Prédit pour la première fois en 1964 par les théoriciens, dont Peter Higgs et François Englert (prix Nobel 2013), pour expliquer pourquoi certaines particules ont une masse, le boson de Higgs a été découvert en 2012 au « Large Hadron Collider » (LHC). Cet accélérateur de particules situé au CERN à la frontière franco-suisse a produit la fameuse particule lors de collisions entre protons de très haute énergie.
Lors de ces collisions, le LHC a atteint une énergie record de 7000 GeV, permettant aux chercheurs en physique des particules de reproduire en laboratoire les conditions physiques des premiers instants de notre Univers, soit une fraction de milliardième de seconde après le Big Bang. Ils ont ainsi pu atteindre pour la première fois le moment où les particules élémentaires qui constituent la matière ordinaire sont apparues dans l’Univers naissant.
Le champ de Higgs
Les physiciens savent depuis les années 1970 que deux des quatre forces fondamentales de la nature – la force faible et la force électromagnétique – sont étroitement liées. Ces deux forces peuvent être décrites dans le cadre d’une même théorie, qui constitue la base du Modèle Standard de la physique des particules. Cette ‘unification’ implique que l’électricité, le magnétisme, la lumière et la radioactivité sont tous des manifestations d’une seule force sous-jacente, connue sous le nom de force électrofaible.
Si les équations de base de la théorie unifiée décrivent correctement la force électrofaible et les particules qui la véhiculent, à savoir le photon et les ‘bosons vecteurs’, W et Z, il y a un hic majeur : toutes ces particules ressortent sans masse dans les calculs. Si le photon est en effet sans masse, les W et Z ont une masse presque 100 fois celle d’un proton. Pour résoudre ce problème, les physiciens théoriciens Robert Brout, François Englert et Peter Higgs ont proposé un mécanisme qui confère une masse aux particules W et Z lorsqu’elles interagissent avec un champ invisible, appelé ‘champ de Higgs’, qui imprègne tout l’Univers.
Brisure spontanée de la symétrie électrofaible
Juste après le Big Bang, le champ de Higgs était nul, mais lorsque l’Univers s’est refroidi et que sa température est tombée en dessous d’une certaine température critique, le champ de Higgs a augmenté spontanément de sorte que toute particule interagissant avec lui a acquis une masse. Plus une particule interagit avec ce champ, plus elle devient lourde. Les particules comme le photon qui n’interagissent pas avec lui demeure sans masse alors que le W et le Z ont une masse.
Cette augmentation soudaine du champ de Higgs a conduit à la rupture spontanée de la symétrie électrofaible, avec pour conséquence saisissante : l’interaction faible se retrouvait soudainement véhiculée par le W et le Z tandis qu’est apparu en même temps le photon de masse nulle, véhicule de l’interaction électromagnétique. Résultat : l’interaction faible, responsable de la radioactivité, n’agit qu’à très courte distance, alors que l’interaction électromagnétique a une portée infinie. Avec l’apparition de la masse des particules élémentaires, comme l’électron ou les quarks, et celle de l’interaction électromagnétique, qui permet de définir la charge électrique telle que nous la connaissons, les ingrédients nécessaires à la formation des atomes de la matière ordinaire apparaissent enfin dans l’Univers.
La découverte du siècle
Comme tous les champs fondamentaux, le champ de Higgs est associé à une particule – dans ce cas, le boson de Higgs. Ce boson est la manifestation visible du champ de Higgs, un peu comme une vague à la surface de la mer.
Pendant de nombreuses années, il existait un problème majeur cependant : aucune expérience n’avait jamais observé le boson de Higgs pour confirmer cette théorie. Le 4 juillet 2012, les grandes expériences CMS et ATLAS à CERN, ont toutes deux annoncé la découverte d’une nouvelle particule dans la région de masse autour de 125 GeV.
Le Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR), avec le soutien du CNRS et de l’École Polytechnique, a été parmi les principaux protagonistes de cette ‘découverte du siècle’ au sein de la collaboration internationale CMS. Il a depuis contribué à déterminer avec précision les propriétés intrinsèques du boson H et ses couplages aux autres particules élémentaires. Il a également pu confirmer qu’il s’agit bien d’un boson ‘scalaire’, unique en son genre, car sans ‘spin’ : ce n’est ni une particule de matière, tel l’électron (spin = ½), ni le véhicule d’une interaction tel le photon (spin = 1). Les chercheurs du LLR ont également pu démontrer que le boson H se couple aux autres particules de la matière avec une intensité proportionnelle à leur masse.
Un programme intense d’améliorations
Les résultats actuels des expériences ATLAS et CMS indiquent que le boson H semble bel et bien posséder toutes les caractéristiques de la particule élémentaire prédite par le mécanisme de brisure spontanée de symétrie à l’origine de la masse des particules dans l’Univers. Pour mieux comprendre ces résultats, nous devons mesurer la manière dont le boson H se couple avec lui-même. Dans la pratique, cela signifie pouvoir accéder à la production de paires de bosons H, ce qui ne sera possible qu’en poussant au maximum les performances du grand collisionneur proton-proton du CERN. Pour y parvenir, un intense programme d’amélioration du collisionneur et des grands détecteurs de particules est en cours en vue d’une nouvelle phase d’exploitation du LHC à très haute luminosité, appelée HL-LHC, à partir de 2027.
La luminosité d’un collisionneur est une quantité proportionnelle au nombre de collisions survenant dans un intervalle de temps. La luminosité intégrée pendant la phase HL-LHC devrait permettre aux expériences ATLAS et CMS d’augmenter d’un facteur 10 au moins le nombre de collisions enregistrées. Ce gain de sensibilité devrait donner non seulement accès à la production de paires de bosons H, mais aussi permettre d’étendre les recherches. Nous pourrions ainsi observer, qui sait, la production directe de matière noire (qui constituerait 27% de la matière de l’Univers et qui demeure une énigme pour les physiciens) ou les bosons scalaires additionnels prédits par diverses théories allant au-delà du Modèle Standard.
Un calorimètre innovant pour repousser les limites
Le laboratoire Leprince-Ringuet est impliqué dans le développement de la mécanique et de l’électronique de déclenchement d’un nouveau type de calorimètre pour l’expérience CMS à HL-LHC. Il s’agit de construire deux détecteurs identiques devant remplacer les embouts actuels (voir photo ci-dessous) fermant les extrémités avant et arrière du cylindre formé par l’expérience, et qui devront survivre à un environnement extrêmement hostile, avec des doses intégrées de radiation atteignant 2 méga Gy et une fluence de 1016 neutrons par cm2. Les détecteurs devront par ailleurs pouvoir affronter une fréquence de croisement des faisceaux de protons de 40 MHz, tout en faisant le tri parmi les centaines de collisions qui se produiront à chaque croisement.
La solution adoptée est nécessairement particulièrement complexe. Il s’agit d’un calorimètre haute granularité appelé HGCAL, avec des plans de lecture formés de tuiles de silicium sur bases de tungstène et des plans d’absorbeurs en plomb. La granularité de ce nouveau calorimètre est sans précédent en physique des hautes énergies, avec plus de 6 millions de canaux de lecture par embout pour des cellules de silicium de 0,5 et 1,0 cm2, le tout alimentant en signaux analogiques des puces électroniques à la pointe de la technologie développées sur le site de l’IPP par le laboratoire OMEGA. Le HGCAL fournira une reconstruction complète de l’énergie, de l’impulsion et du temps de vol des différentes particules produites au point de collision. Il sera un élément déterminant pour la reconstruction du flux des particules créées par chacune des collisions, avec un impact majeur sur toutes les analyses de physique à HL-LHC.