L’espace, jusqu’alors un terrain réservé à quelques agences gouvernementales, est aujourd’hui accessible au plus grand nombre. Les satellites ont eux aussi profité de la miniaturisation de l’électronique, jusqu’à atteindre l’échelle des « nanosatellites ». Même si cette catégorie n’a pas de contours précis, elle désigne généralement les satellites de petite taille : entre 1 et 25 kg, quand les « mini-satellites » pèsent eux entre 100 et 500 kg, et un satellite de télécommunications « standard » près de 6 000 kg.
Leur petite taille, leur faible coût et l’émergence d’un écosystème de fournisseurs permettent de faciliter l’accès à l’espace pour les étudiants, les scientifiques, ou les entreprises. Cela explique leur essor : en quinze années (de 1998 à 2012), seuls 136 ont été lancés ; au cours des sept dernières années, ce chiffre a été multiplié par 10 (1338). Et les estimations donnent à ce marché un bel avenir : 630 devraient en moyenne être lancés chaque année dans un avenir proche1.
Nanosatellites : les origines
Initié comme exercice de design à l’Université de Stanford en 1999, le format CubeSat est l’un des précurseurs des nanosatellites. C’est le premier standard de plateforme qui permet la réutilisation de systèmes entre différentes missions. Il permet ainsi à de nombreuses sociétés de proposer des éléments « sur étagère », sur le modèle du plug and play, permettant le développement rapide de nouvelles opérations. Face à la prolifération de ces satellites, les services de lancement en ride share (permettant aux entreprises de partager les lanceurs) se démocratisent, ainsi que les projets de lanceurs : plus de 140 projets de micro-lanceurs sont aujourd’hui en développement pour répondre à cette demande croissante ; huit sont même déjà en opération2.
Scientifiques et ingénieurs ont très vite investi ces nouvelles plateformes à prix réduit pour développer des missions de démonstration technologique, comme la série GomX (ESA et GomSpace), ainsi que des missions scientifiques comme AMICal Sat, UVSQSat et Eyesat pour ne parler que des CubeSats français lancés il y a moins de deux ans.
Leur petite taille n’interdit pas les missions commerciales, et cela n’a pas échappé aux entreprises françaises qui ont envoyé en orbite des satellites comme ANGELS pour la localisation de balises (Hemeria, 2019), ou les satellites BRO pour l’écoute électromagnétique (UnseenLabs, 2019 et 2020).
Un outil pédagogique puissant
Leur coût réduit fait également des nanosatellites un outil pédagogique de premier choix, permettant de répondre à un véritable besoin de l’enseignement supérieur : l’expérience concrète par projets étudiants. En effet, et jusqu’ici, un ou une ingénieur(e) pouvait quitter son école doté(e) d’un formidable bagage théorique, mais sans jamais être passé(e) à la pratique. Ce problème est encore plus important dans le domaine spatial, puisque les ingénieurs, une fois en poste, peuvent passer des années à concevoir un système spatial sans jamais le voir réellement.
Participer à un projet spatial pendant sa scolarité constitue ainsi une riche expérience pour les étudiants, et ce d’autant plus que les domaines sur lesquels ils travaillent sont variés. Ils vont du design mécanique à l’informatique embarqué, en passant par l’analyse thermique et la mécanique céleste, sans oublier la gestion de projet et le travail en équipe. L’expérience est d’autant plus enrichissante qu’un nanosatellite reste un système complètement autonome, évoluant dans un environnement difficile, voire hostile, et qui est non-réparable : il n’y a pas de seconde chance.
C’est pour ces raisons que l’École polytechnique a choisi d’encadrer des projets étudiants de CubeSats dès 2011, avec la mission X‑CubeSat (membre de la mission QB-50, lancé en avril 2017, fin de mission en février 2019), à laquelle plus de 80 étudiants de 7 promotions différentes ont contribué. Après ce succès opérationnel et académique, un second projet, intitulé IonSat3, a été initié par le Centre spatial de l’École polytechnique en 2017, en partenariat avec la startup ThrustMe. La mission principale d’IonSat est le maintien à poste en orbite très basse grâce à un propulseur électrique. Plus de 50 étudiants ont déjà contribué au design préliminaire de ce CubeSat de 6 unités (soit un volume de 30x20x10 cm), mais ces projets intéressent également les grands acteurs. Ainsi, IonSat est réalisé en partenariat avec Thales Alenia Space, mécène avec ArianeGroup du programme d’enseignement « Espace : science et défis du spatial » de l’École polytechnique.
Le nouveau paradigme des constellations
Les performances limitées de ces nanosatellites sont compensées par leur utilisation en « constellations » (c’est-à-dire en réseaux ou en essaim) afin de proposer des services que les missions usuelles ne peuvent pas atteindre. L’entreprise américaine Planet a ainsi lancé entre 2013 et 2020 plus de 100 CubeSats de 3 unités (30x10x10 cm) afin d’observer toute la surface du globe au moins une fois par jour. En 2020, 90 projets de constellations étaient alors répertoriés4.
Mais toutes les faiblesses des nanosatellites ne peuvent pas être résolues par leur lancement en grand nombre. Par exemple, il y a des enjeux d’équilibre entre la part du satellite consacrée à la mission (la « charge outil ») et les autres fonctionnalités, nécessaires à son maintien en orbite, par exemple. En observation, la résolution est proportionnelle à taille du capteur, et les nanosatellites sont donc limités à cet égard. Il y a également d’autres limites inhérentes au format nanosatellite, notamment en ce qui concerne les communications, qui sont restreintes par la faible agilité et la puissance électrique de la plateforme.
Pour faire face à ces défis, certaines sociétés, comme l’entreprise toulousaine Kineis, produisent des satellites légèrement plus grands, mais restant assez petits pour faire partie de la catégorie des nanosatellites. Mais d’autres, avec un plus grand marché, préfèrent augmenter les performances de leurs satellites en ne se limitant pas au format nano, tout en choisissant tout de même de bénéficier des avantages de la constellation. C’est pourquoi les projets de méga-constellations les plus ambitieux, comme OneWeb et Starlink, misent sur des « SmallSats » (de respectivement 150kg et 230 kg). Avec un grand nombre de satellites peu onéreux mais performants, ils profitent du meilleur des deux mondes.
Un grand potentiel latent
Mais les nanosatellites n’ont pas dit leur dernier mot, et ne resteront pas cantonnés aux seuls projets bon marché et pédagogiques. En effet, le retour d’expérience de missions pionnières a prouvé leur intérêt dans le cadre de missions scientifiques5. En plus de l’observation de la Terre, déjà mentionnée, ces CubeSats peuvent également servir à la recherche en météorologie solaire, grâce à des spectromètres de masse (SENSE en 2013) ou des détecteurs à rayons X (MinXSS en 2016) ; à l’astrophysique avec le télescope miniature ASTERIA (2017) ou la mission HaloSat (2018) ; à l’exploration spatiale, avec les CubeSats MarCO (Mars Cube One) qui ont accompagné la sonde InSight jusqu’à Mars en 2018, ainsi qu’avec Lunar Flashlight qui accompagnera la mission Artemis I sur la Lune en 2021. L’utilisation des nanosatellites n’est donc limitée que par notre imagination !