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Astrophysique : ces 3 découvertes récentes qui nous éclairent sur l’univers

Traverser un trou de ver : réalité ou science-fiction ?

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 3 novembre 2021 |
5 min. de lecture
Guillaume Bossard
Guillaume Bossard
professeur chargé de cours en physique à l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Les trous de ver sont des incontournables des films de science-fiction, permettant aux voyageurs de l'espace de se déplacer entre deux points extrêmement éloignés de l'univers.
  • Mais, en théorie, il est impossible de traverser un trou de ver sans invoquer des effets « exotiques » tels que le voyage dans le temps.
  • De plus, si un trou de ver relie deux trous noirs, qui absorbent tout ce qui se trouve près d’eux, comment s’échapper à la force de la gravité de l’autre côté ?
  • Néanmoins, deux physiciens, Maldacena et Qi, ont récemment elaboré un modèle très simplifié d’un trou de ver traversable qui permet également de résoudre le « paradoxe de l'information de Hawking ».

Les trous de ver sont des incon­tourn­ables des films de sci­ence-fic­tion. Dans l’idée, ils per­me­t­traient à des voyageurs de l’espace de se déplac­er plus vite que la lumière entre deux points extrême­ment éloignés l’un de l’autre dans l’u­nivers. L’étude de la théorie clas­sique de la rel­a­tiv­ité générale d’Einstein mon­tre cepen­dant que ces « tun­nels » ne sont pas tra­vers­a­bles par la matière, et les physi­ciens ne savent tou­jours pas si des effets quan­tiques pour­raient infirmer cette con­clu­sion. Tout cela est néan­moins en train de s’éclaircir grâce à des études récentes, qui offrent des élé­ments de com­préhen­sion sur la façon dont des trous de ver pour­raient exis­ter dans une théorie quan­tique de la grav­i­ta­tion. Et ceci en résolvant le « para­doxe de l’information » de Hawk­ing1.

Les trous noirs : portails de l’espace ? 

Les trous de ver sont générale­ment représen­tés comme un cylin­droïde reliant deux feuilles (ou plans) de l’u­nivers – un tun­nel entre deux trous noirs. Dans la descrip­tion dite clas­sique de la rel­a­tiv­ité générale (qui nég­lige les effets quan­tiques), il est impos­si­ble de tra­vers­er un trou de ver sans invo­quer des effets exo­tiques tels que le voy­age dans le temps.

De plus, si un trou de ver relie deux trous noirs et que les trous noirs absorbent tout ce qui se trou­ve près d’eux – même la lumière – ne serait-il pas pos­si­ble de pass­er à tra­vers tout en échap­pant à la force de la grav­ité de l’autre côté ? Pour expli­quer cela, cer­tains physi­ciens ont donc théorisé que des effets « quan­tiques forts » sont en jeu. C’est notam­ment le cas de Juan Mal­da­ce­na (Insti­tute of Advanced Study de Prince­ton) et Xiao-Liang Qi (Uni­ver­sité de Stan­ford)2, qui ont récem­ment pu con­firmer en par­tie cette hypothèse.

Ce duo de physi­ciens a mon­tré dans un mod­èle très sim­pli­fié que l’on peut con­stru­ire des états quan­tiques d’« énergie néga­tive » pro­duisant un trou de ver tra­vers­a­ble. L’én­ergie néga­tive (que l’on croit d’ailleurs respon­s­able de l’ex­pan­sion accélérée de l’u­nivers) est l’én­ergie qui s’oppose à la force de grav­ité et qui main­tiendrait ouverte la « bouche » d’un trou de ver. 

Les effets quantiques

Ce qui est le plus intéres­sant physique­ment dans l’hypothèse de Mal­da­ce­na et Qi n’est pas tant la pos­si­bil­ité de trous de ver tra­vers­a­bles. Ce serait plutôt son apport au « para­doxe de l’in­for­ma­tion » énon­cé par Stephen Hawk­ing – un domaine de recherche très act­if34 !

Un trou noir est for­mé lorsqu’une étoile très mas­sive meurt, et que son noy­au résidu­el a une masse trois fois supérieure à celle du Soleil. Les trous noirs de cette taille sont si dens­es qu’ils courbent l’e­space-temps qui les entoure à un tel point que rien ne peut s’en échap­per, pas même la lumière. Mais même si les trous noirs absorbent tout, Hawk­ing avait prédit en 1974 qu’ils pour­raient eux-mêmes émet­tre cer­taines par­tic­ules sous la forme d’un ray­on­nement (c’est le « ray­on­nement de Hawk­ing »)5. Ces par­tic­ules sont créées par des événe­ments dits « quan­tiques » se trou­vant en bor­dure du trou noir (l’horizon des évène­ments ou « le point de non-retour »).

Selon la théorie quan­tique, le vide de l’e­space n’est pas un véri­ta­ble vide, mais con­tient des « par­tic­ules virtuelles » : des paires com­posées d’une par­tic­ule sub­atomique et de son antipar­tic­ule (un élec­tron et un positron, par exem­ple). Ces par­tic­ules peu­vent appa­raître briève­ment dans une fluc­tu­a­tion quan­tique aléa­toire, avant de s’an­ni­hiler mutuellement. 

La sit­u­a­tion est toute autre à l’hori­zon des événe­ments où l’une des paires peut tomber dans le trou noir tan­dis que l’autre s’en échappe et devient une par­tic­ule réelle. Ce proces­sus puise de l’én­ergie (grav­i­ta­tion­nelle) du trou noir, ce qui dimin­ue sa masse effec­tive. Le trou noir s’évapore donc lente­ment, tan­dis que la radi­a­tion de Hawk­ing s’échappe de sa sur­face. Cette radi­a­tion est extrême­ment faible, et en théorie, un trou noir d’une masse solaire met­trait 1058 mil­liards d’an­nées à s’évaporer com­plète­ment – alors que l’u­nivers n’a même pas 14 mil­liards d’années. 

Les liens inextricables

Cette éva­po­ra­tion pose égale­ment un autre prob­lème théorique dif­fi­cile à résoudre et en lien avec l’« intri­ca­tion quan­tique » (un proces­sus par lequel des par­tic­ules devi­en­nent inex­tri­ca­ble­ment liées). Les par­tic­ules émis­es par le ray­on­nement de Hawk­ing sont intriquées avec l’état quan­tique décrivant le trou noir. Mais, si le trou noir finit par com­plète­ment s’évaporer – et donc par dis­paraître – cela met­trait fin à l’é­tat quan­tique per­me­t­tant aux par­tic­ules du ray­on­nement de Hawk­ing de s’intriquer. Donc, suiv­ant la théorie quan­tique, il devrait pou­voir se pro­duire une sit­u­a­tion dans laque­lle une par­tic­ule serait absorbée par le trou noir alors même que son antipar­tic­ule « s’évaporerait »…

Pour sur­mon­ter ce para­doxe appar­ent, les théoriciens pensent pour la plu­part que le ray­on­nement de Hawk­ing n’est max­i­male­ment intriqué avec le trou noir que pen­dant la pre­mière par­tie de son éva­po­ra­tion (à peu près sa « demi-vie »). Dans une sec­onde par­tie, le trou noir émet­trait un ray­on­nement intriqué avec le ray­on­nement émis aux pre­miers instants de sa vie. Ain­si, une fois qu’il s’est éva­poré, l’in­tri­ca­tion quan­tique ne serait qu’entre des par­tic­ules ray­on­nées à des moments dis­tincts dans le temps.

Les états semi-classiques 

Pour les physi­ciens, le défi est de fournir une expli­ca­tion quan­ti­ta­tive à ces idées en util­isant une théorie quan­tique de la grav­i­ta­tion. L’approche dite semi-clas­sique (appelée ain­si parce qu’elle décrit la matière dans et autour des trous noirs à l’aide de la théorie quan­tique, mais décrit la grav­ité à l’aide de la théorie clas­sique d’E­in­stein), con­sid­ère les effets quan­tiques comme faibles.

Per­son­ne n’a été en mesure de don­ner une descrip­tion sat­is­faisante de ce phénomène. Selon Mal­da­ce­na et Qi, l’explication se trou­ve dans l’idée que lorsqu’un trou noir est jeune, la descrip­tion clas­sique du ray­on­nement de Hawk­ing demeure. Mais, avec le temps, de nou­veaux états semi-clas­siques, impli­quant un trou de ver qui lie le trou noir au ray­on­nement qu’il a émis à ses débuts, devi­en­nent plus impor­tants. À mesure que le trou noir s’évapore, ces nou­veaux états finis­sent par inclure des trous de ver à l’ex­térieur du trou noir. Ces nou­veaux trous de ver décrivent l’intrication quan­tique entre les deux phas­es du rayonnement.

Finale­ment, ces trous de ver sont virtuels et il n’est pas ques­tion de les tra­vers­er, mais ils jouent un rôle impor­tant dans la descrip­tion du phénomène d’évaporation des trous noirs. Même si leurs mod­èles restent très sim­pli­fiés, les chercheurs peu­vent désor­mais décrire avec pré­ci­sion l’entropie d’in­tri­ca­tion – qui mesure le taux d’intrication entre le ray­on­nement et le trou noir – et de mon­tr­er qu’il suit une courbe dite de Page6, de telle sorte à résoudre le para­doxe de l’in­for­ma­tion de Hawking.

1https://​jour​nals​.aps​.org/​p​r​/​a​b​s​t​r​a​c​t​/​1​0​.​1​1​0​3​/​P​h​y​s​R​e​v​.​48.73
2https://​arx​iv​.org/​a​b​s​/​1​8​0​4​.​00491
3https://​arx​iv​.org/​a​b​s​/​1​9​1​1​.​12333
4https://​arx​iv​.org/​a​b​s​/​1​9​1​1​.​11977
5https://​www​.nature​.com/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​2​4​8​030a0
6https://​jour​nals​.aps​.org/​p​r​l​/​a​b​s​t​r​a​c​t​/​1​0​.​1​1​0​3​/​P​h​y​s​R​e​v​L​e​t​t​.​7​1​.3743

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