Cela fait des années que l’on entend parler d’industrie spatiale commerciale et d’exploitation des ressources que recèlent la Lune et les autres corps du Système solaire. Mais alors qu’on nous promet, « pour bientôt », des bases lunaires et des colonies sur Mars, force est de constater que pour l’instant ces grands rêves peinent à prendre corps.
Toutefois, après des décennies de déception, la combinaison d’une meilleure technologie, d’une baisse des coûts vers l’espace et d’une ruée du secteur privé vers les énergies compétitives a placé les voyages spatiaux au premier plan. Les développements commerciaux de l’industrie spatiale et la raréfaction d’éléments nécessaires à l’industrie pourraient inciter à chercher ailleurs les ressources et à envisager l’exploitation minière de la Lune, des astéroïdes ou, à plus longue échéance, d’autres corps plus lointains du Système solaire.
Une manne à miner
D’après les estimations, l’astéroïde métallique Psyché (200 km de large environ) contient environ 50 % de métal, soit une quantité totale équivalente à des millions d’années de notre production annuelle mondiale de fer et de nickel. Et ces métaux ne sont pas les seuls qui attisent la convoitise des futurs prospecteurs spatiaux.
D’autres astéroïdes sont riches en éléments très rares sur Terre. Platine, iridium, osmium, palladium, tous ont une grande importance industrielle et servent à la fabrication de produits aussi divers que des pots catalytiques, des stimulateurs cardiaques et des implants médicaux, mais ils entrent surtout dans la composition de la plupart des composants électroniques modernes. Ces ressources, sur Terre, sont extrêmement limitées et l’augmentation de leur prix pourrait ne plus rendre si aberrante l’idée d’aller les miner dans l’espace.
Plus proche de nous, la Lune fait l’objet d’une attention croissante de la part de l’industrie spatiale. Sa richesse ? Pas de métaux rares, mais deux autres ressources tout aussi stratégiques.
La première est l’eau. Des sondes d’exploration scientifiques comme LRO (États-Unis) ou Chandrayaan‑1 (Inde) ont confirmé, depuis l’orbite lunaire, la présence d’eau sur presque toute la surface de la Lune, mais surtout sous forme de glace dans des cratères ombragés en permanence aux pôles lunaires. Cette eau pourrait tout d’abord servir, une fois purifiée, à remplir les besoins en eau des astronautes en mission sur place, mais une fois séparée en ses constituants fondamentaux (oxygène et hydrogène), elle fournirait surtout les vaisseaux spatiaux en carburant (c’est ce qu’utilise aujourd’hui l’étage principal de la fusée Ariane 5).
De plus, il semble que les vents solaires aient implanté d’importants dépôts d’hélium‑3 (un isotope léger de l’hélium) dans les régions équatoriales de la Lune. Cet hélium‑3 est une source de combustible potentielle pour les réacteurs à fusion de deuxième et de troisième génération dont on espère qu’ils seront en service d’ici la fin du siècle.
Un cadre législatif en constante évolution
Mais peut-on miner impunément les ressources d’autres corps célestes ?
Le traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 interdit explicitement aux nations de revendiquer la propriété d’un corps céleste. La Lune, par exemple, est un « bien commun ». Il n’est cependant pas très difficile de contourner la lettre de ce texte, écrit en un temps de guerre froide où les préoccupations liées à l’espace étaient très différentes d’aujourd’hui.
Une des « astuces » mises en avant par les États-Unis et d’autres nations qui veulent développer l’exploitation minière de l’espace est que, à l’instar des eaux internationales sur Terre, qui n’appartiennent à personne, mais dans lesquelles il est tout à fait autorisé de pêcher, les pays et les entreprises pourraient de facto exploiter et posséder les ressources extraites des corps célestes sans revendiquer ces corps célestes eux-mêmes.
Sur la base de ces considérations, l’administration Obama a signé le fameux « Space Act » en 2015, permettant aux citoyens américains de « s’engager dans l’exploration et l’exploitation commerciale des ressources spatiales ».
En avril 2020, l’administration Trump publiait un décret exécutif soutenant l’exploitation minière américaine sur la Lune et les astéroïdes. Suivi immédiatement par la NASA qui dévoilait, en mai 2020, les accords d’Artémis, qui comprenaient le développement de « zones de sécurité » entourant les futures bases lunaires. L’objectif, officiellement, était d’éviter que les États ou des sociétés opérant à proximité ne se marchent sur les pieds et que des incidents ne se déclenchent.
Rappelons que les États-Unis ne sont pas seuls à travailler sur un nouveau cadre législatif concernant les futures activités spatiales commerciales. Le Luxembourg et les Émirats arabes unis codifient leurs propres lois sur les ressources spatiales dans l’espoir d’attirer des investissements dans leurs pays avec des cadres juridiques favorables aux entreprises. Juste derrière, la Russie, le Japon, l’Inde et l’Agence spatiale européenne nourrissent tous leurs propres ambitions en matière d’exploitation minière spatiale.
Les entreprises privées sur les starting-blocks
Alors que l’exploitation réelle des ressources spatiales n’a pas encore commencé, la jungle des postulants privés à cette nouvelle aventure fourmille de candidats. Tel un écosystème en effervescence, ils apparaissent et disparaissent au gré des accords, des soutiens financiers… et des banqueroutes.
Planetary Resources, fondée en 2009 dans le but de développer une industrie robotique d’extraction d’astéroïdes, disparaît en 2020 malgré des investisseurs fondateurs de premier plan, dont Larry Page d’Alphabet, Eric Schmidt, ex-PDG de Google et Richard Branson, le fondateur du groupe Virgin.
Schakleton Energy Company était une entreprise texane fondée en 2007 pour développer des technologies permettant de faire du minage lunaire. L’insuffisance des levées de fond effectuées entre 2011 et 2013 ne lui permit pas de survivre au-delà de cette date.
Mais d’autres sociétés sont apparues depuis et parient sur l’avenir de l’industrie lourde spatiale. Citons, par exemple, iSpace (Japon) qui se donne pour objectif « d’aider les entreprises à accéder à de nouvelles opportunités commerciales sur la Lune » (extraction de l’eau et des ressources minérales). Offworld, société californienne, développe « des robots industriels universels capables de faire le plus gros de l’exploitation minière sur Terre, la Lune, les astéroïdes et Mars ». L’Asteroid Mining Corporation (Royaume-Uni) finance actuellement le développement d’un satellite, « El Dorado », officiellement prévu pour être lancé en 2023, devrait mener une large étude spectrale de 5 000 astéroïdes afin d’identifier les plus précieux pour l’exploitation minière.
Beaucoup de chemin reste à faire
Quel que soit l’intérêt du secteur public ou privé pour le développement d’activités d’extractions de ressources extraterrestres, il faut reconnaître que la tâche est loin d’être aisée.
L’exploitation minière de la Lune, par exemple, devra surmonter un certain nombre de problèmes spécifiques. Aux pôles les températures vont de 120 °C le jour à ‑232 °C la nuit, et les radiations issues des rayons cosmiques, non déviés par un champ magnétique planétaire, comme celui de la Terre, créent un environnement très hostile. De plus, comme l’ont découvert les astronautes d’Apollo, la poussière lunaire est extrêmement fine et très abrasive, de sorte que les pièces mobiles doivent être protégées. La lubrification et le refroidissement y sont très difficiles, car la plupart des huiles, des fluides de refroidissement et des graisses se désintègrent ou s’évaporent dans le vide.
La situation n’est guère meilleure pour les astéroïdes. Si les technologies développées ces dernières années pour atteindre, survoler et s’approcher en douceur de la surface des astéroïdes ont considérablement évolué, grâce au développement de sondes d’exploration scientifiques comme Hayabusa 2 (Japon) ou Osiris-Rex (États-Unis), les techniques de minage et de récolte des matériaux en apesanteur sont encore à développer et à tester.
Rappelons, pour terminer, que les organismes publics ne sont pas inactifs dans ce domaine. En 2019, ArianeGroup a signé un contrat avec l’Agence spatiale européenne pour étudier la possibilité d’aller sur la Lune avant 2025 et commencer à y travailler. Pour la réalisation de cette étude, ArianeGroup et sa filiale Arianespace se sont associés à une start-up allemande, PT Scientists, qui fournira l’atterrisseur, et à une PME belge, Space Applications Services, qui fournira le segment sol, les équipements de communication et les opérations de services associées.