Pour atteindre la Lune puis Mars et y séjourner pendant de longues périodes, les astronautes disposeront de ressources qu’ils emporteront ou qui leur seront acheminées depuis la Terre ou depuis l’orbite lunaire. Mais ils devront également transformer des ressources trouvées sur place pour subvenir à leurs besoins. Comment extraire et transformer ces ressources ? C’est l’objet des programmes d’utilisation des ressources in situ, In Situ Resource Utilisation (ISRU).
Pourquoi et comment exploiter des ressources dans l’espace ?
Gerald Sanders. Pour des missions d’exploration spatiale de longue durée sur la Lune ou sur Mars, les astronautes devront trouver ou produire de quoi subvenir à leurs besoins pour respirer, s’abriter, se nourrir, se déplacer et mener à bien leur mission. Par ailleurs, la possibilité d’utiliser des ressources « locales » comme, par exemple, de l’eau, du carbone ou de l’oxygène lors de ces missions réduirait la masse à lancer depuis la Terre. Cette « charge utile » a un impact direct sur le coût d’une mission. A titre d’exemple : pour chaque kilogramme qui atterrira sur Mars, il faudra lancer entre 7,5 et 11 kilogrammes en orbite terrestre. Et pour atteindre Mars, il faudra des millions de tonnes de propergols, ou de carburant, ce qui équivaut à la charge utile de plusieurs super-lanceurs. Le carburant devra également être produit sur place. Il ne s’agit pas seulement d’aller sur Mars, mais aussi d’y vivre et d’en revenir.
L’objectif du programme d’utilisation des ressources in situ (In Situ Resource Utilisation, ISRU) est de développer les techniques qui permettront de localiser, d’extraire, de transformer et d’exploiter les ressources locales, les minerais, les composants chimiques nécessaires aux missions d’exploration. Concrètement, il faudra disposer de moyens de locomotion, d’infrastructures d’extraction, de production d’énergie, de traitement et de stockage des produits, de fabrication d’engins et d’outils, de communication, de maintenance… Comme nous le faisons sur Terre mais dans des conditions extrêmes de température, de poussière et d’absence d’atmosphère.
Cela dit, la question de produire dans l’espace ne date pas d’aujourd’hui. J’ai lu un article technique sur comment générer de l’oxygène à partir du sol lunaire, qui avait été rédigé par un ingénieur en 1961, c’est-à-dire avant même que l’Homme soit allé sur la Lune !
Quelles ressources pourront potentiellement être utilisées ?
Il s’agit tout d’abord de ressources naturelles : eau, oxygène, hydrogène, azote, silicium, carbone ou encore roches, notamment le régolithe, sur Mars. Toutes ces ressources serviront à la vie des astronautes, à la production de carburants, de cellules photovoltaïques ou de matériaux de construction entre autres. Aujourd’hui, les développements portent surtout sur la production de carburant, notamment de méthane ou d’hydrogène. Mais les ressources prennent aussi en compte tous les déchets, qu’il faut détruire ou transformer, et les pièces de rechange. Il faut pouvoir réparer un système sans attendre que le prochain approvisionnement rapporte la pièce manquante. Les problèmes à résoudre sont très différents selon que la mission se déroule sur la Lune ou sur Mars. Il faut trois jours pour aller sur La Lune ou d’en revenir, alors que le voyage vers Mars dure entre six et huit mois. De plus, la fenêtre de lancement optimale depuis la Terre, lorsque les deux planètes sont les plus proches, n’arrive que tous les 26 mois.
Quels sont les principaux défis à relever ?
Il y en a quatre. Le premier : comprendre quelles sont les ressources disponibles sur place et bien les connaître. Grâce aux missions qui ont été menées jusqu’à présent, nous disposons déjà d’une bonne connaissance des ressources de la Lune et nous avons de plus en plus d’informations sur celles de Mars. Vient ensuite le défi de l’exploitation de ces ressources. Nous savons comment exploiter les mines sur Terre depuis des siècles, mais quels équipements nous permettront de creuser sur Mars et de transformer les minerais qui s’y trouvent, comment les alimenter en énergie, comment assurer leur maintenance ? Autant de questions auxquelles nous devons répondre dès à présent. Cela nous amène au troisième défi, celui de l’environnement. Il y a beaucoup de radiations sur Mars et la gravité est plus faible que sur Terre, donc nous devons repenser la façon de faire les choses, d’abraser un matériau par exemple.
Des conditions relativement semblables existent en Arctique, dans le désert ou au fond de l’océan, mais elles restent très différentes de ce que nous trouverons sur Mars. Le quatrième défi est celui de la fiabilité, qui doit être totale pour le vol spatial habité. Lorsqu’ils reviennent sur Terre, les astronautes doivent être sûrs d’avoir le bon carburant, d’atterrir au bon endroit, bref, nous devons définir la meilleure stratégie. Il existe un cinquième défi, qui n’est pas technologique mais politique : le respect du traité de l’espace par les parties prenantes.
Le progrès technologique permettra-t-il de relever ces défis ?
Nous nous appuyons sur les technologies que nous connaissons déjà sur Terre et nous essayons de tourner à notre avantage les caractéristiques de l’environnement spatial comme, par exemple, exploiter le vide sur la Lune pour mener des expériences difficiles à réaliser sur Terre. Nous ne cherchons pas la perfection, mais l’efficacité et un bon retour sur investissement. Nous cherchons aussi à tirer des leçons qui pourront servir sur Terre. Comment produire du carburant, supprimer la maintenance ou concevoir des équipements plus légers pourraient contribuer à réduire notre empreinte carbone.
Pourquoi ne pas envoyer seulement des robots, cela réduirait les contraintes notamment sur les besoins d’eau et d’oxygène ?
Notre approche ne consiste pas à opposer les humains aux robots, mais les deux ensembles. Ces missions d’exploration doivent rapporter quelque chose sur Terre que les robots ne peuvent pas. Regardez, le premier vol touristique vers la Lune de SpaceX emportera un collectionneur japonais et huit artistes qui rendront compte de leur expérience. J’ai discuté avec des astronautes et des géologues des missions Apollo. Contrairement à un robot qui a besoin d’un long apprentissage pour comprendre, ils ont une compréhension immédiate de la géologie de ce qu’ils voient, ils comprennent instantanément ce qui s’est passé, ils savent où prélever des échantillons. Sans parler du délai de communication entre la Terre et Mars qui rend difficile le pilotage à distance.