L’exploration spatiale se veut de plus en plus ambitieuse avec de nouvelles missions vers les différentes planètes de notre système solaire et au-delà. Mon équipe au LMD contribue à cet effort global en analysant les observations faites par ces missions et en développant des modèles climatiques globaux. Dans le but de simuler le comportement des atmosphères extraterrestres à l’aide d’équations de physique universelle.
Au LMD, la plupart de mes collègues étudient le climat de la Terre à l’aide d’observations par satellite et de modèles numériques qui simulent son atmosphère. L’objectif est de modéliser les changements climatiques et de prévoir ce qui se passera dans le futur — disons dans 50 ans. Nous avons adapté ces techniques et les avons appliquées aux atmosphères des autres planètes de notre système solaire, ainsi que de Titan (une lune de Saturne) et de Triton (une lune de Neptune), et bien sûr de Pluton, anciennement notre neuvième planète.
Les modèles numériques du climat
Qu’ils soient terrestres ou non, les modèles ressemblent un peu à un jeu vidéo, mais ils sont basés sur des équations physiques qui nous permettent de calculer tous les phénomènes présents autour d’une planète — ses nuages, ses vents, sa circulation atmosphérique, ses tempêtes de poussière, son gel, sa neige. Nous essayons ensuite de voir si, simplement sur la base d’équations théoriques bien connues, nous pouvons représenter tous ces phénomènes.
Cet objectif est très ambitieux. Parfois, nous n’y parvenons pas, mais souvent les modèles fonctionnent étonnamment bien. Les résultats nous permettent également de mieux comprendre l’atmosphère de notre planète en y réappliquant les leçons apprises ailleurs. C’est un peu comme en médecine, où les modèles animaux sont utilisés pour mieux comprendre le corps humain.
Nous consacrons actuellement une grande partie de notre temps à la planète Mars et sommes impliqués dans de nombreuses missions spatiales dont le Mars Climate Orbiter de l’ESA et Insight, une mission américaine pour laquelle des collègues français ont fourni le sismomètre. Cette station géophysique est aussi une station météorologique. Là encore, nous essayons d’interpréter les observations que nous faisons avec nos modèles numériques.
Nous développons également un ambitieux projet soutenu par l’UE, intitulé Mars Through Time (Mars à travers le temps), qui consiste à utiliser nos modèles climatiques extraterrestres pour tenter de modéliser le climat sur Mars il y a quelques milliers, millions et même milliards d’années, lorsque son orbite, son axe de rotation et son atmosphère étaient quelque peu différents et qu’il y avait des périodes glaciaires (récemment) voire des lacs et des rivières (il y a très longtemps) à sa surface.
Des surprises à profusion
Pour ce projet et d’autres, nous avons récemment appliqué aux autres atmosphères un nouveau programme informatique appelé Dynamico, développé à l’origine pour étudier le climat de la Terre, afin de résoudre les équations de la mécanique des fluides pour calculer la circulation atmosphérique — c’est-à-dire la façon dont les dépressions, les anticyclones et les vents évoluent. Lorsque nous avons appliqué le programme à Mars et à Vénus, nous avons constaté qu’il ne simulait pas très bien la situation sur Vénus. En effet, des effets subtils que le modèle néglige sur Terre peuvent être beaucoup plus forts sur d’autres planètes, ce qui signifie que nous devons parfois améliorer le modèle en ajoutant certains termes aux équations qu’il contient.
Il y a quelques années, nous avons rencontré une situation similaire en appliquant nos modèles à Mars. Le terme supplémentaire que nous avons dû ajouter à nos équations dans ce cas ne nous a pas seulement permis d’améliorer notre modèle pour qu’il décrive mieux l’atmosphère martienne, il nous a également aidés à mieux simuler la mousson en Inde lorsqu’il a été réappliqué à l’atmosphère terrestre. Cela peut sembler être un petit détail, mais il s’agit ici d’un résultat important si nous voulons essayer de comprendre s’il y aura à l’avenir une grande sécheresse ou des pluies torrentielles dans cette région du monde à cause du changement climatique. L’étude du climat de Mars nous a ainsi permis de mieux comprendre celui de la Terre.
Les résultats de ces modèles, qui sont utilisés par des centaines d’équipes de recherche dans le monde, sont également déterminants pour la préparation des missions spatiales, notamment celles qui sont conçues pour se poser à la surface d’une planète ou qui utilisent l’atmosphère pour ralentir leur vaisseau spatial. Nous sommes financés par les agences spatiales et les industriels pour ces projets.
On peut généralement se fier aux modèles, ce qui, soit dit en passant, est très utile pour convaincre certains climatosceptiques. En effet, il est étonnant de constater à quel point nos modèles représentent souvent bien ce que nous observons. Il est fascinant de voir qu’un modèle aura parfaitement prédit comment, par exemple, les vents se comportent sur une planète et que ces prédictions sont confirmées par les données renvoyées par une vraie sonde.
La situation est encore plus intéressante lorsque le modèle ne fonctionne pas. Parfois, c’est parce que la situation est très compliquée ou « non linéaire », ce qui signifie que le climat est extrêmement sensible à tel ou tel paramètre. Le modèle doit être finement testé et ajusté pour tenir compte de cette sensibilité. Le plus souvent, cela implique qu’il existe un phénomène physique auquel nous n’avons pas pensé et qui est, en réalité, bien présent. Ce phénomène physique peut ne pas être un processus qui agit directement sur l’environnement en le chauffant ou le refroidissant, par exemple. Il peut s’agir d’une « rétroaction » qui conduit le système climatique dans un certain « régime de fonctionnement », c’est-à-dire, un climat particulier. Nous devons comprendre ces systèmes physiques, qui possèdent des millions de degrés de liberté et qui combinent de nombreuses échelles de longueur et de temps, et appréhender ce qui les fait entrer dans certains états et fonctionner comme ils le font. Un véritable défi et un beau problème de physique du 21e siècle que nous devons résoudre.
Pour aller plus loin
- https://www.lmd.jussieu.fr/~forget/research.html
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019103521004164
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019103521003572
- https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012821X2100426X
- https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0032063321001768
- https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2021GL095453
- https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs11214-021–00820‑z
- https://www.nature.com/articles/s41467-020–18845‑3
- https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs11214-020–00716‑4
- https://gmd.copernicus.org/articles/13/707/2020/
- https://www.aanda.org/articles/aa/full_html/2020/02/aa37327-19/aa37327-19.html