Une nouvelle génération de missions spatiales est en cours. L’objectif : mesurer les champs électriques et magnétiques dans les plasmas spatiaux ainsi que les particules qui les composent (électrons, protons et ions lourds). Mieux comprendre ces champs permet aux chercheurs d’étudier des phénomènes tels que la turbulence dans le vent solaire et son interaction avec les magnétosphères planétaires.
Les effets du vent solaire
Les résultats de ces missions sont d’une grande importance, non seulement pour comprendre ces effets, mais aussi pour mieux caractériser les structures à grande échelle. Par exemple, les éjections de masse coronale dans le vent solaire génèrent ce qu’on appelle des « tempêtes solaires » ayant un impact sur l’environnement magnétisé de la Terre 1. Ces dernières, si elles sont suffisamment fortes, peuvent endommager nos réseaux électriques et de communication ainsi que les satellites.
Le vent solaire est un gaz ionisé appelé plasma, composé principalement d’électrons et de protons. Il est continuellement éjecté de la haute atmosphère du soleil dans toutes les directions vers l’espace interplanétaire, le long des lignes de champ magnétique émanant du Soleil. Il a deux composantes : un vent « rapide » se déplaçant à environ 500–800 km/s provenant des trous coronaux au niveau des pôles de notre astre et un vent « lent » à environ 200–400 km/s émis principalement au niveau du plan équatorial du Soleil. Lorsque le vent solaire entre en collision avec les particules de l’atmosphère terrestre, de nombreux photons sont émis dans un même laps de temps, créant ainsi de magnifiques aurores polaires que l’on peut observer à des latitudes élevées dans les hémisphères nord (aurores boréales) et sud (aurores australes).
Cluster et Cassini, Parker Solar Probe et Solar Orbiter
Le vent solaire est très turbulent. Entre autres, mon travail consiste à étudier les propriétés de la turbulence de ce vent autour de la Terre, mais aussi autour d’autres planètes, comme Saturne et Mercure. La Terre est à une unité astronomique (UA = 150 000000 km) du Soleil, alors que Saturne est beaucoup plus éloignée, à 10 UA. En analysant les données « in situ » des ondes et des particules (densité et température des ions, électrons, champs magnétiques et électriques), provenant d’instruments embarqués à bord de différentes sondes. La sonde Cluster de l’Agence spatiale européenne (ESA) orbitant autour de la Terre et celle de l’agence spatiale américaine (NASA), la sonde Cassini qui orbite autour de Saturne. Mes collègues et moi avons pu étudier et comparer les propriétés de la turbulence à ces différentes distances.
Le laboratoire de physique des plasmas (LPP)est impliqué dans deux autres missions solaires récentes 2. La première, Parker Solar Probe (PSP) de la NASA, a été lancée en 2018 et a effectué ses mesures à une distance très proche du soleil — à seulement 24 millions de kilomètres. PSP poursuit son voyage vers le soleil et, comme son orbite se rétrécit, elle finira par atteindre une distance de périhélie de seulement 6,16 millions de kilomètres en 2024–25 (quelques centièmes de la distance Terre-Soleil), où elle connaîtra des températures de près de 1400 °C. Elle sera la première mission spatiale à pénétrer l’atmosphère du Soleil. La seconde mission est Solar Orbiter de l’ESA, lancée en 2020. Cette sonde s’approchera à 42 millions de kilomètres du Soleil et explorera ses régions hors-écliptique (latitude de 30°) qui n’ont jamais été observées auparavant et mesurera son environnement électromagnétique.
Les premiers résultats de PSP montrent d’étranges inversions du champ magnétique dans la direction radiale, appelées « switchbacks », accompagnées d’une augmentation impulsive de la vitesse du vent solaire, encore inexpliquée. La façon dont les particules sont accélérées dans le vent solaire et le rôle que joue le chauffage de la couronne solaire (la haute atmosphère du Soleil, chaude d’un million de degrés) restent également de grands mystères et PSP aidera certainement à mieux les comprendre. La turbulence est l’un des processus physiques qui peut expliquer le chauffage de la couronne solaire et du vent solaire.
L’analyse des données de Saturne et de Mercure
Outre l’étude des propriétés de la turbulence dans le vent solaire et les « magnétogaines » planétaires (les zones d’interface entre le vent solaire et la magnétosphère), nous avons participé à la phase finale de la mission de la NASA Cassini, lorsque ce satellite a traversé l’espace entre la planète Saturne et ses anneaux 3. Cassini a effectué 23 orbites en traversant le plan des anneaux en passant pour la première fois à l’intérieur de l’anneau D le plus interne. Chaque semaine, on recevait des données de la sonde de Langmuir à bord du satellite qui nous permettait de déduire la densité électronique de l’ionosphère de Saturne (la couche externe de son atmosphère). Nous avons pu non seulement caractériser pour la première fois d’une manière détaillée cette ionosphère, mais avons également détecté des grains de poussière et de la matière organique qui étaient tombés directement depuis l’anneau D dans l’atmosphère de la planète 4.
Nous sommes également impliqués dans la mission BepiColombo, une mission conjointe de l’ESA et de la JAXA (Agence Spatiale Japonaise), lancée en 2018 afin d’explorer la composition ionique, l’atmosphère et la magnétosphère, ainsi que l’histoire de la planète Mercure et sa géophysique. BepiColombo est un système couplé : un orbiteur planétaire (le Mercury Planetary Orbiter fournit par l’ESA) ; et un orbiteur magnétosphérique (le Mercury Magnetospheric Orbiter, fournit par la JAXA).
Le LPP a fourni deux instruments pour cette mission : un spectromètre de masse (MSA), qui mesure la composition ionique dans la magnétosphère de Mercure, et un magnétomètre à induction double-bande (DB-SC), ou Search Coil, qui mesure le champ magnétique à haute fréquence (1Hz-640kHz). Les deux satellites de BepiColombo, actuellement en phase de croisière, entreront en orbite finale autour de Mercure en décembre 2025.
Le 10 août 2021, BepiColombo a survolé pour la seconde et dernière fois la planète Vénus, et le 1eroctobre 2021 pour la première fois la planète Mercure, afin de bénéficier d’une assistance gravitationnelle qui a infléchi sa trajectoire vers l’intérieur du système solaire. Un grand nombre d’instruments à bord ont été actifs pendant ces survols, fournissant des données uniques sur l’environnement de Vénus et de Mercure, y compris leur interaction avec le vent solaire. En particulier, le spectromètre d’ionsMSA et les magnétomètres DBSC du LPP ont recueilli, pour la toute première fois, des données scientifiques dans l’espace. Nous analysons actuellement ces données. D’autre part, en plus des mesures effectuées lors des survols de planètes, certains instruments à bord de BépiColombo seront opérationnels dans le vent solaire. En effet, j’ai coordonné un groupe de travail afin de définir des stratégies d’observations multipoints, c’est-à-dire des observations conjointes entre les satellites BepiColombo, Solar Orbiter et Parker Solar Probe lorsque les trois sont alignés radialement ou magnétiquement dans le vent solaire 5. Une première !