En 2018, le transport maritime a rejeté un peu plus d’un milliard de tonnes de CO 2 dans l’atmosphère. Cela représente 2,89 % des émissions anthropiques mondiales de ce gaz, d’après la dernière estimation 1. Le principal responsable de ces émissions contribuant au changement climatique ? Le fret maritime. Il inclut le transport de véhicules, passagers ou frigorifiques, mais également des secteurs d’activité pesant plus dans l’empreinte carbone, de par leur nombre d’unités et les tonnages qui y sont engagés. Porte-conteneurs, vraquiers, pétroliers, chimiquiers, cargos et gaziers sont à l’origine de 86,5 % des émissions liées au transport maritime international. « Il faut noter que ces chiffres ne représentent que la consommation de carburant : ils ne prennent pas en compte l’ensemble des émissions, depuis la fabrication des navires jusqu’au post-acheminement des marchandises », souligne Éric Foulquier enseignant-chercheur en géographie à l’Université Bretagne Occidentale.
L’ensemble des gaz à effet de serre (GES) émis par le transport maritime — dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) — s’élève à 1 076 milliards de tonnes en 2018, en hausse de près de 10 % par rapport à 2012. L’empreinte carbone du secteur est majoritairement dominée par le CO2, mais depuis quelques années, certaines évolutions sont observables. En raison de l’abaissement de la limite de la teneur en soufre des carburants, la proportion de fioul lourd consommée est en baisse (- 7 % entre 2012 et 2018), au profit du diesel maritime (+ 6 %) et du gaz naturel liquéfié (+ 0,9 %). En conséquence, les émissions de CO2 se stabilisent alors que celles de CH4 augmentent (voir article 2).
Le fret maritime, un circuit conséquent
Le fret maritime occupe une place majeure au sein du commerce et du développement économique mondial. En 2020, la flotte maritime mondiale comptait 99 800 navires, dont près de 54 000 navires marchands 2 transportant plus de 80 % — voire plus pour les pays les plus développés — des marchandises échangées à travers le monde 3. Depuis 2015, au moins 10 milliards de tonnes de marchandises sont chargées chaque année dans les différents ports du monde. « Il est intéressant de noter que depuis 2013, les pays considérés comme en développement déchargent plus qu’ils ne chargent, ajoute Éric Foulquier. Cela correspond sans doute à l’émergence d’une classe moyenne dans ces pays, conformément à la trajectoire de développement dans laquelle ils s’inscrivent. »
Sous le prisme de son empreinte climatique, le fret maritime est-il un mode de transport efficace ? Un porte-conteneur émet 3 grammes de CO2 équivalent par tonne par kilomètre, contre 80 pour un camion et 437 pour un avion-cargo 4. « Comparer les modes de transport selon cet indicateur minimise l’impact du fret maritime, il est plus réaliste de l’exprimer en valeur absolue, commente cependant Éric Foulquier. Cela n’a pas de sens de comparer ces modes de transports : les filières sont différentes et ils sont souvent complémentaires pour la circulation économique mondiale. »
Des particules également émises dans l’atmosphère
Depuis 2005, date de l’adoption de la Convention MARPOL, les émissions d’oxydes de soufre provenant des navires sont réglementées, et les seuils régulièrement revus (les carburants sont désormais limités à 0,5 % de teneur en soufre). Quatre zones de contrôle des émissions (ECA) — espaces maritimes dans lesquels la limite est portée à 0,1 % de teneur en soufre — ont été créées. Malgré ces mesures, l’OMI note une augmentation des émissions d’oxyde de soufre et de particules atmosphériques. Cette pollution a des effets nocifs sur la santé humaine, causant notamment des pathologies pulmonaires, mais également sur l’environnement en provoquant des pluies acides.
Une réduction des émissions possible
Dès lors, comment engager la décarbonation de ce secteur indispensable ? L’intensité carbone des navires — le volume de CO2 émis par tonne de marchandise par kilomètre — a déjà été réduite de 20 à 30 % entre 2008 et 2019 5. Cela grâce au remplacement des navires les plus anciens, l’achat de navires plus grands, mais aussi de mesures techniques et opérationnelles. Depuis la crise financière de 2008, une majorité d’armateurs ont adopté le slow steaming, réduisant leur vitesse de 20 à 30 % entre 2008 et 2015, qui depuis reste stable. Alors qu’elle n’était pas du tout considérée avant 2009, la consommation énergétique est désormais la deuxième priorité environnementale de l’Organisation des ports maritimes européens 6, derrière la qualité de l’air. Elle est aussi une préoccupation financière : en multipliant par deux la vitesse d’un navire, sa consommation de carburant quadruple.
Mais ces efforts sont anéantis par la hausse des flux de marchandises : les émissions de GES du transport maritime ont augmenté de 30 % depuis 1990 7. La capacité du fret maritime est passée de 1 à 2 milliards entre 2006 et aujourd’hui 8, et il est prévu qu’elle atteigne 3 milliards d’ici 2030 9. « Le transport maritime n’est qu’une réponse aux besoins de notre société, il est nécessaire d’agir sur les flux », assène Éric Foulquier. D’ici 2050, l’Agence internationale de l’énergie estime que les émissions de CO2 liées au fret devraient augmenter de 135 % par rapport aux niveaux de 2018 10, quand l’Organisation maritime internationale (OMI) l’évalue à +250 % d’ici 2035. « La massification dans laquelle nous nous trouvons doit être revue profondément au profit de la démassification du monde marchand, qui est une utopie nécessaire à la mise en œuvre d’une transition, avance le chercheur. Elle implique des circuits plus courts, la mobilisation des petits ports organisés autour de foyers urbains de taille moyenne. »
Les objectifs sont fixés
Poussé par les objectifs globaux de neutralité carbone, le contexte réglementaire change lui aussi. D’ici 2050, l’OMI vise une réduction de 50 % des émissions de GES du secteur par rapport à 2008. L’Union européenne affiche, elle, une volonté beaucoup plus marquée : atteindre la neutralité carbone en 2050, après un premier palier de réduction de 50 % des émissions d’ici 2040 par rapport à 1990. En 2020, le Parlement européen a ainsi voté l’inclusion du transport maritime au sein du système d’échange de quotas d’émission de l’UE. La mesure devrait être effective d’ici fin 2022. Le Fonds monétaire international estime cependant « qu’une taxation à 75 US $/tonne d’ici 2030 favoriserait une réduction de seulement 15 % des émissions actuelles 11. »
Le secteur du transport maritime peut faire le choix de s’appuyer sur de nombreux leviers pour réduire ses émissions de CO2. Des mesures opérationnelles — la réduction de la vitesse en premier lieu, mais aussi le routage météorologique ou des mesures globales d’efficacité énergétique — offrent le potentiel de réduire de près d’un tiers les émissions de GES. Un potentiel important de décarbonation repose enfin sur des solutions technologiques : modification du design des navires, amélioration de la machinerie, mais également l’intégration des énergies renouvelables (carburants alternatifs ou propulsion vélique) au mix énergétique.