L’idée d’utiliser le thorium comme combustible nucléaire a été abandonnée dans le passé car, traditionnellement, l’énergie nucléaire était liée à la recherche et au développement du nucléaire militaire – et l’uranium comme le plutonium permettaient la fabrication de bombes atomiques. Pour la production d’énergie, le thorium pourrait toutefois présenter de réels avantages et plusieurs pays investissent dans cet élément chimique (voir encadré). Ce métal pourrait être utilisé dans les réacteurs à sels fondus, l’un des modèles de nouvelle génération dans lequel le liquide de refroidissement du réacteur et le combustible lui-même sont un mélange de sels fondus chauds. Ces types de réacteurs peuvent atteindre des températures très élevées, ce qui augmente considérablement l’efficacité de la production d’électricité.
Le problème, toutefois, est que plus de 400 centrales nucléaires en service dans le monde utilisent principalement l’uranium (U) comme combustible. Bien que cet élément soit abondant, moins de 1 % de l’uranium sur Terre est de l’U‑235, l’isotope d’uranium qui est fissile. Le reste est de l’U-238. L’U-235 contenu dans l’uranium doit donc être concentré puis enrichi selon des procédés complexes et coûteux.
Et ce n’est pas tout, la fission de l’U-235 produit des déchets hautement radioactifs qui doivent être manipulés avec soin, puis stockés dans un endroit sûr pendant des périodes extrêmement longues. Ces déchets contiennent également un type de plutonium qui peut être exploité pour fabriquer des armes nucléaires.
Les réacteurs au thorium dans le monde
La Chine a achevé la construction d’un réacteur expérimental au thorium à Wuwei, à la périphérie du désert de Gobi1. Le thorium a été testé comme combustible dans d’autres types de réacteurs nucléaires dans des pays comme les États-Unis, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Il fait également partie d’un programme nucléaire en Inde, en raison de l’abondance naturelle de l’élément dans ce pays. En France, des études sont menées par le CNRS qui développe un projet appelé MSFR (pour Molten Salt Fast Reactor), utilisant le thorium2.
Quatre fois plus abondant que l’uranium
Le thorium (Th) a été découvert en 1828 par le chimiste suédois Jons Jakob Berzelius, qui lui a donné le nom de Thor, le dieu nordique du tonnerre. C’est un métal légèrement radioactif que l’on trouve dans les roches et les sols et qui est assez abondant dans la croûte terrestre. En effet, son principal isotope, le Th-232, est environ quatre fois plus abondant que l’U-2383 et aussi abondant que le plomb. La quantité que l’on trouve aux États-Unis, par exemple, pourrait répondre aux besoins énergétiques de ce pays pendant un millier d’années, et ce sans l’enrichissement requis pour les combustibles à base d’uranium.
C’est le minéral phosphate de terre rare, la monazite, qui contient le plus de thorium – jusqu’à environ 12% de phosphate de thorium4. La monazite se trouve dans des roches ignées et autres roches et les ressources mondiales de monazite sont estimées à environ 16 millions de tonnes, dont 12 Mt dans des gisements de sables minéraux lourds sur les côtes sud et est de l’Inde.
Le Th-232 présente un intérêt pour la production d’énergie nucléaire car il peut facilement absorber des neutrons et se transformer en Th-233. Ce nouvel isotope émet un électron et un antineutrino en quelques minutes pour devenir du protactinium-233 (Pa-233). Cet isotope, quant à lui, se transforme en U‑233, qui est une excellente matière fissile. En effet, la fission d’un noyau d’U-233 libère environ la même quantité d’énergie (200 MeV) que celle de l’U-235.
Le problème du refroidissement
Dans les réacteurs conventionnels, l’uranium est stocké dans des barres de combustible solides, qui sont refroidies par d’énormes quantités d’eau. Sans ce refroidissement, les barres fondraient, libérant des radiations dangereuses. Le thorium subirait ses réactions dans un type de réacteur tout autre, appelé réacteur à sels fondus (ou MSR pour molten salt reactor) qui contient un mélange de sels fluorés dans lequel le combustible nucléaire est fondu. Ce type de réacteur n’a pas besoin d’être construit à proximité d’un cours d’eau, puisque les sels fondus eux-mêmes servent de liquide de refroidissement.
Les réacteurs peuvent de ce fait être installés dans des régions éloignées des côtes et même arides. Ces réacteurs ne peuvent donc pas non plus « fondre » au sens classique du terme et, en cas d’urgence, le combustible peut être rapidement évacué du réacteur. Les MSRs déployant du thorium sont également plus sûrs car ils fonctionnent à des pressions proches de la pression atmosphérique.
Comme l’uranium, le thorium absorbe aussi les neutrons, comme nous l’avons mentionné, mais contrairement à l’uranium, il ne libère pas davantage de neutrons pour perpétuer la réaction nucléaire en chaîne. Cette réaction commence lorsqu’un atome d’uranium est frappé par un neutron, libérant de l’énergie qui entraîne l’éjection d’autres neutrons des atomes d’uranium, relançant le cycle. En réduisant la quantité de neutrons injectés dans le combustible, c’est le thorium lui-même qui limite la vitesse de la réaction nucléaire.
Des investissements en R&D nécessaires
L’utilisation du thorium comme nouvelle source d’énergie primaire est une perspective séduisante depuis de nombreuses années, mais l’extraction de sa valeur énergétique latente d’une manière rentable est un défi. Le développement de nouvelles centrales nucléaires alimentées au thorium nécessitera donc d’importants travaux de recherche et développement, ainsi que des essais – des démarches qui pourraient être difficiles à justifier étant donné que l’uranium est relativement bon marché et abondant.
Autre inconvénient : le thorium est « fertile » et non fissile, de sorte qu’il ne peut être utilisé comme combustible qu’en association avec une matière fissile, telle que le plutonium recyclé, en tant que conducteur afin de maintenir une réaction en chaîne (et donc une réserve de neutrons excédentaires).
L’U-233 produit à la fin du cycle est également difficile à manipuler, car il contient des traces d’U-232, qui émet activement des rayons gamma. Si certains chercheurs soutiennent l’utilisation du thorium comme combustible parce que ses déchets sont plus difficilement à transformer en armes atomiques que ceux de l’uranium, d’autres affirment que des risques subsistent5.
Le bon côté des choses, c’est qu’il y a globalement moins de plutonium produit pendant le fonctionnement du réacteur. À tel point que certains scientifiques affirment que les réacteurs au thorium pourraient même contribuer à épuiser les tonnes de plutonium qui nous avons créées et stockées depuis les années 1950.