Considérée par certains comme la solution d’avenir aux problèmes énergétiques de l’humanité ou comme une vieille arlésienne technologique par d’autres, la maîtrise de la fusion thermonucléaire agite les esprits (et les laboratoires de recherche) depuis les années 1950. Depuis 70 ans, d’énormes progrès ont été accomplis dans la maîtrise de cette source d’énergie qui alimente toutes les étoiles de l’Univers (notre Soleil en première place). Mais aussi impressionnants que soient ces progrès, force est de constater que l’aboutissement industriel de ces travaux peine toujours à se matérialiser. « La fusion nucléaire, c’est pour dans 30 ans… depuis 50 ans », entend-on souvent. Mais depuis quelques années, de nouveaux acteurs explorent ce territoire : les start-ups. Où en sont ces projets ? En voici un petit tour d’horizon.
Les gros projets internationaux
Lorsque l’on évoque la production d’énergie civile par fusion thermonucléaire, le premier projet qui vient à l’esprit est ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). Ce colossal projet scientifique, technique et industriel, en cours de construction à Cadarache (France) fait partie de la 2ème génération de prototypes de tokamak.
Le tokamak est une technologie qui permet de confiner le plasma (une soupe de noyaux d’atomes légers chauffés à au moins plusieurs dizaines de millions de degrés) grâce à des champs magnétiques, dans une vaste enceinte torique où la fusion nucléaire peut avoir lieu.
La première génération de ce type de réacteur a donné des résultats très intéressants dès les années 1990. C’est ainsi qu’en 1997, le réacteur expérimental britannique JET (Joint European Torus) atteint, à la fois, le record de température du plasma (320 millions de degrés) mais aussi le record de seuil d’amplification (η = 0.7). Cela signifie que pour 1 000 joules d’énergie utilisée pour chauffer le plasma (et non l’énergie totale consommée par l’installation), on est arrivé à retirer 700 joules des réactions de fusion produites.
L’objectif est évidemment d’arriver à retirer plus d’énergie de ces réactions que ce qui y a été injecté (η > 1). Dans l’absolu, si l’on tient compte des différentes pertes et des limitations techniques à toutes les étapes du processus, il faudrait atteindre un rendement de production d’au moins 10 (récupérer, donc, 10 fois plus d’énergie que celle que l’on a injectée) pour commencer une production industrielle de ce genre de réacteur. Or ce rendement dépend (entre autres) du volume du réacteur. C’est pourquoi ITER, projet international issu de la collaboration de 35 pays, sera beaucoup plus gros que JET (la chambre à vide fera 6m20 de large sur 6m80 de haut pour un volume de plasma de 840 m3). Son objectif n’est pas, et il est important de le rappeler, de produire de l’énergie de manière industrielle, mais de prouver qu’un rendement de 10 peut être atteint (entre autres).
Le principe du tokamak torique n’est pas la seule conception possible d’un réacteur dit « à confinement magnétique » pour atteindre la fusion nucléaire. D’autres configurations sont également à l’étude et donnent des résultats très intéressants. En Allemagne, une autre voie est explorée : le stellarator Wendelstein 7‑X. Le principe du stellarator est toujours de confiner le plasma en combustion grâce à un champ magnétique intense. Ils sont considérablement plus complexes à construire (nécessitant des bobines de champ magnétique déformées), mais bien plus simples à utiliser une fois que le plasma y est confiné.
Une dernière grande voie pour parvenir à la fusion nucléaire est en cours d’exploration : le confinement inertiel. Cette fois, il n’y a plus de champ magnétique pour contenir le plasma, mais des impulsions (électriques ou laser) pour comprimer une bille de combustible à des pressions et des températures permettant d’amorcer les réactions nucléaires. À la différence du confinement magnétique, qui utilise des plasmas de faible densité, mais des temps de réaction très longs (actuellement de l’ordre de la minute), le confinement inertiel fonctionne sur le principe opposé : obtenir des densités extrêmement élevées pendant des temps très courts (de l’ordre de la nanoseconde, voire moins).
Les petits projets privés
Depuis 2015, le secteur privé s’intéresse lui aussi beaucoup (et de plus en plus) à ce domaine de la fusion nucléaire contrôlée, et ce pour plusieurs raisons. Climatique, tout d’abord. En effet, la fusion nucléaire fait partie des énergies dites « décarbonées ». Fusionner deux isotopes de l’hydrogène (le deutérium et le tritium) produit de l’hélium. Il ne s’agit pas de combustion, et il n’y a pas d’émission de CO2 dans cette réaction. Cela permet de s’inscrire dans les investissements favorisant les technologies pour le climat.
L’autre raison est technologique. Le projet ITER porte en lui toute la promesse d’une production d’énergie propre sur laquelle misent les projets privés. De plus, de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies (rubans supraconducteurs, lasers, algorithmes de calcul…) permettent d’envisager de construire de petits réacteurs expérimentaux à moindre coût. Enfin, bien sûr, la promesse d’un investissement risqué, mais extrêmement rentable s’il réussit, incite certaines entreprises à tenter l’aventure. Ces entreprises sont d’ailleurs souvent soutenues par des fonds d’investissement, des mécènes (Bill Gates, Jeff Bezos) et quelques financements publics issus de collaborations avec de grands laboratoires de recherche nationaux.
Il existe désormais plus de 30 entreprises privées de fusion dans le monde, selon une enquête réalisée en octobre par la Fusion Industry Association (FIA) à Washington DC, qui représente les entreprises du secteur. Les 18 entreprises, ayant déclaré leur financement, affirment avoir attiré plus de 2,4 milliards de dollars au total – presque entièrement issus d’investissements privés.
Faute d’équipes de recherches aussi grosses que pour les projets publics, la solution consiste souvent à remplacer la taille par l’astuce, et à tester des voies originales qui n’ont pas encore été testées. Là encore, il s’agit d’une tactique à haut risque, mais dont les retombées pourraient être extrêmement élevées en cas de succès.
Citons par exemple General Fusion, avec son concept de sphère recouverte de pistons dans laquelle un mélange deutérium-tritium est injecté avant que les pistons ne produisent une onde de choc qui comprime le plasma et est censée produire les conditions de pression et de température nécessaire à la fusion. CFS (Commonweath Fusion Systems) s’appuie sur le développement de nouveaux aimants supraconducteurs à haute température pour construire SPARC, un tokamak compact dont le rendement devrait atteindre 2. CFS annonçait en septembre 2021 que leur nouvel aimant supra haute température avait atteint une intensité de 20 Teslas. La fin de la construction est prévue pour 2025.
Citons également Helion Energy qui, plutôt que de chercher à produire de l’électricité en faisant tourner des turbines grâce à la chaleur générée par la réaction au cœur d’un tokamak, propose de produire cette électricité directement par induction dans des bobines électriques qui entourent le réacteur.
Enfin, First Light Fusion est une entreprise issue de l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni. Elle poursuit une stratégie différente : le confinement inertiel dont nous avons parlé plus haut. Ici, le plasma de fusion n’est pas retenu par des champs magnétiques. Au lieu de cela, une onde de choc le comprime aux immenses densités nécessaires à la fusion. Mais chez First Light, l’onde de choc de compression n’est pas créée par des lasers, très gourmands en énergie, mais en utilisant un pistolet électromagnétique qui tire un projectile dans une cible contenant les isotopes de l’hydrogène. La société garde secrets les détails du processus, mais a déclaré que pour réaliser la fusion, elle devra tirer ce projectile à 50 kilomètres par seconde, soit deux fois plus rapidement que ce qui est généralement appliqué dans les expériences actuelles sur les ondes de choc.
Ces entreprises privées qui s’aventurent dans l’un des domaines les plus pointus de la science et de la technologie réussiront-elles là où les plus grandes collaborations internationales avancent pas à pas ? Rien n’est moins certain. Mais une chose est sûre : les prochaines décennies vont être très intéressantes à vivre…