Les éoliennes flottantes offrent un potentiel considérable de production d’énergie dans le monde : 330 000 TWh par an, soit 79 % du potentiel théorique total de l’éolien en mer1. Les dispositifs flottants sont employés au-delà d’une profondeur de 50 mètres, limite à partir de laquelle le déploiement d’éoliennes posées (type d’éoliennes en mer, fixées au fond marin) devient trop coûteux. De premiers sites semi-commerciaux ont commencé leur production. Le site d’essai en mer SEM-REV2, porté par l’École centrale de Nantes, est le seul à produire de l’électricité en France, au large du Croisic, grâce à une éolienne flottante dans le cadre du projet Floatgen. L’éolienne déployée par la société Ideol y génère plus de 6 GWh d’électricité par an depuis 2018. Yves Perignon, ingénieur de recherche en hydrodynamique, est responsable du site d’essai.
Alors que de nombreux parcs éoliens posés sont en activité depuis les années 90, l’éolien flottant émerge seulement. Comment l’expliquez-vous ?
L’éolien flottant est effectivement moins mature. Le premier prototype a été déployé en Norvège par le pétrolier Equinor en 2009. Le Portugal a suivi avec un autre prototype du flotteuriste Principle Power en 2011. Les développements se sont par la suite accélérés, et il existe aujourd’hui une dizaine de prototypes dans le monde. Plusieurs pays débutent la phase commerciale : par exemple en Écosse, deux parcs éoliens de 30 et 50 MW de capacité installée sont en service. En France, quatre fermes pilotes vont être construites ces prochaines années.
Ce retard s’explique par un faisceau de raisons. Les pays du Nord de l’Europe ont été les pionniers concernant l’éolien : après avoir testé l’éolien terrestre sur des îles, nombre d’entre eux ont investi dans l’éolien en mer posé. Ce sont l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège ou encore la Belgique. Leur retour d’expérience a permis de résoudre de nombreuses questions : réduction des coûts, capacité de production, raccordement aux réseaux électriques… L’éolien posé a permis de démontrer l’intérêt de l’éolien en mer pour l’équilibre énergétique d’un pays. L’éolien flottant, moins mature technologiquement, représente naturellement l’étape suivante. Les projets et développements sont portés par des consortiums internationaux comprenant souvent des acteurs de l’offshore pétrolier, qui détiennent déjà de nombreuses compétences utiles à l’éolien flottant.
Quels obstacles technologiques entravent le développement commercial de l’éolien flottant ?
L’enjeu principal concerne la structure portant l’éolienne, composée d’un flotteur et d’un système d’ancrage. Une variété de technologies matures existe, mais différents verrous restent à lever. Par exemple, concernant leur fiabilité : la fatigue des matériaux et la résistance aux conditions extrêmes lors des tempêtes doivent être éprouvées sur toute la durée de vie d’un parc. Autre enjeu : le changement d’échelle, depuis le prototype jusqu’au parc éolien. On peut par exemple se demander si nous disposerons de suffisamment de fenêtres météo pour remplacer des lignes d’ancrage détériorées de plusieurs flotteurs. L’adéquation des choix technologiques aux contraintes de maintenance conditionnera la viabilité économique d’un parc.
D’autres enjeux portent sur le raccordement électrique : les industriels travaillent à améliorer la résistance et la fiabilité des câbles et du raccordement. De plus, le raccordement intra-parc aujourd’hui utilisé est en série, ce qui implique la mise à l’arrêt de plusieurs éoliennes lors d’une panne. D’autres solutions pourraient être pertinentes pour limiter les temps d’indisponibilité.
Le passage à l’échelle industrielle pose-t-il d’autres défis ?
Oui. De façon plus générale, il implique de mener une réflexion sur la maintenance de ces parcs situés loin des côtes. L’obstacle n’est pas que technique, mais également économique : ces parcs nécessiteront plus d’inspections sous-marines autour des câbles, des ancrages ou du flotteur. La maintenance doit être rendue plus routinière et versatile pour y faire face. L’optimisation des moyens d’inspections pourra par exemple avoir d’importantes implications économiques. Enfin, l’infrastructure portuaire sera « dimensionnante » : l’adéquation des zones de construction ou de stockage des flotteurs et des autres composants sera un enjeu majeur.
Les industriels sont aujourd’hui capables de construire des éoliennes flottantes, mais le défi consiste à changer d’échelle et tendre vers une production électrique à bas coût et faible empreinte carbone.
Pourquoi l’équation économique est-elle un problème ?
À ce jour, seul un appel d’offres a été lancé en France pour la création d’un parc éolien flottant en Bretagne Sud d’ici 2029. Les coûts de l’éolien flottant sont 1,5 à 4 fois supérieurs à ceux de l’éolien posé3, cela s’explique par le plus faible niveau de maturité de la filière. Des études prospectives4 montrent en outre que l’éolien flottant va suivre une trajectoire de réduction des coûts compatible avec un prix de marché d’ici moins de 15 ans.
Le modèle économique de l’éolien flottant repose sur des choix techniques et opérationnels innovants, mais également sur une meilleure exploitation des capacités éoliennes. Comme pour le posé, l’augmentation de la puissance unitaire des éoliennes permettra d’améliorer le rendement des parcs.
Quels intérêts existe-t-il à développer l’éolien flottant ?
L’éolien flottant représente un gisement très important de production d’énergie que l’éolien posé ne peut couvrir. Mais il offre d’autres avantages : les éoliennes flottantes disposent de facteurs de charge supérieurs à celles du posé, et offrent ainsi une moindre intermittence de la production d’énergie. Déployées plus loin des côtes, les éoliennes flottantes bénéficient de vents plus forts et donc d’une capacité de production plus importante, à moindre impact visuel pour les populations du littoral.
Plus largement, la caractérisation des retombées socio-économiques ou sur la biodiversité bénéficie actuellement des premiers retours d’expérience d’implantations en mer. Les atouts et les contraintes de l’éolien flottant pourront donc être évalués dans l’orientation des politiques énergétiques et la planification des futures implantations.