Chaque fois que nous ouvrons une nouvelle fenêtre sur le cosmos, c’est-à-dire sur certaines couleurs ou régions du spectre électromagnétique dans le ciel, nous découvrons de nouveaux objets et étoiles. C’est parce que nous avons accès à toute une gamme de longueurs d’onde totalement inaccessibles depuis le sol. Par exemple, la première fois que nous avons envoyé un satellite pour observer l’Univers en rayons X, dans les années 1960, nous avons découvert des taches dans le ciel dont l’origine était inconnue et qui se sont avérées être du plasma chauffé à plusieurs millions de degrés. Ces taches indiquaient la présence de « mégapoles » dans l’Univers : de « villes » habitées par des centaines de galaxies.
Ce plasma est la matière dans laquelle flottent les galaxies, il est totalement invisible depuis le sol. Lorsque nous étudions cette source de rayonnement, nous découvrons un certain nombre de choses : la température de ce gaz est directement liée à la masse qui est contenue dans la mégapole ; et il abrite dix fois plus de masse que tout ce qui rayonne de la lumière visible. C’est l’une des preuves de l’existence d’une forme de matière noire dans l’Univers.
Exploiter le spectre électromagnétique pour observer l’espace
Grâce à l’astronomie en rayons X, nous avons également découvert que le fer existe entre les galaxies. Cet élément, selon les connaissances actuelles, ne peut être créé que lors de l’explosion d’une étoile, et notamment au cœur des étoiles les plus massives. Or, entre les galaxies, il n’y a pas d’étoiles. Cette observation apporte donc la preuve que les galaxies doivent perdre une partie de leur matière, sous la forme de ce qu’on appelle les vents galactiques. Ces vents proviennent des explosions d’étoiles à l’intérieur des galaxies, qui projettent leur matière à l’extérieur de celles-ci, en alimentant ainsi le plasma avec leurs atomes de fer.
L’autre extrémité du spectre électromagnétique, l’infrarouge, est une autre zone pratiquement inaccessible depuis le sol et pour laquelle il faut envoyer des satellites dans l’espace. IRAS (Infrared Astronomical Satellite), un satellite américain lancé en 1985, a été le premier à observer l’Univers aux longueurs d’onde infrarouges. Il a fait une découverte étonnante : ce qui apparaissait comme des « trous » dans le ciel était en fait les régions de matière les plus denses et les plus concentrées de la Voie lactée, des nuages moléculaires géants composés d’atomes, de molécules, de grains de poussière. En somme, des lieux où naissent les nouvelles générations d’étoiles.
Cette poussière interstellaire, qui rend opaques les régions qui absorbent la lumière des étoiles, est chauffée à une température d’environ 40 degrés au-dessus du zéro absolu, c’est-à-dire ‑230 °C, et rayonne dans l’infrarouge. Dans notre laboratoire au CEA, nous avions développé des détecteurs pour l’infrarouge, ce qui nous a permis de créer la caméra de l’ISO (Observatoire Spatial Infrarouge), un satellite européen lancé en 1995. Les observations de l’ISO ont démontré qu’il existait des régions, dans lesquelles des étoiles étaient nées dans la Voie lactée, qui n’avaient pas été détectées. Une analyse plus poussée a révélé qu’en fait, tout au long de l’histoire de l’Univers, la majorité des naissances d’étoiles nous avaient échappé.
Ce satellite a été suivi par Spitzer (Space Infrared Telescope Facility), un satellite américain, en 2003 et par Herschel, de l’Europe, en 2009. Là encore, notre laboratoire a construit l’une des caméras les plus utilisées sur Herschel.
Les progrès de la recherche sur les matériaux pour l’espace profitent à des applications sur Terre
Les télescopes spatiaux ont la particularité que tous les composants électroniques embarqués sur leurs capteurs doivent résister aux conditions difficiles du cosmos. Ils doivent notamment être résistants aux rayons cosmiques. Ils doivent également être robustes aux vibrations. Même les vis utilisées dans ces satellites sont spécialement conçues pour l’espace afin de résister au froid. Il s’agit donc d’un tout nouveau type de technologie que nous développons et améliorons en permanence.
Cette quête de matériaux performants pour l’espace fait progresser la recherche en science des matériaux et des détecteurs. Par exemple, lorsque nous avons observé des objets d’une luminosité extrêmement faible, nous avons réalisé que nous devions développer des caméras capables de capturer quelques photons (les particules de lumière). Dans la vie de tous les jours, il n’y avait aucune raison de faire cela, mais pour observer les étoiles dans l’Univers, c’était indispensable.
Aujourd’hui, nous nous rendons compte que c’est utile d’avoir de tels détecteurs parce que quand nous avons une petite ouverture, comme c’est le cas dans nos téléphones portables, il faut avoir des détecteurs capables de capter très peu de lumière et, malgré cela, de produire une très bonne image. Donc, une bonne partie des dispositifs optiques et des détecteurs que l’on trouve aujourd’hui dans les téléphones et autres appareils ont bénéficié de l’exploration spatiale.
« La plus belle ruse de la lumière »
Ce qui m’a le plus surpris, c’est que lorsque j’étudie l’Univers, depuis les temps les plus reculés jusqu’à aujourd’hui, ce que je vois semble être en totale contradiction avec ce que nous apprenons en physique — à savoir que le deuxième principe de la thermodynamique conduit à une augmentation de l’entropie, ou du désordre. Certains disent que c’est la conséquence logique du fait que l’évolution naturelle de l’Univers est d’aller vers de plus en plus de désordre. En réalité, ce que nous observons, c’est que l’entropie augmente non pas par le désordre, mais par la production de lumière. Il est beaucoup plus efficace pour la matière de s’organiser en formant des structures complexes, qui vont à leur tour produire de l’entropie sous forme de lumière, que d’être désordonnée. Mon livre « La plus belle ruse de la lumière » raconte comment l’histoire de notre Univers est basée sur la structuration de la matière en de telles structures de plus en plus complexes.