L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), visant une réduction de – 40 % des émissions d’ici 2030, et la neutralité carbone d’ici 2050. L’hydrogène est un pilier majeur de cette stratégie, et sa part dans le mix énergétique européen devrait passer de moins de 2 % (y compris lorsqu’il est utilisé comme matière première) en 2018 à environ 14 % en 20501. Par conséquent, et dès 2030, la demande européenne d’hydrogène devrait augmenter considérablement (+ 340 TWh entre 2015 et 2030), l’industrie (+ 164 TWh) et la mobilité (+ 70 TWh) étant les principaux contributeurs à cette croissance. La compétitivité économique et l’empreinte carbone de l’approvisionnement en hydrogène sont des enjeux clés pour la filière hydrogène.
L’économie de l’hydrogène
L’électrolyse de l’hydrogène est à ce jour le seul moyen crédible pour produire de l’hydrogène durable et décarboné ; et même si cette méthode est actuellement plus coûteuse, elle pourra sûrement se ménager une place sur le marché de l’hydrogène. Pour cela, il lui faudra trouver des zones de compétitivité-coût, notamment grâce à des modèles « semi-centralisés », comme des hubs de mobilité de moyenne à grande échelle, capables de produire 10 à 50 MW.
Les coûts de l’hydrogène vert devraient ainsi devenir attrayants d’ici à 2030, en atteignant le seuil de 2 à 3 dollars par kilogramme s’ils sont associés aux énergies renouvelables ayant le meilleur rendement et la meilleure capacité, comme l’énergie solaire photovoltaïque du bassin méditerranéen ou l’énergie éolienne offshore des côtes de la mer du Nord.
Pour les applications industrielles, les coûts de l’hydrogène dit « bleu » devraient correspondre à ceux des procédés « gris », qui sont actuellement les plus bas2. Comme ces méthodes de production sont toujours émettrices de carbone, elles doivent être combinées à un captage élevé du CO2 – jusqu’à 90 % lorsque le captage et le stockage du carbone auront atteint leur maturité technique. Partout où sa mise en œuvre est possible – comme en mer du Nord, où TotalEnergies, Shell et Equinor déploient d’importants investissements –, l’hydrogène bleu pourra défier les coûts et les émissions de l’hydrogène vert (sans CO2). Dans d’autres régions, les grands projets d’hydrogène vert, comme Masshylia (50MW) ou Port-Jérôme (200MW), semblent être les meilleures options.
La production distribuée d’hydrogène, techniquement pertinente pour les applications de mobilité légère, est néanmoins structurellement entravée par une échelle limitée et des coûts d’alimentation du réseau élevés. Elle nécessite par conséquent des subventions publiques.
Véhicules à hydrogène
L’Union européenne a établi une feuille de route pour l’hydrogène prévoyant le déploiement de 45 000 camions et bus à pile à combustible (FCEB) sur les routes européennes d’ici à 2030, faisant ainsi de l’hydrogène un pilier de la décarbonation des transports publics. Le transport routier lourd (camions longue distance ou autobus urbains) semble de fait être l’un des candidats les plus prometteurs pour exploiter les hubs de mobilité à moyen terme.
D’un point de vue technique, les véhicules lourds à pile à combustible (PC) constituent une solution intéressante, car ils utilisent un ensemble de technologies matures (piles à combustible, réservoirs de stockage, etc.), qui ont été largement validées dans le cadre de programmes d’essais tels que Jive 1 / Jive 2 pour les autobus en Europe. À l’inverse, la plupart des alternatives aux moteurs à combustion interne (MCI) – telles que les batteries –, sont encore confrontées à des défis techniques, notamment leur autonomie limitée, leurs longs temps de charge et leur charge utile limitée par le poids, par exemple.
Sur le plan économique, le coût d’achat d’un véhicule électrique à combustion interne devrait également diminuer au cours de la prochaine décennie, jusqu’à atteindre 120 000 € pour un camion et 325 000 € pour un bus d’ici à 2030, contre respectivement 300 000 € et 650 000 € aujourd’hui. Si l’on ajoute à cela le prix compétitif de l’hydrogène, le coût total de possession des véhicules électriques à pile à combustible sera équivalent à celui des véhicules traditionnels.
Même avec de l’hydrogène gris ou bleu – qui émet toujours du CO2 –, les véhicules FCEV permettent globalement de réduire les émissions carbone par rapport aux modèles actuels d’environ 10 à 15 % avec de l’hydrogène gris, et jusqu’à 80 % avec de l’hydrogène bleu. Et ce en restant au même niveau que les meilleurs camions EURO 6 en termes d’émission de NOx.
Cependant, rien de toute cela n’est gratuit. Outre la mise au point d’électrolyseurs (ou de systèmes de captage et de stockage du carbone, le cas échéant), le déploiement de la mobilité par l’hydrogène lourd nécessite une activation rapide – mais réaliste – de la chaîne de valeur. Il s’agit notamment de normaliser l’infrastructure de distribution, qui représente aujourd’hui une part importante des coûts de livraison de l’hydrogène. Cela constitue un défi majeur pour gagner rapidement en envergure et déployer à grande échelle des stations de ravitaillement dans des lieux stratégiques, tels que les plateformes logistiques le long des grands axes de fret paneuropéens (« RTE‑T »).
Les coûts de déploiement devraient également être considérables. Par exemple, pour remplacer 10 % du transport de marchandises de longue distance dans six pays clés de l’UE (France, Allemagne, Italie, Benelux), soit environ 20 000 camions, il faudrait investir entre 2 et 3 milliards d’euros dans des infrastructures de ravitaillement. Ces fonds permettraient de créer 600 stations de ravitaillement, et autant pour la liquéfaction de l’hydrogène et les équipements de transport dans le cas de la production d’hydrogène à distance. Toutefois, ces investissements sont d’une ampleur raisonnable par rapport à l’annonce faite par les pouvoirs publics en faveur de l’hydrogène, et des initiatives audacieuses sont également attendues de la part des acteurs privés (producteurs industriels de gaz, exploitants d’autoroutes, constructeurs de camions, logisticiens, acteurs de l’industrie pétrolière et gazière, services publics d’électricité et de gaz).
L’hydrogène dans l’espace
La mobilité terrestre ne sera cependant pas la seule application de l’hydrogène à connaître des transformations majeures au cours de la prochaine décennie. En effet, l’exploration de la Lune et de Mars connaissant un regain d’intérêt au niveau mondial, la NASA a attribué à SpaceX un contrat de 2,9 milliards de dollars pour la construction d’un atterrisseur lunaire d’ici 2024, et Elon Musk a récemment réitéré son ambition de faire atterrir un vaisseau spatial habité sur Mars avant 2030.
L’énorme différence entre l’énergie requise pour un lancement depuis la Terre et depuis la Lune pousse les acteurs industriels à envisager des points de ravitaillement (par exemple EML‑1, NRHO) dans l’espace cis-lunaire, avec une source d’énergie exploitée et traitée directement sur la Lune. La possibilité de produire économiquement des ergols (LH2, LOX) sur notre satellite pourrait favoriser les programmes d’exploration de l’espace lointain.
Par conséquent, de nouvelles frontières s’ouvrent pour l’électrolyse de l’hydrogène. Pour produire des propergols spatiaux sur la Lune, toute la chaîne de valeur doit être reproduite in situ : extraction du régolithe, séparation et traitement de l’eau, logistique et transport, opérations robotiques, systèmes de communication et centrales électriques. Les technologies nécessaires ont été développées, ou sont en cours de développement. Plusieurs acteurs s’intéressent actuellement à cette chaîne de valeur naissante de manière assez dispersée, quand une approche intégrée serait pourtant nécessaire, car les initiatives isolées ont peu de chances de fournir des résultats tangibles.À partir de 2030, si les objectifs actuels sont atteints, un marché des propergols d’environ 240 tonnes par an pourrait émerger à la future station Gateway (NHRO). Il serait même économiquement viable si le prix des lancements spatiaux depuis la Terre ne s’effondre pas de manière significative, et si les niveaux de CAPEX actuellement envisagés sont maintenus sous contrôle. En changeant d’échelle grâce au développement d’activités complémentaires telles que les rovers et l’assistance aux astronautes, la filière pourra davantage absorber les dépenses ponctuelles de R&D.