La piste de la fusion nucléaire, explorée notamment dans le cadre du projet ITER à Cadarache (« International thermonculear experimental reactor », en anglais), est riche de promesses. C’est un défi scientifique et technologique à l’horizon de plusieurs décennies. L’un des enjeux les plus importants est de créer et maintenir le plasma, milieu peuplé de particules chargées énergétiques, à 150 millions de degrés Celsius pour entretenir les réactions de fusion.
Le plasma, considéré comme le « quatrième état de la matière » (après le solide, le liquide et le gaz), est parfois décrit comme une « soupe d’électrons et d’ions ». L’état de plasma est très répandu dans l’univers. On peut l’observer, par exemple, dans les aurores boréales ou l’ionosphère : le bombardement de particules provenant du vent solaire où les rayonnements solaires arrachent les électrons des atomes ou molécules de la très haute atmosphère, provoquant l’ionisation. L’ionosphère est un milieu dilué, partiellement ionisé, où les électrons peuvent être assez énergétiques, mais où les ions, atomes ou molécules demeurent assez froids ; les effets collectifs propres aux plasmas y sont déjà à l’œuvre.
Autre plasma aux conditions radicalement différentes, celui qui se trouve au cœur du soleil ou des étoiles : la matière entièrement ionisée atteint des températures de l’ordre de la dizaine de millions de degrés, ce qui permet aux éléments légers, comme l’hydrogène, de fusionner pour former des atomes plus lourds. Le processus de fusion demande beaucoup d’énergie, et il en produit encore davantage. C’est ce processus que l’on espère reproduire quand on parle d’« énergie de fusion ».
ITER : un réacteur expérimental
Le projet ITER consiste précisément à expérimenter la production d’énergie par fusion d’isotopes de l’hydrogène (même charge, mais de masse différente), le deutérium et le tritium, pour donner de l’hélium. Le dispositif utilisé s’appelle un tokamak (acronyme russe de « chambre toroïdale avec bobines magnétiques » !). Son principe, développé en Union soviétique dans les années 1950–1960, est basé sur le confinement magnétique des particules chargées du plasma.
ITER, réacteur expérimental fruit d’une collaboration internationale sans précédent (34 pays), actuellement en construction à Cadarache, au nord de Marseille, est l’étape de démonstration attendue après un demi-siècle de recherche. Le cœur d’ITER est un tokamak géant de près de 30 m de haut.
ITER, réacteur expérimental fruit d’une collaboration internationale sans précédent (34 pays), est l’étape de démonstration attendue après un demi-siècle de recherche.
Pour que la fusion se produise, les noyaux doivent entrer en collision assez rapidement pour surmonter leur répulsion coulombienne et assez souvent pour que le processus soit auto-entretenu. Un tokamak doit donc maintenir des densités relativement élevées d’ions légers à des températures énormes – environ 100 millions de degrés – pendant un temps suffisamment long.
Contrairement à la fission d’atomes lourds, où les produits de la réaction provoquent eux-mêmes d’autres réactions, il n’y a pas de médiateur de la réaction de fusion et donc pas de réaction en chaîne. C’est précisément l’absence de possibilité d’emballement de la réaction dans un réacteur à fusion qui rend la fusion beaucoup plus attrayante que la fission. De plus, la fusion ne produit pas de gaz à effet de serre, ni d’éléments fissile ou hautement radioactif à vie longue (cependant les matériaux de l’intérieur du réacteur seront activés, mais à vie courte) ; son combustible existe en abondance (le deutérium existe dans l’eau, à raison de 33g par m3, et peut être facilement extrait par électrolyse ; le tritium peut être produit dans le réacteur de fusion à partir du lithium, lui-même abondant sur Terre).
Des champs magnétiques intenses
Comme il n’est pas possible de contenir un plasma aux conditions thermonucléaires (150 millions de degrés) dans une enceinte matérielle ordinaire, on utilise des champs magnétiques intenses (de l’ordre de 5 à 10 T) pour isoler les particules chargées du plasma de la chambre qui les contient. La configuration tokamak, qui a donné les meilleures performances, combine 3 systèmes de bobines pour générer une « cage » magnétique en forme de tore dans laquelle les particules chargées circulent en restant confinées.
Comment chauffer ce plasma jusqu’à initier les réactions de fusion ? Plusieurs options : le chauffage par radiofréquence (des micro-ondes, pour simplifier) ; le chauffage par collisions, en injectant des ions d’hydrogène portés à haute énergie par un accélérateur; la question étant de parvenir à neutraliser ces ions énergétiques pour qu’ils puissent pénétrer dans le tokamak (si « rien » ne sort, rien ne rentre non plus).
Comment maintenir le plasma à ces très hautes températures pour que le processus s’entretienne ? Il faut d’une part garantir la « stabilité » du plasma, pour éviter que des instabilités à grande échelle ne viennent perdre le plasma sur les parois, à l’image des grandes arches qui se développent à la surface du soleil et qui éjectent la matière nous arrivant sous forme de vent solaire. Car, dans le plasma très chaud – un état de la matière par définition hors équilibre thermodynamique, peuvent se développer des instabilités, ou de la turbulence.
La grande taille d’ITER résulte d’ailleurs du fait que l’agitation turbulente augmente la diffusion collisionnelle à travers les lignes de champ magnétique : les vortex de différentes tailles brassent la matière et mélangent le cœur plus chaud avec le bord plus froid ; il faut plus de « couches » isolantes pour garder la chaleur au cœur du plasma. Nous travaillons à la fois à développer des outils d’observation, dans des conditions encore jamais expérimentées, pour comprendre et modéliser ces phénomènes et pour optimiser le contrôle de la turbulence.
D’autres techniques de confinement ?
Rien qu’on puisse réaliser dans son garage… comme le laisseraient penser certaines annonces fantaisistes sur la fusion. D’autres configurations magnétiques existent, comme, par exemple, le « stellerator », développé entre autres par l’Institut Max-Planck, en Allemagne.
La différence porte principalement sur la façon de produire la structure magnétique complexe (lignes de champ enroulées sur des tores emboîtés) : dans le cas du stellerator, ce sont les bobines, de conception extrêmement complexe, qui génèrent directement et « en continu » la structure magnétique ; dans le cas du tokamak, c’est la composition du champ produit par les bobines et du champ produit par un courant, qui sera maintenu pendant une dizaine de minutes sur ITER et devra donc être cyclique.
Il est difficile pour le moment de prédire quelle configuration sera la plus performante en termes de qualité du confinement, celle-ci restant étroitement liée à la taille du dispositif, et en termes de viabilité économique.
ITER : un projet à très long terme
Lancé au milieu des années 1980, les premiers plasmas ne seront pas obtenus avant 2027. Cependant, toute la communauté est mobilisée pour avancer, en parallèle de la préparation d’ITER, sur les questions scientifiques, mais aussi techniques qui pourraient permettre de rendre disponible l’énergie de fusion dans la seconde moitié du siècle. Le tokamak européen JET, le plus grand actuellement en fonctionnement, a récemment battu les records pour l’énergie de fusion produite (59 MJ dans un plasma cible réaliste deutérium-tritium), ce qui constitue une excellente préparation à l’opération d’ITER. Des champs magnétiques très intenses (20 T) ont été obtenus avec des bobines de type tokamak utilisant des supraconducteurs haute température, ouvrant la voie à des dispositifs plus petits et plus performants, donc plus économiques. De plus en plus de ces avancées impliquent des start-ups et des initiatives privées qui signalent sans doute la maturité croissante du domaine. ITER reste essentiel pour la communauté, car ce n’est que là qu’il sera possible de tester de façon intégrée l’ensemble des problématiques liées à la production d’énergie de fusion.