Cet article fait partie du deuxième numéro de notre magazine Le 3,14 dédié à l’hydrogène. Découvrez-le ici
L’hydrogène est à la mode. Certains États et entreprises placent en cet élément chimique beaucoup d’espoir pour lutter contre le réchauffement climatique et remplacer à terme les énergies fossiles. Pas une semaine, ou presque, sans une annonce enthousiaste concernant ce gaz comme vecteur d’énergie : un bus à hydrogène pour la compagnie Transdev, un véhicule utilitaire à hydrogène et pile à combustible dévoilé par Citroën ou bien encore un réseau d’hydrogène transfrontalier entre la France, l’Allemagne, et le Luxembourg.
Il faut dire qu’à première vue, il a tout pour plaire. Lorsqu’on le brûle ou qu’on le consomme à l’aide d’une pile à combustible, on récupère de l’énergie thermique ou électrique et de l’eau sans produire de polluants. Pourtant, sa production actuelle est très émettrice de carbone, et pour qu’il devienne une énergie verte, il faudra réaliser de gros investissements en R&D combinés à de fortes incitations réglementaires.
La production d’H2 émet du CO2
Si l’hydrogène est le constituant majoritaire de l’univers, sur Terre les atomes d’hydrogène n’existent presque pas à l’état de gaz de H2 pur dont il est question dans l’ensemble de ce dossier (ou dans les filières hydrogène). On ne peut donc pas s’en servir comme source, mais on peut néanmoins l’utiliser comme vecteur d’énergie, tel que l’électricité. Cela signifie qu’il doit être produit à partir d’autres énergies potentiellement émettrices de CO2.
Aujourd’hui, l’hydrogène issu du reformage du méthane, une méthode de production émettrice de CO2, coûte environ 1 € par kilo, contre 4 à 6 € par kilo lorsqu’il est produit par électrolyse. Loi du marché oblige, 95 % de l’hydrogène est donc produit par reformage (voir l’encadré « Un peu de chimie pour comprendre l’hydrogène »). Les 5 % restants, produits par électrolyse, pourraient être verts à condition que l’électricité utilisée soit elle-même décarbonée (renouvelable ou nucléaire), ce qui n’est pas toujours le cas (notamment avec les centrales à charbon). 70 millions de tonnes d’hydrogène sont produites par an dans le monde, entraînant l’émission de 830 millions de tonnes de CO2, soit 2 % des émissions mondiales, un taux comparable à celui du secteur aérien.
Alors pourquoi cet engouement ? Parce qu’à terme, il semble être l’un des substituts possibles aux énergies fossiles. Des industries aujourd’hui très émettrices de CO2, comme la métallurgie ou la verrerie, pourraient en bénéficier. En principe, il pourrait aussi permettre une révolution dans le secteur des transports : les véhicules à hydrogène n’émettant pas de polluant au moment où le carburant est consommé, leur généralisation pourrait limiter la pollution des villes. Enfin, le mix énergétique du futur, pourrait compter sur l’hydrogène pour stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables intermittentes (éolien, solaire).
Stockage, sécurité, coût… des défis à surmonter
Difficile de faire des prospectives fiables tant le futur de l’hydrogène dépendra de nombreux facteurs : coût et disponibilité des énergies fossiles, réglementation des émissions de CO2, incitations financières aux énergies propres. Néanmoins, on peut retenir quatre débouchés principaux pour l’H2 : l’optimisation du réseau électrique lorsque celui-ci accueille beaucoup d’énergies intermittentes, l’auto-consommation locale pour les zones non connectées au réseau électrique, le développement de véhicules électriques à hydrogène, et enfin l’industrie.
Certes, ce gaz est utilisé depuis des décennies dans l’industrie (essentiellement pour la pétrochimie, les aciéries et la production d’engrais azotés). On sait le produire, le transporter dans des pipelines, et l’utiliser en toute sécurité (voir l’article sur le stockage), mais les problèmes posés par l’hydrogène-énergie sont nombreux et complexes. Comment le produire de manière économique et peu polluante ? Comment l’utiliser de manière sûre au quotidien, et plus seulement dans l’industrie ? Comment le stocker dans les voitures, les bus ou les avions, sachant qu’il doit être conservé sous haute pression ? Comment adapter les infrastructures si les tuyaux de gaz actuels ne suffisent pas ? Comment améliorer les rendements de conversion énergétique (voir l’article sur la conversion) ?
Car, nous l’avons dit, l’hydrogène est avant tout un moyen de stocker l’électricité. Dans le cas des énergies renouvelables, par exemple, la production d’électricité en période de grand vent ou de grand soleil par les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ne correspond pas toujours à la consommation. Il faut donc pouvoir stocker cette électricité, mais les batteries actuelles sont surtout adaptées au stockage à court terme. Les promoteurs de l’hydrogène suggèrent donc d’utiliser cette électricité pour produire de l’hydrogène par électrolyse, stocker cet hydrogène aussi longtemps qu’on le souhaite, puis convertir cet hydrogène en électricité grâce à une pile à combustible. Mais pour le moment, le rendement global n’est que de 25 % 1. Peut-on se permettre de gâcher les trois quarts de l’électricité produite ?
Tous ces défis ne pourront être relevés qu’à deux conditions. Tout d’abord, un effort de R&D sans précédent, pour lever les freins techniques. Mais également des incitations financières : à ce stade, et compte tenu des coûts de production, on voit difficilement comment l’hydrogène vert par électrolyse pourrait prendre des parts de marché sans que les entreprises ne soient incitées à le produire aux dépens des modes de production carbonés.
Un peu de chimie pour comprendre la production d’hydrogène
Le reformage du méthane consiste à faire réagir du méthane (gaz naturel) avec de la vapeur d’eau, en présence d’un catalyseur. L’équation de la réaction chimique montre que la production de CO2 est inévitable par cette méthode :
CH4 + 2 H2O → 4 H2 + CO2
On produit donc une molécule de CO2 pour 4 molécules d’hydrogène (pour être chimiquement exact, on devrait parler de molécule de dihydrogène).
La production d’hydrogène à partir de charbon est encore pire :
C + 2 H20 → CO2 + 2 H2
On ne produit que deux molécules d’hydrogène pour une molécule de CO2
En revanche, l’électrolyse de l’eau ne produit pas de CO2 :
2 H2O → 2 H2 + O2
Mais cette réaction est fortement consommatrice d’électricité.
La pyrolyse du méthane (voir l’interview de Laurent Fulcheri) consomme du méthane, mais ne produit pas de CO2 contrairement au reformage. Elle nécessite tout de même de l’électricité, mais 4 à 7 fois moins que l’électrolyse.
CH4 → C + 2 H2
Pour aller plus loin
- Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur l’hydrogène (juin 2019)
- Le rapport de l’Ademe sur l’hydrogène comme vecteur d’énergie (août 2020)
- « Le rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée » par l’Académie des technologies, novembre 2020
- La stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France