Les éoliennes en mer posées nuisent-elles à la biodiversité marine ?
Lors de la phase d’exploitation des éoliennes, l’un des effets les plus connus sur la biodiversité marine est l’effet récif artificiel. Il correspond à l’arrivée de nouvelles espèces autour de l’éolienne : moules, crabes, anémones et différents poissons, selon l’emplacement géographique. En effet, les éoliennes sont souvent construites sur des fonds meubles. Les enrochements qui protègent les câbles, les mâts et leurs fondations apportent un substrat dur qui multiplie les niches écologiques et la complexité de l’habitat, et attire donc de nouvelles espèces. L’effet récif artificiel est bien décrit dans les parcs éoliens belges qui offrent désormais un recul de dix ans, et nous l’observons sur de nombreuses autres constructions humaines en mer. Le nouvel habitat qui se met en place est plus riche en biodiversité et en biomasse animale comme végétale.
Si le parc éolien est fermé à la pêche, ou moins fréquenté, un effet réserve peut s’ajouter. Comme pour une aire marine protégée, le parc peut permettre un meilleur renouvellement des stocks des espèces pêchées. Leur biomasse peut alors augmenter en bordure du parc.
La présence d’éoliennes augmenterait donc le nombre de poissons ?
Est-ce que le nombre d’animaux augmente, ou est-ce qu’ils se concentrent simplement dans le parc éolien ? Cette question est aujourd’hui débattue.
Pour les espèces benthiques, qui vivent fixées, l’augmentation de la biomasse et de la production est clairement établie. Algues, moules et anémones qui s’installent sur les structures dures attirent d’autres espèces en cascade, tout le long de la chaîne alimentaire. Nos simulations numériques montrent que cette cascade est susceptible d’atteindre les prédateurs supérieurs, en haut de la chaîne alimentaire, augmentant alors potentiellement leur nombre.
L’observation des mammifères marins apporte quelques preuves en ce sens : en Mer du Nord, les opérations de suivi par satellite montrent que les phoques fréquentent les parcs éoliens. Mais il faut noter que cet effet cascade dépend fortement de l’état initial de la population1. La population de phoques en Mer du Nord augmente depuis plusieurs années, et l’effet récif renforce potentiellement cette croissance. Dans le cas de populations en mauvais état, l’implantation d’une éolienne risque d’empirer le phénomène.
Quel est le risque de collision pour les oiseaux et chauve-souris ?
Le retour d’expérience des parcs éoliens belges2 révèle la grande incertitude concernant le risque de collision pour les oiseaux et les chauves-souris. Pour les parcs éoliens terrestres, les scientifiques réalisent des comptages des animaux tombés au sol, mais ce comptage est plus délicat pour les éoliennes en mer. Des études sont en cours pour développer des méthodes d’instrumentation.
Il est important que ces mesures soient faites : certaines espèces protégées d’oiseaux peuvent être sensibles à un nombre très limité de collisions par an3.
La construction d’un parc éolien est-elle une période particulièrement à risque pour les espèces marines ? Est-il possible d’en limiter les effets ?
Oui, tous les spécialistes s’accordent pour dire que c’est l’étape qui affecte le plus les espèces marines. Le bruit généré lors du battage des pieux est très impactant, et ces effets sont toujours considérés comme les plus importants dix ans après le début de l’exploitation.
Plusieurs mesures permettent d’en limiter les effets. La génération de doubles rideaux de bulles lors du battage des pieux atténue les nuisances sonores. Il est important de ne pas faire de travaux lors de périodes sensibles comme la mise-bas ou la reproduction, notamment pour les espèces à intérêt de protection. Enfin, le niveau de bruit peut être augmenté très progressivement, ce qui permet de faire fuir les espèces sensibles et ne pas les blesser. Des simulations montrent que l’effet cumulé de toutes ces mesures peut réduire jusqu’à 97 % les conséquences négatives sur les espèces.
J’ajouterais qu’il est important de sanctuariser certaines zones qui présentent un intérêt écologique ou un bon état de conservation, et de développer l’éolien dans les zones déjà largement impactées par les activités humaines. Le développement de l’éolien en mer me semble important afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre : nos simulations montrent que le changement climatique a des retombées très fortes sur la biodiversité marine. Ces conséquences sont nettement plus étendues que l’effet localisé des éoliennes.
Existe-t-il des risques liés à la pollution chimique ou au transport sous-marin de l’électricité ?
En mer, les structures métalliques immergées sont soumises à la corrosion. Des anodes galvaniques — composées majoritairement d’aluminium — sont souvent utilisées : leur dissolution dans l’eau protège les fondations de l’éolienne. Leur présence a parfois été suspectée d’être une source importante de pollution métallique, mais il semble que le degré de dilution soit suffisant pour en limiter les effets. Des travaux sont toutefois en cours pour vérifier ce résultat.
Les câbles et les sous-stations électriques génèrent, eux, des champs électromagnétiques. Leurs effets sont étudiés depuis quelques années : les premiers résultats mettent en évidence des retombées très localisées. Et les premiers travaux de terrain ou en laboratoire montrent qu’avec les intensités observées, l’impact sur les animaux est très faible4.
Les éoliennes flottantes, contrairement aux éoliennes posées, ont fait l’objet de très peu d’études concernant leur impact environnemental. Le site d’essai SEM-REV de Centrale de Nantes, au large du Croisic, a permis pour la première fois en France de le mesurer in situ pendant trois ans, couvrant ainsi la phase de travaux, opérationnelle et de maintenance5.
Après un an de fonctionnement, les communautés benthiques à proximité de l’éolienne et ses infrastructures — système d’ancrage et câble électrique — sont en très bonne santé. Les lignes d’ancrages, le flotteur et les câbles ont été colonisés par des moules, anémones ou encore coraux. Seule une espèce de mollusque non indigène — et donc nouvelle — a été observée. Profitant d’un nouvel habitat, des homards, congres et crabes dormeurs sont retrouvés. Les retombées sur ces espèces et les poissons pêchés n’ont pas encore été évaluées. L’équipe note enfin un effet d’attraction des chauves-souris lors des travaux. Aucune observation robuste ne peut être apportée concernant les oiseaux en l’absence d’outil de mesure.