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Quels seront les nouveaux métiers du futur ?

Les métiers du futur sont déjà là

Richard Robert, journaliste et auteur
Le 13 juillet 2022 |
6 min. de lecture
Isabelle Rouhan
Isabelle Rouhan
directrice de Colibri Talent
En bref
  • 72 % des travailleurs européens pensent que les robots vont leur voler leur emploi.
  • Or il s’agit là d’une perspective faussée prenant de l’ampleur avec l’automatisation de certains métiers, qui ne disparaissent pas pour autant.
  • Les pays les plus robotisés au monde (Allemagne et Japon) sont aussi ceux qui ont le taux de chômage le plus bas. Les métiers, au sens de métiers industriels, sont là aussi.
  • Pour l’essentiel, si l’on va chercher le cœur des métiers comme soigner des gens ou fabriquer du pain, ces métiers ont vocation à perdurer.

On prend sou­vent la ques­tion des métiers du futur sous un angle négatif, celui de la destruc­tion des emplois emportés dans l’automatisation. C’est une per­spec­tive faussée, qui mécon­naît deux évo­lu­tions de fond. La pre­mière est que si des effec­tifs dis­parais­sent, si des fich­es de poste sont frap­pées d’obsolescence, les métiers ne dis­parais­sent pas. Ils sont exer­cés autrement, et les com­pé­tences des humains y jouent tou­jours un rôle. La sec­onde est que les métiers du futur, ceux qui sont en prise avec les tech­nolo­gies émer­gentes comme la data, se nour­ris­sent de ceux d’aujourd’hui.

L’automatisation n’est pas l’ennemi

Il est vrai qu’une par­tie de la lit­téra­ture exis­tante, comme les rap­ports du cab­i­net McK­in­sey, insiste sur le car­ac­tère mas­sif, prochain, et inéluctable d’une trans­for­ma­tion qui sig­ni­fiera la dis­pari­tion de métiers entiers. Cette approche provoque un effet de sidéra­tion qui n’aide pas à penser la tran­si­tion. 72 % des tra­vailleurs européens pensent que les robots vont leur vol­er leur emploi ! Certes, les choses vont très vite. Mais on peut les penser, et décon­stru­ire les images de la dis­pari­tion pour recon­stru­ire une réal­ité qui sera faite de trans­for­ma­tions et de transitions.

Une nou­veauté est que l’automatisation des tâch­es con­cerne désor­mais, et de façon mas­sive, les activ­ités de ser­vice. Mais si l’on con­sid­ère l’industrie, c’est déjà une vieille his­toire, aus­si anci­enne, en fait, que la révo­lu­tion indus­trielle. Ne pour­rait-on en tir­er des leçons ? Si l’on fait abstrac­tion de la France et du Roy­aume-Uni qui se sont forte­ment désin­dus­tri­al­isés, et que l’on con­sid­ère nos voisins européens, on ne con­state pas d’attrition spec­tac­u­laire dans les effec­tifs de l’industrie. Les emplois sont là. Et les métiers, au sens de méti­er indus­triel, sont là aus­si. Faut-il rap­pel­er que les pays les plus robo­t­isés au monde (Alle­magne et Japon) sont aus­si ceux qui ont le taux de chô­mage le plus bas ?

Cela sig­ni­fie que les humains sont dans ces métiers indus­triels, quand bien même leur méti­er per­son­nel aurait dis­paru de la nomen­cla­ture. Il faut repér­er la con­ti­nu­ité qui se cache sous la dis­con­ti­nu­ité : les tâch­es se trans­for­ment con­tin­uelle­ment et les opéra­teurs suiv­ent le mou­ve­ment. Dans l’automobile, il y a désor­mais peu d’humains sur une chaîne de mon­tage, mais on les retrou­ve ailleurs, et sou­vent très près de la chaîne : dans des tâch­es de sur­veil­lance, de con­trôle qual­ité, par­fois en amont de la chaîne, par­fois en aval.

Les métiers évoluent

On peut même saisir cette con­ti­nu­ité en lais­sant de côté la notion de méti­er indus­triel, comme con­struc­teur auto­mo­bile, pour raison­ner à l’échelle d’un méti­er tout court, comme tourneur-fraiseur. Le méti­er qu’exerçaient les tourneurs-fraiseurs est tou­jours là. L’exécutant est une machine. L’ouvrier qual­i­fié tra­vaille avec elle, ou la sur­veille, ou sur­veille un parc de machines, ou un seg­ment de la chaîne. C’est la posi­tion de l’humain dans ce « méti­er » qui a changé. Mais les élé­ments de méti­er, la con­nais­sance intime des procédés, des out­ils, des matéri­aux, de l’environnement de tra­vail, la capac­ité à com­pren­dre un prob­lème et à y apporter une solu­tion rapi­de restent au cœur de leur activité.

Or cette évo­lu­tion que nous avons vue à l’œuvre dans l’industrie se joue aujourd’hui, dans des ter­mes assez proches, dans les ser­vices. Et on retrou­ve la même per­ma­nence de « métiers », sur des activ­ités pour­tant bous­culées par l’automatisation et l’arrivée de l’intelligence arti­fi­cielle. Prenons trois exemples.

On sait que les métiers du par­alé­gal et une bonne par­tie des métiers de la compt­abil­ité — par exem­ple tout ce qui touche aux notes de frais — sont déjà touchés par ce mou­ve­ment. Mais la part dévolue à l’humain ne dis­paraît pas, elle se déplace vers la véri­fi­ca­tion. En ter­mes d’emploi, bien sûr, cela peut avoir une con­séquence : la per­for­mance de la machine est telle que les effec­tifs humains vont prob­a­ble­ment fon­dre. La fiche de poste évoluera elle aus­si, tout en restant étroite­ment liée à ce méti­er dans lequel la machine s’est insérée. Mais le bloc de com­pé­tences humaines req­uis dans la nou­velle fiche de poste reste proche, aus­si bien si l’on con­sid­ère les com­pé­tences tech­niques (repér­er les écarts, com­pren­dre les taux de TVA) que les com­pé­tences génériques (pré­ci­sion, atten­tion aux détails).

Deux­ième exem­ple. Autour des activ­ités automa­tisées, on voit sur­gir aujourd’hui de nou­veaux métiers, comme data ana­lyst ou édu­ca­teur d’IA. Les inti­t­ulés sont par­fois pom­peux, mais le niveau de qual­i­fi­ca­tion est moyen : dis­ons Bac+2. Ce sont donc tech­nique­ment des métiers acces­si­bles aux anciens opéra­teurs, aux gens de méti­er. Or pré­cisé­ment on com­mence à com­pren­dre que ces analy­ses de don­nées, cette édu­ca­tion d’IA, sont mieux faites quand ceux qui s’y appliquent vien­nent du méti­er. Il y a bien une part trans­ver­sale ou générique dans ces emplois émer­gents, mais il reste des ver­ti­cales métiers. L’expérience pro­fes­sion­nelle et la maîtrise d’éléments de méti­er restent des valeurs ajoutées.

Troisième exem­ple, les cen­tres d’appel. IBM a cal­culé que 45 % des requêtes traitées dans ses call cen­ters pou­vaient être traitées par un bot. Mais cela laisse de l’espace aux humains : autour d’un cœur d’activités qui est par déf­i­ni­tion, dans le cas d’IBM, effec­tuées par les logi­ciels, tout le monde com­plexe et sen­si­ble du lien avec les util­isa­teurs se développe et offre aux humains des espaces où déploy­er leurs com­pé­tences, bien loin des scripts et du tra­vail abêtis­sant qui font encore de cer­tains call cen­ters des usines à services.

Résultats déjà visibles

En 2019, j’ai fait paraître avec Clara-Doï­na Schmelk un livre inti­t­ulé Les Métiers du futur, pub­lié aux édi­tions First. J’ai com­plété cette démarche prospec­tive par un deux­ième ouvrage, inti­t­ulé Emploi 4.0 et paru en 2021 aux Édi­tions Atlande. Nous nous sommes appuyés sur un tra­vail de prospec­tive longue. À peine trois ans plus tard, une par­tie des évo­lu­tions que nous imag­in­ions à moyen terme se sont déjà pro­duites. Mais ce ne sont pas tant des rup­tures, de la casse sociale, des drames humains, que des tran­si­tions. Les métiers du futur sont apparus, et pour la plu­part ce ne sont pas des nou­veautés rad­i­cales qui ont sur­gi. Ce qui s’est passé c’est que des pro­fes­sion­nels, avec des blocs de com­pé­tences, ont vu leur méti­er se trans­former, et ont suivi cette trans­for­ma­tion. D’autres, s’appuyant sur leurs com­pé­tences trans­vers­es, mais aus­si sur une qual­i­fi­ca­tion « méti­er », ont investi les activ­ités nou­velles offertes aux humains autour de métiers n’ayant pas dis­paru, mais où la machine tient désor­mais une place cen­trale. Tout le monde peut chang­er de méti­er, pour peu qu’on l’accompagne !

Il est vrai que cer­tains métiers génériques, ceux du man­age­ment inter­mé­di­aire, sont pro­fondé­ment débous­solés, à plus forte rai­son avec la poussée du tra­vail à distance.

Il est vrai que cer­tains métiers génériques, ceux du man­age­ment inter­mé­di­aire, sont pro­fondé­ment débous­solés, à plus forte rai­son avec la poussée du tra­vail à dis­tance. Mais ce rôle de cadre, entre organ­i­sa­tion et super­vi­sion, est au cen­tre des activ­ités qui sur­gis­sent et s’offrent aux humains autour de leur ancien méti­er. Super­vis­er des robots et des logi­ciels, con­trôler leur tra­vail, le pro­longer, le guider, en pren­dre la meilleure part : tel est déjà le cœur des métiers du futur, et ces métiers sont déjà les nôtres.

Les métiers du futur sont déjà là. Pour l’essentiel, si l’on va chercher le cœur des métiers — soign­er des gens, fab­ri­quer du pain, assur­er la défense d’un prévenu, mon­ter un bâti­ment — ces métiers ont voca­tion à perdurer.

Mais il faut dis­tinguer le méti­er et le rôle que nous, êtres humains, y jouons. Et ce rôle est appelé à évoluer, par­fois pro­fondé­ment, par­fois à la marge. Si vous prenez les métiers du soin, par exem­ple, on pour­rait certes imag­in­er une redis­tri­b­u­tion des tâch­es : aux robots les tâch­es physiques comme soulever les malades, aux humains le soin psy­chologique, l’accompagnement, l’écoute, l’attention. Mais il est prob­a­ble que ces robots soignants ne seront pas déployés avant un cer­tain temps en France, alors qu’on les utilise déjà au Japon. En revanche, une par­tie du mon­i­tor­ing est déjà automa­tisée, ce qui ne fait dis­paraître ni le méti­er de soignant ni les emplois de soignants, mais con­tribue à trans­former cette activ­ité. L’évolution est plus spec­tac­u­laire dans d’autres secteurs : une bonne par­tie des métiers de la compt­abil­ité et du par­alé­gal sont à l’évidence absorbés par l’automatisation, et dans ces métiers le temps humain migre vers des activ­ités de con­trôle ou d’organisation. En ter­mes de vol­ume d’emploi, chaque révo­lu­tion indus­trielle a tou­jours créé plus d’emplois qu’elle n’en a détru­it. D’ailleurs Euro­stat estime que l’IA et le dig­i­tal vont créer 15 mil­lions d’emplois en Europe, tout en sup­p­ri­mant 6 mil­lions de postes. La bal­ance est donc large­ment positive !

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