le règlement européen 2017/1938, est un pilier important de l’objectif de la politique énergétique européenne. Le corridor gazier reliant la région caspienne à l’Europe via la Turquie est ainsi un exemple récent de diversification des approvisionnements en gaz naturel.
Mais il existe un autre moyen d’atteindre l’indépendance énergétique : augmenter la part des énergies renouvelables. Les énergies renouvelables présentent de nombreux avantages par rapport aux combustibles fossiles : elles favorisent à la fois la décarbonation et la sécurisation de l’approvisionnement4. Cependant, elles exacerbent également les risques de sécurité et les tensions géopolitiques liés à la criticité des matériaux nécessaires aux technologies renouvelables. Parallèlement, le déclin des investissements dans les combustibles fossiles crée également de nouvelles frictions entre les États qui en dépendent et ceux qui sont engagés dans une transition rapide.
Enfin, les technologies renouvelables étant appelées à transformer les systèmes d’approvisionnement en énergie, les relations entre les États vont évoluer alors que les économies et les sociétés subissent des transformations structurelles5. Par exemple, la Chine est devenue un acteur important de la géopolitique de la transition énergétique, en raison de sa consommation énergétique croissante mais également de ses ressources en métaux rares, nécessaires à la production de technologies renouvelables et de batteries.
Stabiliser la géopolitique de l’énergie
Des changements fondamentaux sont en cours dans le système énergétique mondial, qui affecteront presque tous les pays et auront des conséquences géopolitiques de grande ampleur6. La transition énergétique est l’avenir mondial de l’énergie depuis la signature de l’Accord de Paris. L’objectif pour y parvenir est le zéro carbone net d’ici 2050 – un objectif déjà énoncé par l’Union européenne, la Grande-Bretagne le Japon, et les États-Unis, très récemment revenus sur la bonne voie.
Par conséquent, la transition vers un monde à faible émissions carbone complexifie la vision traditionnelle de la géopolitique de l’énergie. Elle englobe désormais de nouvelles dimensions, très stimulantes, comme l’illustrent les articles de ce dossier.
Nous proposons une grande variété de sujets : le rôle de la tarification du carbone dans la polarisation des différents objectifs de politique énergétique mais aussi industrielle entre les pays européens ; le lithium ainsi que les autres matières premières qui sont cruciales pour la transition énergétique, qui déplace l’attention des anciens pays producteurs de pétrole vers d’autres endroits, comme les pays d’Amérique latine. En outre, les nouvelles stratégies des majors pétrolières, notamment à la suite de la crise du Covid-19, ainsi que l’ambition des producteurs de gaz de remodeler l’industrie pour relever les défis de la transition énergétique sont d’excellents exemples des nouvelles facettes de la géopolitique moderne de l’énergie.