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Comment les satellites « low-cost » transforment le spatial

Nanosatellites : un simple outil pédagogique bon marché ?

Antoine Tavant, directeur technique du centre spatial de l'École polytechnique (IP Paris)
Le 27 avril 2021 |
5 min. de lecture
Antoine Tavant
Antoine Tavant
directeur technique du centre spatial de l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Un nanosatellite peut peser jusqu’à 6 000 fois moins qu’un satellite de télécommunications « standard ». Mais que peut-on faire dans l’espace avec un objet aussi léger ?
  • L’intérêt des nanosatellites se trouve en grande partie dans leur utilisation en constellations. C’est notamment pour cette raison que le nombre de lancements a été multiplié par plus de 10 depuis 2013.
  • Leur côté « plug and play » est également l’un de leurs atouts majeurs, au même titre que leur faible coût.
  • Tout cela fait des nanosatellites un outil pédagogique de choix pour des projets universitaires comme celui du Centre spatial de l’École polytechnique.

L’espace, jusqu’alors un ter­rain réservé à quelques agences gou­verne­men­tales, est aujourd’hui acces­si­ble au plus grand nom­bre. Les satel­lites ont eux aus­si prof­ité de la minia­tur­i­sa­tion de l’électronique, jusqu’à attein­dre l’échelle des « nanosatel­lites ». Même si cette caté­gorie n’a pas de con­tours pré­cis, elle désigne générale­ment les satel­lites de petite taille : entre 1 et 25 kg, quand les « mini-satel­lites » pèsent eux entre 100 et 500 kg, et un satel­lite de télé­com­mu­ni­ca­tions « stan­dard » près de 6 000 kg.

Leur petite taille, leur faible coût et l’émergence d’un écosys­tème de four­nisseurs per­me­t­tent de faciliter l’accès à l’espace pour les étu­di­ants, les sci­en­tifiques, ou les entre­pris­es. Cela explique leur essor : en quinze années (de 1998 à 2012), seuls 136 ont été lancés ; au cours des sept dernières années, ce chiffre a été mul­ti­plié par 10 (1338). Et les esti­ma­tions don­nent à ce marché un bel avenir : 630 devraient en moyenne être lancés chaque année dans un avenir proche1

Nanosatel­lites : les origines

Ini­tié comme exer­ci­ce de design à l’Université de Stan­ford en 1999, le for­mat Cube­Sat est l’un des précurseurs des nanosatel­lites. C’est le pre­mier stan­dard de plate­forme qui per­met la réu­til­i­sa­tion de sys­tèmes entre dif­férentes mis­sions. Il per­met ain­si à de nom­breuses sociétés de pro­pos­er des élé­ments « sur étagère », sur le mod­èle du plug and play, per­me­t­tant le développe­ment rapi­de de nou­velles opéra­tions. Face à la pro­liféra­tion de ces satel­lites, les ser­vices de lance­ment en ride share (per­me­t­tant aux entre­pris­es de partager les lanceurs) se démoc­ra­tisent, ain­si que les pro­jets de lanceurs : plus de 140 pro­jets de micro-lanceurs sont aujourd’hui en développe­ment pour répon­dre à cette demande crois­sante ; huit sont même déjà en opéra­tion2.

Sci­en­tifiques et ingénieurs ont très vite investi ces nou­velles plate­formes à prix réduit pour dévelop­per des mis­sions de démon­stra­tion tech­nologique, comme la série GomX (ESA et Gom­Space), ain­si que des mis­sions sci­en­tifiques comme AMI­Cal Sat, UVSQSat et Eye­sat pour ne par­ler que des Cube­Sats français lancés il y a moins de deux ans. 

Leur petite taille n’interdit pas les mis­sions com­mer­ciales, et cela n’a pas échap­pé aux entre­pris­es français­es qui ont envoyé en orbite des satel­lites comme ANGELS pour la local­i­sa­tion de balis­es (Heme­ria, 2019), ou les satel­lites BRO pour l’écoute élec­tro­mag­né­tique (Unseen­Labs, 2019 et 2020). 

Satel­lite Ion­Sat © Cen­tre spa­tial, École polytechnique

Un out­il péd­a­gogique puissant

Leur coût réduit fait égale­ment des nanosatel­lites un out­il péd­a­gogique de pre­mier choix, per­me­t­tant de répon­dre à un véri­ta­ble besoin de l’enseignement supérieur : l’expérience con­crète par pro­jets étu­di­ants. En effet, et jusqu’ici, un ou une ingénieur(e) pou­vait quit­ter son école doté(e) d’un for­mi­da­ble bagage théorique, mais sans jamais être passé(e) à la pra­tique. Ce prob­lème est encore plus impor­tant dans le domaine spa­tial, puisque les ingénieurs, une fois en poste, peu­vent pass­er des années à con­cevoir un sys­tème spa­tial sans jamais le voir réellement. 

Par­ticiper à un pro­jet spa­tial pen­dant sa sco­lar­ité con­stitue ain­si une riche expéri­ence pour les étu­di­ants, et ce d’autant plus que les domaines sur lesquels ils tra­vail­lent sont var­iés. Ils vont du design mécanique à l’informatique embar­qué, en pas­sant par l’analyse ther­mique et la mécanique céleste, sans oubli­er la ges­tion de pro­jet et le tra­vail en équipe. L’expérience est d’autant plus enrichissante qu’un nanosatel­lite reste un sys­tème com­plète­ment autonome, évolu­ant dans un envi­ron­nement dif­fi­cile, voire hos­tile, et qui est non-répara­ble : il n’y a pas de sec­onde chance. 

C’est pour ces raisons que l’École poly­tech­nique a choisi d’encadrer des pro­jets étu­di­ants de Cube­Sats dès 2011, avec la mis­sion X‑CubeSat (mem­bre de la mis­sion QB-50, lancé en avril 2017, fin de mis­sion en févri­er 2019), à laque­lle plus de 80 étu­di­ants de 7 pro­mo­tions dif­férentes ont con­tribué. Après ce suc­cès opéra­tionnel et académique, un sec­ond pro­jet, inti­t­ulé Ion­Sat3, a été ini­tié par le Cen­tre spa­tial de l’École poly­tech­nique en 2017, en parte­nar­i­at avec la start­up ThrustMe. La mis­sion prin­ci­pale d’IonSat est le main­tien à poste en orbite très basse grâce à un propulseur élec­trique. Plus de 50 étu­di­ants ont déjà con­tribué au design prélim­i­naire de ce Cube­Sat de 6 unités (soit un vol­ume de 30x20x10 cm), mais ces pro­jets intéressent égale­ment les grands acteurs. Ain­si, Ion­Sat est réal­isé en parte­nar­i­at avec Thales Ale­nia Space, mécène avec Ari­ane­Group du pro­gramme d’enseignement « Espace : sci­ence et défis du spa­tial » de l’École polytechnique.

Le nou­veau par­a­digme des constellations 

Les per­for­mances lim­itées de ces nanosatel­lites sont com­pen­sées par leur util­i­sa­tion en « con­stel­la­tions » (c’est-à-dire en réseaux ou en essaim) afin de pro­pos­er des ser­vices que les mis­sions usuelles ne peu­vent pas attein­dre. L’entreprise améri­caine Plan­et a ain­si lancé entre 2013 et 2020 plus de 100 Cube­Sats de 3 unités (30x10x10 cm) afin d’observer toute la sur­face du globe au moins une fois par jour. En 2020, 90 pro­jets de con­stel­la­tions étaient alors réper­toriés4.

Mais toutes les faib­less­es des nanosatel­lites ne peu­vent pas être résolues par leur lance­ment en grand nom­bre. Par exem­ple, il y a des enjeux d’équilibre entre la part du satel­lite con­sacrée à la mis­sion (la « charge out­il ») et les autres fonc­tion­nal­ités, néces­saires à son main­tien en orbite, par exem­ple. En obser­va­tion, la réso­lu­tion est pro­por­tion­nelle à taille du cap­teur, et les nanosatel­lites sont donc lim­ités à cet égard. Il y a égale­ment d’autres lim­ites inhérentes au for­mat nanosatel­lite, notam­ment en ce qui con­cerne les com­mu­ni­ca­tions, qui sont restreintes par la faible agilité et la puis­sance élec­trique de la plateforme. 

Pour faire face à ces défis, cer­taines sociétés, comme l’entreprise toulou­saine Kineis, pro­duisent des satel­lites légère­ment plus grands, mais restant assez petits pour faire par­tie de la caté­gorie des nanosatel­lites. Mais d’autres, avec un plus grand marché, préfèrent aug­menter les per­for­mances de leurs satel­lites en ne se lim­i­tant pas au for­mat nano, tout en choi­sis­sant tout de même de béné­fici­er des avan­tages de la con­stel­la­tion. C’est pourquoi les pro­jets de méga-con­stel­la­tions les plus ambitieux, comme OneWeb et Star­link, mis­ent sur des « Small­Sats » (de respec­tive­ment 150kg et 230 kg). Avec un grand nom­bre de satel­lites peu onéreux mais per­for­mants, ils prof­i­tent du meilleur des deux mondes.

Un grand poten­tiel latent

Mais les nanosatel­lites n’ont pas dit leur dernier mot, et ne res­teront pas can­ton­nés aux seuls pro­jets bon marché et péd­a­gogiques. En effet, le retour d’expérience de mis­sions pio­nnières a prou­vé leur intérêt dans le cadre de mis­sions sci­en­tifiques5. En plus de l’observation de la Terre, déjà men­tion­née, ces Cube­Sats peu­vent égale­ment servir à la recherche en météorolo­gie solaire, grâce à des spec­tromètres de masse (SENSE en 2013) ou des détecteurs à rayons X (MinXSS en 2016) ; à l’astrophysique avec le téle­scope minia­ture ASTERIA (2017) ou la mis­sion HaloSat (2018) ; à l’exploration spa­tiale, avec les Cube­Sats Mar­CO (Mars Cube One) qui ont accom­pa­g­né la sonde InSight jusqu’à Mars en 2018, ain­si qu’avec Lunar Flash­light qui accom­pa­g­n­era la mis­sion Artemis I sur la Lune en 2021. L’utilisation des nanosatel­lites n’est donc lim­itée que par notre imagination !

1https://​www​.nanosats​.eu/
2Joseph N. Pel­ton, Scott Madry – Hand­book of Small Satel­lites-Springer Inter­na­tion­al Publishing_Springer (2020)
3https://​cen​tres​pa​tial​-poly​tech​nique​.fr/​i​o​nsat/
4G. Curzi et al. Large Con­stel­la­tions of Small Satel­lites: A Sur­vey of Near Future Chal­lenges and Mis­sions. Aero­space. 2020; 7(9):133. https://​doi​.org/​1​0​.​3​3​9​0​/​a​e​r​o​s​p​a​c​e​7​0​90133
5A. Poghosyan, A. Golkar, Cube­Sat evo­lu­tion: Ana­lyz­ing Cube­Sat capa­bil­i­ties for con­duct­ing sci­ence mis­sions, Progress in Aero­space Sci­ences, 2017, https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​p​a​e​r​o​s​c​i​.​2​0​1​6​.​1​1.002.

Auteurs

Antoine Tavant

Antoine Tavant

directeur technique du centre spatial de l'École polytechnique (IP Paris)

Antoine Tavant coordonne les activités du Centre Spatial de l'École polytechnique (CSEP), qui propose et mène des projets étudiants de l'École polytechnique en lien avec le spatial. Parmi ces projets, on peut compter en 2021 deux projets de nanosatellites et trois projets de fusée expérimentales. Ces projets ont pour ambition de faire travailler les étudiants sur des projets concrets et innovants, en phase avec le secteur actuel du spatial. Antoine est un ancien étudiant de l'École polytechnique et d'ISAE SUPAERO, ayant commencé la recherche à l’Université de Californie à Berkley, avant de faire une thèse sur la propulsion électrique pour satellite avec Safran au Laboratoire de Physique des plasmas.

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