Cet article fait partie de notre magazine Le 3,14 dédié au bilan carbone des énergies en France. Découvrez-le ici.
Depuis l’adoption des Accords de Paris en 2015, les objectifs internationaux de lutte contre le changement climatique sont clairs : viser la neutralité carbone au milieu du siècle. Impossible d’atteindre cet objectif sans un développement massif des énergies renouvelables. L’éolien en mer est en première ligne : toutes les projections s’accordent sur une explosion de la filière — qui ne représente aujourd’hui que 0,3 % de la production électrique mondiale. En France, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Électricité (RTE) désigne la filière comme l’une « des plus prometteuses pour la production d’électricité bas-carbone à long terme »1. Le Royaume-Uni est le champion à ce jour : la capacité éolienne en mer installée est de 10,4 GW (contre 14 GW à terre), et le pays vise 40 GW d’ici 20302. Alors qu’aucun parc n’est aujourd’hui opérationnel dans l’hexagone, RTE prévoit une capacité d’éoliennes en mer de 22 à 62 GW à l’horizon 2050. D’ici là, le parc nucléaire historique (infrastructures déjà présentes) verra sa capacité diminuer, en raison de la fermeture des centrales vieillissantes – c’est-à-dire les réacteurs de deuxième génération, construits au cours des années 80. Passant d’environ 60 GW de production à 24 GW, voir 16 GW, selon les scénarios retenus dans lesquels le nucléaire aura toujours une place dans le mix énergétique.
Un potentiel énergétique colossal
Les éoliennes peuvent être fixées sur les fonds marins jusqu’à 50 mètres de profondeur, ou au-delà reposer sur une base flottante amarrée. « Pour des raisons économiques, les éoliennes en mer sont préférentiellement installées dans des zones où le vent a une vitesse moyenne annuelle d’au moins 8 mètres par seconde, détaille Daniel Averbuch. Cette contrainte, croisée à celle de la profondeur minimale, aboutit à un potentiel technique énorme. » Plus précisément, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) estime3 le potentiel de l’éolien en mer à 420 000 TWh d’électricité par an, soit 11 fois la demande mondiale d’électricité en 2040.
Pourquoi un tel gisement ? « La puissance unitaire des éoliennes en mer est aujourd’hui de 10 MW, et l’industrie vise 15 MW et plus d’ici la fin de la décennie, explique Daniel Averbuch. C’est bien plus que les éoliennes à terre, plus petites pour limiter l’impact visuel, qui atteignent une puissance unitaire d’environ 3 MW. » Autre atout de l’éolien en mer : le facteur de charge. Cette mesure représente le rapport entre la production réelle et la puissance théorique de l’engin. Elle pèche souvent pour les énergies renouvelables qui reposent sur des sources intermittentes comme l’ensoleillement ou le vent.
Mais les éoliennes en mer surpassent tous les autres modes de production d’électricité, excepté le nucléaire qui peut fonctionner quasiment en permanence : les parcs éoliens récents affichent un facteur de charge moyen de 40 à 50 %, contre 25 % pour les éoliennes terrestres en France et 14 % pour les panneaux solaires photovoltaïques4. Le parc d’éoliennes Hywind Scotland a même atteint un nouveau record avec une moyenne annuelle de 57 % !5 « Cela s’explique par la nature des vents, qui sont plus forts et plus réguliers en mer, mais également par les choix de conception réalisés pour les éoliennes en mer », expose Daniel Averbuch. L’Europe bénéficie d’ailleurs d’un emplacement de choix : en mer du Nord, mer Baltique, Golfe de Gascogne, mer d’Irlande et mer de Norvège, les vents atteignent des facteurs de charge de 45 à 65 %, contre 35 à 45 % pour la Chine ou le Japon ou 40 à 55 % pour les États-Unis.
Cette plus grande stabilité de production fait de l’éolien en mer un choix intéressant pour l’équilibre du mix énergétique. De plus, la production est complémentaire à celle d’autres énergies renouvelables : en Europe, en Chine ou aux États-Unis, elle est plus importante en hiver, à l’inverse de la production photovoltaïque.
Sur le chemin de la maturité
Grâce à ces atouts, l’éolien en mer se développe fortement. La capacité mondiale installée est passée de 3 GW en 2010 à 23 GW en 2018, une croissance dépassant toutes les autres sources d’électricité, à l’exception des panneaux photovoltaïques. L’Europe — Royaume-Uni en tête — domine le marché en cumulant à elle seule 80 % des capacités installées en 2018. La Chine pourrait cependant prendre la tête d’ici 2030 en passant de 5 à 36 GW de capacité installée. En France, l’Ademe estime le potentiel économique de l’éolien en mer à 924 millions d’euros par an de valeur ajoutée d’ici 2030, avec 11 300 emplois directs par an.
Pendant des années le coût de l’éolien en mer était un frein : les coûts moyens de production de l’éolien posé en France sont évalués à environ 100 €/MWh, contre 79–149 €/MWh pour l’hydraulique, 50–70 €/MWh pour l’éolien terrestre, 45–81 €/MWh pour le solaire photovoltaïque au sol ou 43,8–64,8 €/MWh pour le nucléaire (selon la méthode de calcul retenue). Mais l’appel d’offre pour le parc de Dunkerque en 2019 matérialise une baisse des coûts plus rapide qu’espérée6 : le prix du MWh s’élève à 44 € pour cet appel d’offre7. Les coûts de production pourraient même chuter à 25–30 € par MWh d’ici 2030. Pour Daniel Averbuch, cette baisse importante s’explique par « la plus grande maturité de l’industrie, qui réduit le coût des emprunts bancaires. L’augmentation de la taille des éoliennes en mer permet aussi de produire plus avec moins de machines, poursuit le spécialiste, et donc de réduire les coûts d’investissement et d’entretien. »
Certains obstacles sont encore présents
Mais attention : la réussite du développement massif de l’éolien en mer repose sur la levée de certaines difficultés. « L’augmentation de la production électrique va nécessiter un renforcement des réseaux de transport d’électricité, expose Daniel Averbuch. L’éolien en mer concentre géographiquement la production électrique : il impose l’évacuation d’une grande quantité d’énergie, contrairement à l’éolien terrestre ou au photovoltaïque qui sont plus distribués. » Autre point d’attention : les matériaux nécessaires à la construction d’éoliennes. « Les ressources en métaux critiques et terres rares pour la transition énergétique font l’objet de travaux de prospective, notamment au sein d’IFPEN8, ajoute Daniel Averbuch. L’éolien, qui nécessite des terres rares pour les aimants permanents, ne représente cependant qu’une petite part du marché global. »
Enfin, l’éolien en mer flottant — installé dans les zones dépassant 50 mètres de profondeur — fait l’objet d’une plus grande incertitude. Environ 70 % du potentiel mondial de production repose sur ce type d’éoliennes. Or la technologie est moins mature, et aucune ferme flottante n’a aujourd’hui atteint le stade commercial. Mais même si aucun parc éolien flottant ne voyait le jour, l’éolien en mer ne signerait pas son arrêt de mort. Le potentiel des seules éoliennes posées dépasse la demande mondiale prévue en électricité d’ici 2040.
L’impact environnemental des éoliennes en mer est faible, considérant l’évaluation à l’aide d’une analyse du cycle de vie (ACV). L’ACV tient compte du transport, de la fabrication, l’installation, l’utilisation et la fin de vie des machines. En 2015, l’Ademe évalue le taux d’émission des parcs éoliens français à 14,8 grammes d’équivalent CO2 par kWh9, pour une durée de vie du parc de 20 ans. Une synthèse récente concernant les éoliennes flottantes évalue leur ACV à 19,5 g équivalent CO2/kWh pour une durée de vie de 25 ans du parc10. Ces valeurs sont comparables à l’éolien terrestre (14,1 g équivalent CO2/kWh), inférieures à celles du photovoltaïque fabriqué en Chine (56 g équivalent CO2/kWh) et très inférieures aux émissions d’une centrale à gaz (418 g équivalent CO2/kWh) mais néanmoins supérieures au nucléaire (moins de 6 g équivalent CO2/kWh)1112.