Vous présidez le programme européen European Union Space Surveillance and Tracking. De quoi s’agit-il ?
Pascal Faucher. EU SST, pour European Union Space Surveillance and Tracking, est un programme civil géré par un consortium de sept États membres (la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne, le Portugal et la Roumanie). Il est assez singulier que la Commission demande à des pays de s’organiser entre eux pour gérer et proposer une sorte de « service public » à tous les usagers européens. Avec le nouveau cadre financier pluriannuel de l’Europe et le nouveau règlement de l’Espace, lancé en mai 2021, le programme va lui aussi être renouvelé. Nous sommes en discussion avec 19 États membres pour établir de nouveaux partenariats.
SST est né pour faire face aux risques croissants de collision entre les objets spatiaux. Ces risques menacent de plus en plus les économies et les citoyens européens. En effet, nous dépendons toujours plus d’applications de navigation, de communication et d’observation relayées par des satellites, et qui pourraient être sérieusement endommagées par une collision. Une seule de ces collisions peut générer des milliers de nouveaux débris. Le rôle du consortium est de fournir des services à valeur ajoutée pour assurer la sécurité des opérations, et ainsi contribuer à la viabilité à long terme des activités spatiales. En d’autres termes, nous protégeons nos infrastructures en orbite contre les risques accidentels.
Quelles sont vos missions, et de quels moyens disposez-vous pour les mener à bien ?
Nous fournissons plusieurs services : l’évaluation des risques de collision et le suivi des rentrées d’objets spatiaux à risque dans l’atmosphère terrestre, ainsi que la détection et la caractérisation des fragmentations en orbite. Pour cela, nous disposons d’un réseau d’une cinquantaine de capteurs au sol, radars et télescopes essentiellement d’origine militaire, scientifique ou commercial, et permettant de suivre les objets spatiaux, mais aussi de moyens de traitement des données. Le centre d’orbitographie opérationnelle (COO) du CNES à Toulouse recueille les données et surveille en permanence les orbites des satellites européens.
Depuis environ deux ans, les États membres consolident une base de données commune, dont le but est de partager quotidiennement des milliers de mesures sur les objets spatiaux. La fusion de ces données nous permet d’aboutir à un premier catalogue européen d’orbites des objets spatiaux. Jusqu’à présent, l’Europe a utilisé beaucoup de données militaires fournies par la défense américaine, qui fait référence en la matière. Il faut dire que les États-Unis ont énormément investi, et depuis longtemps, et que la moitié des satellites en activité – civils, militaires ou commerciaux – sont américains. L’un des objectifs de SST est d’élever le niveau capacitaire et de construire une autonomie stratégique de l’Europe dans ce domaine afin d’assurer la résilience et la protection des infrastructures européennes, en premier lieu les flagships Galileo et Copernicus, mais aussi de pouvoir fournir des services fiables à ses partenaires.
Et cela prend forme. Par exemple, fin février 2021, un risque de collision a été détecté entre un satellite Galileo, en orbite à 20 000 km, et un étage de lanceur, donc un débris. Treize capteurs du réseau de SST ont été activés et ont confirmé une probabilité de collision très forte. L’opérateur a décidé le 6 mars de manœuvrer le satellite pour le protéger.
Comment, et par qui la décision est-elle prise dans ces cas-là ?
SST propose un service d’information : nous montrons aux opérateurs quel est le risque, et où il se situe. Nous calculons et leur fournissons le « time of closest approach » – le moment où les deux objets seront le plus proche l’un de l’autre –, la « miss distance » et la « radial separation » – des informations sur la distance entre les deux objets –, ainsi que la « scaled probability of collision » – la probabilité de collision. Ainsi informés, ce sont eux qui prennent la décision de lancer une manœuvre d’évitement… ou non, si le seuil de risque fixé par l’opérateur n’est pas largement dépassé. Un satellite coûte cher, parfois des centaines de millions d’euros, et tout opérateur responsable préfèrera manœuvrer en cas d’alerte de collision, plutôt que de prendre le risque de perdre un satellite.
De plus, il est souvent possible de synchroniser la manœuvre de protection du satellite avec la manœuvre de maintien à poste, qui est effectuée en moyenne une fois par mois. Il y a toujours beaucoup d’incertitudes. Nous fournissons des approximations pour localiser les objets, mais ceux-ci sont soumis à différents frottements qui font que les orbites ne sont jamais hyper précises. Cela dit, plus nous avons d’informations, plus nous pouvons être précis sur l’orbite d’un objet spatial. Aujourd’hui, nous disposons de 17 millions de mesures pour 9 500 objets orbitaux.
À quelle fréquence des risques sont-ils détectés ?
En 2020, sur une flotte de 148 satellites que nous surveillions alors – nous en surveillons 213 à présent – nous avons détecté 377 « high interest events », c’est-à-dire des événements hautement risqués, ce qui a donné lieu à 31 manœuvres d’évitement. Les risques, et de fait les manœuvres, sont rares en orbites haute ou moyenne. Ils sont beaucoup plus fréquents en orbite basse, où se situe la très grande majorité des objets spatiaux et des débris, à cause de deux événements majeurs qui ont créé des milliers de débris dans cette orbite déjà encombrée. Un risque de collision sur deux en orbite basse est lié à l’un de ces deux événements : l’explosion du satellite météorologique obsolète chinois – volontairement détruit en 2007 par la Chine à l’aide d’un missile antisatellite –, et la collision en 2009 entre le satellite soviétique désactivé Kosmos et le satellite de communication américain actif Iridium.
Notre mission est d’assurer la protection de tous les satellites actifs. Cependant, le risque concerne parfois des débris inertes, et nous sommes impuissants. Cela s’est produit récemment. Le 7 avril, nous avons détecté un risque en orbite basse, à 780 km d’altitude, entre des débris de deux satellites inertes, un russe et un américain. La probabilité de collision était très élevée. Finalement, le 9 avril, les deux objets se sont frôlés à quelques mètres. Mais ils auraient pu exploser et créer une multitude de nouveaux débris !